Le menu est conséquent ! Je vais essayer de répondre rapidement à chaque question.
S'agissant de l'innovation dans les formations militaires supérieures, nous intégrons dans les programmes de l'École de guerre des éléments ayant trait à la conception et à la construction de capacités, qui vont servir ensuite pendant des décennies. Typiquement, je pense aux études qui seront prochainement lancées sur des sous-marins nucléaires d'attaque qui entreront en service en 2036. Au Centre des hautes études militaires, les officiers supérieurs sont sensibilisés à la préparation de l'avenir, notamment sur les nouvelles technologies, l'innovation, la conception et la construction des capacités et des équipements par des officiers et des ingénieurs de l'armement. Ces notions sont donc bien intégrées, aussi bien pour les jeunes officiers supérieurs de l'École de guerre que pour les colonels expérimentés du CHEM. Dans ce dernier cadre, l'état-major des armées sollicite parfois des auditeurs pour des travaux de réflexion ou de prospective. Dans les deux cursus, les conférences du matin sont généralement suivies par des séances de réflexion collectives l'après-midi. C'est de cette façon que nous intégrons l'innovation. L'action volontariste de la ministre renforce notre motivation à persévérer dans cette voie.
S'agissant de l'initiative européenne d'intervention, nous ne sommes pas concernés par l'appui opérationnel mais plutôt par les domaines relatifs à l'anticipation et à la doctrine. J'ai déjà évoqué nos travaux sur les enjeux européens. S'agissant des coopérations à proprement parler, l'IHEDN ne travaille pas avec l'ensemble des pays de l'Union européenne mais échange en bilatéral avec ses principaux partenaires qui sont – pour faire simple – les Britanniques, même s'ils sortent de l'Union européenne, les Allemands, les Italiens et les Espagnols. Je dois reconnaître que ce n'est pas forcément avec les Allemands que nous avons le plus d'atomes crochus – nous avons un peu de mal à les emmener sur les enjeux d'innovation et nous n'avons pas vraiment la même mentalité opérationnelle. En revanche, nous avons énormément d'échanges avec les Britanniques, que ce soit au niveau de l'École de guerre, du CHEM ou via des exercices communs. Ce n'est pas l'Union européenne mais bien la défense de l'Europe. Nous encourageons les pays européens à jouer un rôle en matière de défense, autour de l'Europe ou plus loin. Nous incitons notamment nos amis européens à venir à nos côtés montrer le pavillon en mer de Chine méridionale.
Je confirme que nous organisons tous les ans une journée à Bruxelles avec un institut de recherche pour assurer la visibilité de l'IHEDN. Nous nous faisons épauler par des spécialistes de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire. Cette année, elle aura lieu le 15 juin, en partenariat avec l'Institut Royal des relations internationales Egmont et le soutien du Collège européen de sécurité et de défense, avec les thèmes que vous avez indiqués. Deux tables rondes auront lieu sur l'Europe, l'une sur des aspects politiques et diplomatiques, l'autre plus spécifiquement sur les aspects militaires et la construction de l'Europe de la défense. Cela représente une demi-journée. C'est très rapide. Pour être honnête, ce n'est pas forcément le moment où ces sujets sont développés avec le plus de temps ou d'intensité. Il s'agit de s'assurer que l'IHEDN est bien identifiée dans les milieux européens intéressés par la défense et la sécurité, autrement dit : de montrer le pavillon.
S'agissant de la souveraineté numérique, je précise que je n'en suis pas spécialiste bien qu'ayant une formation scientifique, j'ai un intérêt personnel pour les questions relatives à l'intelligence artificielle. Nous avons créé une session Souveraineté numérique et cybersécurité avec l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice précisément pour combler le manque constaté à haut niveau dans notre pays. Vous avez dû le voir avec Guillaume Poupard qui arrive à mobiliser des décideurs au cours d'une vingtaine de matinées par an afin de les sensibiliser aux principaux enjeux de la souveraineté numérique, comme nous avons parfaitement su le faire, du reste, dans le domaine maritime. Je pourrais vous citer les stratégies des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), bien connus aujourd'hui, ou comme je reviens de Chine, celles des BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) qui sont quelque peu différentes. En tout état de cause, tous les acteurs doivent être sensibilisés, pas uniquement l'administration, notamment les grandes entreprises et les élus. En dehors des modules qui existent déjà dans la plupart de nos formations, nous lançons donc cette session nationale qui concernera une trentaine d'acteurs par an issus de différents secteurs professionnels et permettra de créer une communauté autour de ces problématiques. C'est une des richesses de l'IHEDN.
La question sur le Livre blanc ou la Revue stratégique sort quelque peu de mon champ. Je n'étais qu'un simple scribe à l'époque du Livre blanc de 2008, un observateur auprès de la commission de Jean-Claude Mallet. Mais j'ai suivi aussi l'élaboration du Livre blanc en 2013. Et aujourd'hui, je n'ai pas le sentiment que nous soyons confrontés à un changement fondamental. Le souhait d'aller vite a, me semble-t-il, motivé le recours à la Revue stratégique dont le périmètre est restreint aux armées. Mais je pense qu'il est souhaitable, comme le font du reste les Américains ou les Britanniques, de prendre le temps de conduire des exercices plus complets puisque comme vous le savez les questions de défense et de sécurité ne concernent pas uniquement les armées. L'exercice du Livre blanc ne me paraît donc pas dépassé. D'ailleurs, une grande part des prédictions du Livre blanc de 2008 s'est réalisée, peut-être plus vite ou avec plus d'intensité qu'anticipé, mais finalement sans que nous soyons surpris par des éléments nouveaux. C'est donc que l'exercice avait sa pertinence.
Monsieur Marilossian, s'agissant de la formation de nos officiers généraux, je tiens à préciser que leur engagement opérationnel ne date pas d'il y a trente ans. Le sous-chef Opérations à l'état-major des armées dirigeait encore l'opération Serval il y a cinq ans. La grande majorité de nos officiers généraux ont donc une expérience opérationnelle de leur niveau, ou de colonel commandant un régiment, assez récente. Pour autant, ce n'est pas suffisant car il faudra gagner la guerre de demain en étant capable de l'imaginer aujourd'hui. Ce que nous vivons aujourd'hui dans le cadre des opérations Barkhane ou Chammal est évidemment différent de ce que nous pourrions connaître dans d'autres circonstances au Moyen-Orient, ou en Asie, où les différences sont aussi bien qualitatives que quantitatives. Le devoir des chefs militaires et des autorités politiques, c'est de préparer la victoire de demain. L'exercice de synthèse de l'École de guerre – un exercice de coalition mené sur cinq semaines – a été amendé récemment pour aborder des enjeux tels que les prises d'otages, la présence d'organisations non gouvernementales, la bataille des perceptions avec les médias. Mais il a un fond classique, si je puis dire, de conflit de haute intensité pour que nous ne perdions pas non plus certains savoir-faire. Nous avons le souci constant de maintenir ces savoir-faire qui, compte tenu de nos engagements opérationnels actuels, ne sont pas utilisés et dont nous pourrions avoir besoin dans d'autres occasions. J'espère vous avoir rassuré !
Enfin, si les militaires du rang et les sous-officiers ne sont pas les premiers associés aux réflexions sur la préparation de l'avenir, les auditeurs de nos sessions sont en contact avec eux dans tous leurs déplacements d'études, et leurs échanges sont mutuellement enrichissants. J'ajoute que c'est le rôle de la hiérarchie militaire, jusqu'aux chefs d'état-major, de faire remonter leurs avis et leurs préoccupations ; à titre d'exemple, le chef d'état-major de l'armée de terre était hier encore en réunion avec des présidents des sous-officiers, c'est-à-dire des représentants de cette catégorie. Être au contact de l'ensemble des personnels est une préoccupation constante de la hiérarchie. Enfin, on compte parfois parmi les auditeurs de nos séminaires régionaux et nos sessions « jeunes » des sous-officiers, voire des militaires du rang.
Monsieur Ferrara, il est vrai que nous sommes regardés avec admiration, ou à tout le moins avec respect, par nos alliés, même les plus importants, comme les États-Unis. Mes déplacements à l'étranger me permettent de mesurer la haute opinion dans laquelle sont tenues les armées françaises, y compris aux États-Unis, non seulement pour le succès de nos opérations, mais pour la qualité des militaires français ‒ et je ne pense pas seulement aux officiers. Nos militaires du rang font preuve de hautes qualités professionnelles tout en demeurant aptes à rester rustiques, voire râleurs, c'est bien connu ! Nos corps de sous-officiers eux aussi sont reconnus pour leur valeur, qui constitue un atout très précieux dans une armée. Enfin, la qualité de nos officiers, tout aussi reconnue, tient nécessairement au moins pour une part à l'efficacité de notre appareil de formation, initiale comme continue, qui réussit à les préparer à tous types d'opérations sans se limiter au retour d'expérience de celles d'aujourd'hui.
Concernant nos ressources, Monsieur André, le budget de ma direction s'établit à quatre millions d'euros par an environ. Ses effectifs représentent à peu près 140 personnels, répartis de la façon suivante : 60 à l'École de guerre, neuf cadres au CHEM, 20 personnels au centre de documentation et une cinquantaine de personnels dans l'équipe de direction, qui est chargée de la coordination et la synthèse de l'ensemble, du soutien administratif et des relations internationales. Nos effectifs ont subi des déflations, portant notamment sur l'équipe de l'École de guerre, qui a dû repenser complètement son programme et ses méthodes pédagogiques en laissant davantage d'autonomie aux stagiaires, ce qui suppose néanmoins des liens étroits avec l'encadrement. En réalité, mes préoccupations tiennent moins, aujourd'hui, au nombre de postes ouverts au sein de ma direction qu'au fait qu'ils soient effectivement pourvus, ce qui s'avère difficile dans un contexte de hausse des effectifs qui, paradoxalement, crée des tensions dans les effectifs d'officiers. En effet, leur temps de formation étant plus long que celui des militaires du rang, les besoins accrus d'encadrement dans les forces créent un appel d'air pour les officiers, notamment les officiers supérieurs, et les sous-officiers chargés du soutien. Certaines vacances dans le tableau d'effectifs de ma direction commencent à poser des problèmes. S'agissant de l'IHEDN, son budget représente 10 millions d'euros environ, provenant pour 70 % des crédits des services du Premier ministre et de ceux du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, les 30 % restants correspondant aux frais d'inscription perçus par l'Institut. Ses effectifs représentent 90 personnels.
Pour finir avec la question concernant la fidélisation des officiers, il faut bien sûr éviter que des officiers dans la formation desquels l'institution a beaucoup investi ne la quittent juste après l'École de guerre. La refonte de la scolarité s'inscrit dans un effort d'attractivité des carrières, avec l'effort de personnalisation et d'ouverture de la formation que je vous ai décrit. La scolarité refondue exploite les moyens numériques modernes pour faire une large place à l'autonomie des stagiaires et aux échanges de vues, aux discussions, à ce que l'on appelle le brainstorming. En outre, l'ouverture aux autres armées et au monde civil est favorisée ; nous avons ainsi, par exemple, un partenariat avec la Cour des comptes. Ainsi, tout en nous gardant de faire dans le « zapping », nous nous adaptons à la fois aux moeurs et aux besoins des employeurs. Je tire d'ailleurs de mes discussions avec les stagiaires l'impression que ceux-ci sortent satisfaits de leur scolarité à l'École de guerre.