Intervention de Philippe Nicollet

Réunion du lundi 28 mai 2018 à 15h00
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Philippe Nicollet, président de l'Association française des directeurs et cadres de laboratoires vétérinaires publics d'analyses (ADILVA) :

Vous faites référence au courrier du 24 mai 2018, adressé par la vice-présidente du conseil départemental du Calvados, Mme Yon-Courtin, que vous avez entendue au titre de l'Assemblée des départements de France (ADF). J'ai été mis en copie de ce courrier, ce qui m'a surpris car je n'étais pas présent à l'audition, et je n'y ai pas été cité. J'avoue ne pas avoir bien compris la pertinence de me mettre en copie de ce courrier, qui avait un parfum d'avertissement que j'ai trouvé un peu désagréable, comme je m'en suis ouvert auprès de vous, monsieur le président.

Je retiens de ce courrier deux éléments qu'Eurofins apporte en contre-arguments aux propos de Mme Yon-Courtin.

Le premier concerne l'indépendance des laboratoires au sens large, Eurofins et les autres, et le second concerne la garantie que l'accréditation peut apporter aux bénéficiaires ou aux consommateurs.

Je ne m'avancerai pas à me prononcer sur l'indépendance ou la non-indépendance d'Eurofins vis-à-vis de qui que ce soit, je n'en ai pas la compétence, et je n'ai pas les éléments pour le faire. Je peux vous dire en revanche que tous ceux qui travaillent dans les laboratoires départementaux d'analyse sont des agents du service public. Leur employeur est une collectivité territoriale, ils ne sont rémunérés que selon la grille indiciaire des fonctionnaires, que vous connaissez. Il n'est évidemment prévu aucun intéressement ni aucune sanction à la suite de l'obtention ou de la perte d'un marché. C'est une garantie importante, d'ailleurs exigée par le Comité français d'accréditation (COFRAC), qui s'intéresse, dans l'évaluation des laboratoires, aux éventuels conflits d'intérêts qui pourraient exister entre la structure et ses donneurs d'ordres.

En second lieu, j'ai bien écouté certaines de vos auditions pour préparer mes réponses à vos questions. J'ai entendu que M. Toulouse, du laboratoire de Nantes, a évoqué un chiffre d'affaires de 15 millions d'euros, dont Lactalis représente 10 %, soit 1,5 million. M. Guillaume Fortier, qui s'est exprimé au nom du laboratoire LABEO, forme de regroupement des laboratoires normands qui compte 400 personnes – c'est donc un plus gros laboratoire qu'Eurofins – a cité cinq ou six clients majeurs en agroalimentaire, qui représentent entre 30 000 et 50 000 euros. On comprend donc bien que le poids économique d'un client qui pèse 10 % de 15 millions d'euros n'a rien à voir avec celui d'un client qui pèse entre 30 000 et 40 000 euros pour un laboratoire une fois et demie plus gros.

Je n'ai pas d'autres éléments, mais vous avez raison de souligner la question de l'indépendance, car elle est très souvent mise en avant par les ministères en se fondant sur les agréments. Je crains qu'un certain nombre de nos ministères déduisent cette indépendance de l'accréditation du COFRAC, et je pense que malgré toute la bonne volonté des auditeurs du COFRAC, ce sont des techniciens de laboratoire, et ils n'ont aucune compétence pour aller expertiser des statuts capitalistiques ou d'une société. Aujourd'hui, dans le monde de l'analyse, des concentrations de structures et des regroupements ont lieu, et il serait très présomptueux de s'appuyer sur une évaluation d'audit qui va durer un, deux ou trois jours, pour mener des investigations sur les intérêts capitalistiques ou les détentions de parts de société. Il faut être extrêmement prudent, mais vous avez raison de souligner que c'est un critère qui mérite notre attention.

S'agissant maintenant des garanties qu'apporte l'accréditation, permettez que je fasse une petite parenthèse technique. Les laboratoires sont accrédités selon un référentiel, c'est-à-dire qu'ils utilisent des normes avec des méthodes normalisées. La normalisation, comme son nom l'indique, c'est une standardisation faite par un organisme qui s'appelle l'Association française de normalisation (AFNOR). C'est la méthode de référence. Comme l'a dit Guillaume Fortier, ce sont des méthodes assez lourdes, assez complexes, très souvent coûteuses et pas forcément adaptées aux exigences de délais, de coûts, de volume des industriels dans le cas de certification de l'eau ou d'analyse libératoire.

L'AFNOR a donc prévu de mettre en place des méthodes dites alternatives. Ces méthodes alternatives sont extrêmement complexes à valider. C'est pourquoi elles sont très souvent réservées à des fabricants de réactifs qui peuvent mener ces tests extrêmement volumineux, parce qu'il faut tester beaucoup de situations, surtout en alimentaire où la notion de matrice est très compliquée : il n'y a évidemment rien de commun entre une poudre de lait et un aliment pré-médicamenteux, ou un aliment végétal, ou de la viande. C'est très important, les bactéries n'auront pas du tout le même comportement.

Donc, des méthodes alternatives sont validées par l'AFNOR. Pour être très précis, dans le cadre des recherches de salmonelle, vingt-cinq tests ont été validés par l'AFNOR de manière alternative à la méthode de référence 6579 citée par monsieur Toulouse.

On distingue quatre méthodes bactériologiques, quinze méthodes immuno-enzymatiques qui font appel à la reconnaissance d'antigènes et d'anticorps, et six méthodes de biologie moléculaire où l'on détecte l'acide désoxyribonucléique (ADN). Cela veut dire que dans l'absolu, un laboratoire pourrait se revendiquer d'une accréditation en utilisant l'une ou l'autre de ces méthodes dérivées de la méthode de référence, avec la certification de l'AFNOR, et prétendre offrir le même niveau de garantie.

Mais ce n'est pas aussi simple que ça, et je ne peux que vous inviter à aller plus loin. Quand un laboratoire déclare qu'il est accrédité parce qu'il a utilisé telle méthode alternative, et qu'il a donc travaillé sous accréditation, il faut comprendre qu'il ne faut pas tenir compte seulement de la méthode dans le domaine de la biologie, énormément d'éléments peuvent intervenir, comme la prise d'essai ou le volume d'échantillons. On peut très bien, par volonté de simplifier le protocole analytique, travailler sur des prises d'essais plus réduites, ou les mélanger pour faire moins d'analyse.

Je n'ai pas les rapports d'essais de tel ou tel laboratoire, mais je pense que votre commission ne doit pas se contenter de l'affirmation d'un intervenant selon laquelle il a fait l'analyse pour Lactalis sous accréditation. Ce n'est pas suffisant, il faut aller plus loin et demander que soit produit le rapport d'analyse, avec le recours éventuel à une expertise des gens de l'AFNOR : la commission V08 est spécialisée dans la microbiologie alimentaire et travaille sur la normalisation, et justement la certification de ces méthodes alternatives. Elle pourra vous dire si telle méthodologie dérivée de la méthode de référence est employée à bon escient et apporte le même niveau de garantie. Par exemple, si vous réalisez une analyse individuelle, la même performance n'est pas la même que si vous mélangez quinze échantillons pour ne plus faire qu'une seule analyse. Il faut aller plus loin et ne pas simplement se contenter de l'affirmation d'un laboratoire selon laquelle l'analyse ayant été faite sous accréditation, tout est garanti.

Enfin, M. Toulouse a évoqué les essais interlaboratoires d'aptitude et il a parlé d'un nombre d'essais interlaboratoires cent fois supérieur à ce qui se fait dans les normes. J'avoue avoir été surpris, et il faut aller plus loin. À notre connaissance – nous nous sommes interrogés entre nous – les essais interlaboratoires d'aptitude, comme leur nom l'indique, consistent à recevoir d'un laboratoire national de référence ou organisateur dix, quinze ou vingt échantillons de statut indéterminé, en aveugle. C'est coûteux, c'est payant, il faut le financer. La norme exige que nous en fassions au moins un, comme l'a évoqué à juste titre M. Toulouse. Pour les laboratoires organisateurs que nous connaissons, le maximum d'essais interlaboratoires est de quatre par an, et c'est à l'étranger. En France, en général, les laboratoires nationaux de référence organisent entre un et deux essais interlaboratoires par an.

Cela m'a été confirmé par tous mes collègues des laboratoires. Donc, très honnêtement, nous nous interrogeons. Peut-être y a-t-il une confusion entre essais interlaboratoires, où l'on reçoit des échantillons de l'extérieur, et ce que nous utilisons également tous, c'est-à-dire l'utilisation de ce qu'on appelle des sentinelles, des traceurs, des témoins positifs, c'est-à-dire des échantillons de statut connu qui sont mis dans toutes les séries analytiques pour vérifier que l'ensemble des échantillons de terrain ait subi un traitement correct, et que la série analytique soit validée. Mais en aucun cas il s'agit d'essais interlaboratoires d'aptitude. Je prends beaucoup de précautions, mais je pense que ce point mériterait d'être précisé.

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