Intervention de Général Bernard de Courrèges d'Ustou

Réunion du mercredi 23 mai 2018 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Bernard de Courrèges d'Ustou, directeur de l'Institut des hautes études de défense nationale et directeur de l'enseignement militaire supérieur :

Monsieur Pueyo, la sélection des stagiaires de l'École de guerre ne relève pas de la direction de l'enseignement militaire supérieur, mais de chaque chef d'état-major d'armée ou directeur de service concerné, dans la limite du nombre de places attribué à leur armée ou leur service par le chef d'état-major des armées. Dans les armées et la gendarmerie, la sélection se fait par concours, et le taux de sélection s'établit, me semble-t-il, aux alentours d'un admis pour trois ou quatre candidats.

Mon rôle consiste à suivre le contenu des concours et à veiller à ce qu'il n'y ait pas de disparités excessives entre ceux-ci. D'ailleurs, l'armée de terre s'est engagée dans une réforme de sa scolarité en amont de l'École de guerre pour y réintroduire davantage de compétences tactiques. En outre, dans l'hypothèse d'une nette baisse du niveau des officiers sélectionnés ‒ hypothèse qui ne s'est jamais vérifiée ‒, il me reviendrait d'alerter les autorités compétentes, voire de proposer un ajustement du nombre de places ouvertes.

Pour ce qui est des auditeurs du CHEM, c'est le cabinet du ministre qui choisit les auditeurs français, suivant les propositions qui lui sont faites par le chef d'état-major des armées qui les sélectionne sur dossier, en liaison avec les chefs d'état-major des armées concernés. Concernant les militaires des armées, le CHEM comprend neuf places pour l'armée de terre, cinq pour la marine nationale et cinq pour l'armée de l'air. Formellement, un colonel ou un capitaine de vaisseau ne fait pas acte de candidature ; il est sollicité par sa hiérarchie. Les auditeurs du CHEM sont en outre les seuls auditeurs de droit de l'IHEDN ; les autres auditeurs sont en effet sélectionnés par l'Institut.

Pour ce qui est des stagiaires et auditeurs étrangers, il n'y a pas de concours d'entrée, mais une sélection opérée conjointement par le ministère des Armées et le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, notamment la direction de la coopération de sécurité et de défense. Ce système vise à répondre à la fois aux besoins des armées ‒ avec qui veut-on coopérer plus étroitement ? ‒ et aux enjeux diplomatiques ‒ envers quel pays veut-on faire un geste ? Cette sélection peut aussi faire l'objet de débats au sein du ministère des Armées entre les armées et la direction générale des relations internationales et de la stratégie.

La formation est commune aux Français et étrangers, ce qui peut bien sûr poser des difficultés. Nous avons ainsi été conduits à renforcer nos exigences de niveau en langue française, car même si certains cours sont dispensés en anglais, une bonne maîtrise du français est indispensable. Les stagiaires étrangers peuvent ainsi bénéficier de six mois de perfectionnement en langue française en amont de leur scolarité à l'École de guerre.

Je ne citerai pas chacune des soixante-et-une nationalités représentées cette année à l'École de guerre, mais on y trouve notamment nos principaux alliés au sein de l'Alliance atlantique, comme les Américains, les Britanniques ou les Allemands, étant entendu que c'est avec les Britanniques que nos liens sont les plus étroits. Nous accueillons également des militaires d'une vingtaine de pays d'Afrique, qui envoient chacun un stagiaire à l'École de guerre. Enfin, sept stagiaires viennent du Moyen-Orient et onze d'Asie, de pays divers comme l'Afghanistan, le Cambodge ou la Chine. Je me souviens d'ailleurs que lorsqu'il a fallu réduire de deux à un le nombre de places de stagiaires offertes à la Chine, l'attaché de défense a fait valoir que c'était peu pour 2,3 millions de soldats ! En tout état de cause, contrairement à d'autres pays, nous essayons d'intégrer nos stagiaires étrangers au maximum de nos cours, ce qui suppose toutefois certaines adaptations lorsque sont abordées des questions de renseignement ou d'autres sujets sensibles. Les cours sont alors réservés aux Français, nos camarades étrangers se voyant proposer d'autres activités, telles que des sorties culturelles ou des présentations à thème économique.

Concernant la contribution de l'IHEDN à la consolidation d'une communauté de défense, le développement d'un esprit de défense est bien au coeur du décret de 2009 qui fixe son statut. L'ouverture à des auditeurs du secteur privé est d'ailleurs une des spécificités de l'Institut depuis sa création en 1948. Il s'agit traditionnellement de cadres à hautes responsabilités. Mais après les émeutes de 2005, le vice-amiral d'escadre François Dupont, mon prédécesseur, a souhaité avec raison que l'Institut conduise également des actions en faveur de la cohésion nationale et de la citoyenneté. Ont ainsi été instituées deux sessions de cinq à six jours par an, rassemblant une cinquantaine d'auditeurs issus des territoires dits fragiles, pour des conférences, des visites et des travaux en comité visant à les sensibiliser aux questions de défense vues moins sous l'angle de ce qui nous menace que de ce qui nous rapproche.

J'ajoute que la communauté de l'IHEDN est animée aussi par quarante-trois associations présentes sur tout le territoire, y compris dans nos outre-mer, et que ces associations s'attachent elles aussi à promouvoir les valeurs de la citoyenneté par des actions de toute nature, comme des journées thématiques ou des séminaires.

Pour répondre à vos questions sur notre action spécifique en faveur de la jeunesse, je tiens à souligner la grande richesse que constituent les séminaires « jeunes » de l'IHEDN. Depuis vingt ans, une dizaine de séminaires rassemblent chacun de soixante à quatre-vingts jeunes de vingt à trente ans. Je signale que ce sont là les seules activités de l'Institut dont le public est paritaire ; il n'y a d'ailleurs pas de raison que les questions de défense et de sécurité intéressent moins les jeunes femmes que les jeunes gens. Ces séminaires sont organisés en une semaine, du lundi au samedi midi, avec hébergement en internat. La pédagogie y est la même que celle des autres activités de l'IHEDN : conférences, visites de sites militaires et industriels, et travaux en comité avec présentation le samedi devant les autorités de l'Institut ou les autorités locales, car la plupart de ces sessions se tiennent en région, y compris outre-mer. À titre d'exemple, je pars d'ailleurs la semaine prochaine à La Réunion pour clôturer à la fois une session régionale et une session « jeunes ». Le public se partage entre étudiants, pour un peu plus de la moitié des effectifs, et jeunes actifs, principalement issus du secteur privé ; il comprend quelques militaires. Étudiants et jeunes actifs se partagent à part à peu près égales. Je souligne combien ces séminaires sont stimulants, et combien l'association nationale des auditeurs jeunes de l'IHEDN est active.

S'agissant de l'offre de formations spécialement destinée aux élèves d'écoles de journalisme. Leur création résulte d'un constat : nos autres activités rassemblent surtout des convaincus, dans une forme d'entre soi. J'ai donc souhaité, de façon générale, que l'IHEDN aille vers des gens qui restent à convaincre. D'où l'ouverture des sessions de jeunes à quelques jeunes qui ont un autre bagage que la plupart de nos jeunes auditeurs, plus proche de certaines réalités. Ainsi, dans une session de quatre-vingts jeunes, on retrouvera désormais cinq à sept jeunes issus par exemple d'écoles de la seconde chance. Leur contribution est particulièrement utile dans les travaux ayant pour thème la cohésion nationale.

C'est dans le même esprit d'ouverture que nous avons créé cette année un séminaire destiné aux futurs journalistes, en lien avec quatre ou cinq écoles de journalisme et de communication ‒ ce qui n'est pas la même chose ! Je crois que c'est là un partenariat gagnant-gagnant : pour les écoles en question, l'IHEDN fournit un module pédagogique d'une semaine à leurs étudiants, dans un domaine qu'ils ne connaissent pas très bien. Cette première année est un succès. Il en ressort d'ailleurs que si certains jeunes nourrissaient à l'égard des armées des préjugés, la présentation objective des choses, sans volonté d'embrigadement, a permis de les lever. L'Institut leur avait préparé un beau programme, avec séminaires, visite d'une base aérienne et d'un régiment de chars près d'Orléans, travaux en comité. Ce succès va probablement nous conduire à doubler l'effectif de cette formation, pour la porter à quatre-vingts auditeurs. J'ai d'ailleurs été frappé du fait que des jeunes habitués aux outils de communication savent s'approprier rapidement des sujets qui leur étaient étrangers, tels que le service national universel ou la dissuasion. Bref, c'est un succès, et comme je le dis souvent : avant de convaincre, encore faut-il faire connaître.

J'en viens au service national universel. Je crois qu'il y a un grand besoin d'encadrer l'enthousiasme actuel, et certaines expériences de l'IHEDN me donnent à penser que nos séminaires « jeunes » peuvent y apporter quelque chose. Par exemple, lors d'un séminaire en région, nous avons réalisé un sondage sur l'idée d'instituer dans le cadre scolaire une cérémonie de salut aux couleurs, un peu à l'instar de ce que font les Américains. J'ai été étonné que si 60 % des jeunes s'étaient dits prêts à une telle cérémonie, une fois par semaine par exemple, pour certains autres, le drapeau n'avait en revanche aucune signification particulière. C'est à mes yeux un des enjeux du service national universel que de faire mieux connaître nos valeurs et nos symboles républicains.

Deuxième exemple, invité à des remises de diplômes organisées par un réseau de soutien aux jeunes de banlieue appelé « Les déterminés », un temps de convivialité m'a permis de discuter avec des jeunes sur le ton le plus libre qui soit. À cette occasion, j'ai été frappé à la fois par leur méconnaissance absolue des armées et, en même temps, par l'a priori très favorable qu'ils ont sur celles-ci. Cela montre que beaucoup reste à faire pour rapprocher les armées de la jeunesse. L'IHEDN y contribue par son offre de sessions. Les associations de son réseau font en ce sens un travail formidable, par exemple au sein des trinômes académiques. J'attends donc comme tout un chacun les décisions qui seront prises sur la base des différents rapports commandités, et je crois que le rôle que jouent déjà l'Institut, les associations et son fonds de dotation sera appelé à être encore approfondi.

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