Intervention de Jean-Marc Nollet

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 9h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Jean-Marc Nollet, président du groupe écologiste à la Chambre des représentants du Parlement fédéral belge :

L'AFCN est en charge tant du volet protection que du volet sécurité. C'est une bonne chose parce que les deux participent d'un même objectif, à savoir la protection des citoyens, des travailleurs et de l'environnement. La barrière n'est pas hermétique, il y a interaction entre sûreté et sécurité, des arbitrages sont parfois nécessaires. S'agissant de la sécurité, on voudrait que toutes les portes soient fermées mais pour la sûreté, il faut pouvoir en ouvrir. L'exemple que je viens de donner est caricatural. Néanmoins, il est impossible de séparer à ce point sûreté et sécurité. Une agence en charge des deux volets présente un gros avantage. Cela fonctionne de la même manière et une même autorité est responsable. De là à dire que cette autorité remplit correctement ses fonctions, c'est tout à fait autre chose. Elle a failli à ses missions, à la fois sur le volet sûreté et sur le volet sécurité. Elle joue plus souvent un rôle d'huissier qu'un rôle de gendarme. Cela pose de nombreuses questions.

Un audit a porté sur l'AFCN. La commission de sécurité nucléaire a eu accès à l'audit, mais des passages étaient biffés. De par mes fonctions de parlementaire, de mes activités hors de l'Assemblée et grâce à mes contacts, j'ai, toutefois eu accès à l'ensemble de l'audit. Je pourrai vous le fournir si vous le souhaitez, je le transmettrai au président afin que vous puissiez faire la différence entre la partie publique et la partie confidentielle. Cela démontre une perte d'indépendance de l'agence de contrôle.

Pour la partie publique, l'audit met en lumière : «… un climat interne tendu, une ambiance de travail fort négative, une fatigue et un sentiment de résignation partagé par de nombreux collaborateurs. » Et surtout « une impression de perte d'indépendance graduelle de l'Agence par rapport au monde politique et au monde économique. » Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les auditeurs qui l'écrivent dans leur rapport. « Ce sentiment engendre un doute auprès des collaborateurs qui se demandent si leur travail et leurs recommandations sont bien pris en compte ou si la direction est poussée à prendre des compromis. » La remarque concerne essentiellement les dossiers relatifs aux centrales nucléaires. « Manque de compréhension des priorités à donner… Si l'expertise de l'Agence n'est pas mise en doute, l'Agence n'est cependant pas reconnue comme une autorité forte, aux actions cohérentes, capable de s'imposer dans le paysage institutionnel belge et de montrer la direction dans laquelle elle avance. L'indépendance de l'Agence est mise en doute, l'Agence semble faible et sensible aux influences politiques et économiques. Cette impression donnée par l'Agence à l'externe correspond donc au sentiment ressenti par certains collaborateurs à l'interne : manque de pédagogie, difficultés d'obtenir des réponses claires et des validations des messages par la direction pour les agents qui doivent communiquer notamment… » C'est à ce stade que les témoignages sont intéressants.

Je citerai un seul extrait d'un témoignage qui a été biffé mais que nous avons pu retrouver dans la version complète.

« Quand je demande au comité de direction quelle est sa position sur tel ou tel sujet, car les journalistes nous contactent, il nous laisse sans réponse ou ses membres se disputent entre eux car ils ne sont pas d'accord. En attendant, la presse attend et réalise bien que nous n'avons pas de position ferme et tranchée. Cela ne fait pas très professionnel. »

« Je suis parfois… », dit un collaborateur «…amené à répondre à un journaliste car je me trouve acculé mais je n'ai pas le choix et je sais que ce que je raconte ne tient pas la route. Je me sens terriblement mal. » Mais de quoi parle-t-on, si ce n'est de sécurité et de sûreté nucléaires ? On livre donc des informations au grand public par l'intermédiaire des médias en sachant pertinemment qu'elles ne sont pas exactes. Cela interroge.

Dans les archives du Parlement, j'ai retrouvé des documents, des interviews parues dans la presse interne à Electrabel et à la centrale.

Dix ans auparavant, alors qu'il était responsable de la centrale elle-même, celui qui est devenu le directeur de l'agence de contrôle déclarait : « Nous devons clairement expliquer aux politiciens et au grand public que nous visons une exploitation de soixante ans. » La loi évoquait, à l'époque, une exploitation de quarante ans. « Nous devons nous assurer que la loi sur le phasing out soit ajustée. La centrale de Doel 2 tourne à régime renforcé et est prête à tourner trente années supplémentaires. » La personne qui a fait cette déclaration est la même qui a vérifié ensuite si ces centrales étaient capables de fonctionner dix ans de plus. Pensiez-vous vraiment qu'elle dirait non ? Elle a dit elle-même ce qu'il en était. Il y a un vrai problème. J'espère que ce n'est pas possible en France. Chez nous, c'était possible.

Cette interview a été publiée dans un petit organe de presse, interne à l'entreprise. Retrouver ce genre de document permet de mettre en lumière la question de l'indépendance que l'audit lui-même relève. Plus fort encore, ces personnes assument leurs propos dans des interviews où elles disent avoir cédé face aux demandes politiques et économiques. En octobre 2015, « l'Agence reconnaît qu'elle s'est adaptée aux discussions politiques. »

En quelques mois, le Gouvernement a décidé de prolonger deux centrales. L'Agence avait historiquement mis en place un système de contrôles, de suivi des travaux à réaliser, qui nécessitaient plusieurs années. L'Agence était acculée à agir rapidement. Ses responsables ont déclaré : « Oui, c'est juste. Nous avons revu notre calendrier. Une inspection de l'Agence internationale, prévue pour étudier les conditions dans lesquelles on pouvait les prolonger, a été réalisée deux ans après que les centrales ont été prolongées. » Dans les documents officiels antérieurs de l'Agence, ces mêmes personnes affirmaient que les travaux devaient intervenir avant la prolongation. L'Agence a bradé ses propres existences pour des raisons économiques. Or, l'indépendance doit être le fondement de ce genre d'agence. Oui, il y a des problèmes chez nous. J'ose espérer que ce n'est pas le cas en France.

Je citerai un autre exemple. S'agissant des normes sismiques, l'association des régulateurs européens – Western European Nuclear Regulators Association (WENRA) – a défini en 2014 de nouvelles obligations en la matière. Nous savons que les centrales de Doel 1 et Doel 2, parmi les plus anciennes, ne seront pas en mesure de répondre à ces normes. Les capacités de résistance requises sont fixées à un mouvement d'accélération au sol de 0,1 G. Or, les plus anciennes en Belgique sont de 0,058 G. Nous avons beau faire, nous n'allons pas reprendre la construction du réacteur, sauf à construire une nouvelle centrale. J'ai obtenu les documents de travail interne à l'Agence qui imagine qu'elle rendra obligatoire la mise en place de normes sismiques de 0,1 G en accordant un délai jusqu'en 2025, date de la fermeture des centrales. Cela figure tel quel dans les power points des négociations Full compliances 2025.

J'en viens aux solutions ou options à retenir.

Le regard international, le fait qu'un pays ne puisse pas décider seul, est une solution. L'Agence fédérale de contrôle nucléaire doit fonctionner dans un cadre européen ou du moins faire partie d'un noyau européen intéressé à la question. En Belgique, la situation évolue grâce aux Allemands, aux Luxembourgeois, aux Néerlandais, peu sous la pression de la France en raison de la part prise par le nucléaire chez vous. Les pays voisins, par exemple, exercent d'énormes pressions sur la Belgique au sujet des centrales fissurées. Nous avons eu accès à la transparence et à des informations grâce à ces pays. Si l'AFCN n'était pas liée à ce point à l'État qu'elle contrôle, l'indépendance serait mieux assurée et la capacité à s'opposer serait plus grande, par exemple s'agissant des normes sismiques. J'ignore ce qu'il en est France. Pour la prolongation de vos centrales, il serait utile de vous attacher à ce volet. Les normes ont été renforcées depuis l'époque où les centrales ont été construites. Je l'ai vécu ces cinq dernières années. Le regard des autres pays est extrêmement important.

J'irai plus loin et j'évoquerai la capacité de codécider sur des enjeux aussi fondamentaux que la prolongation des centrales. Lorsque l'on est confronté à des situations comme celle des fissures, cela doit relever d'une autorité plus indépendante que celle d'aujourd'hui et la manière de la rendre plus indépendante est de l'internationaliser. Ce regard étranger serait très utile à un petit pays comme la Belgique. Peut-être la France, de par sa grandeur et sa superficie, en a besoin moins que nous, mais, pour ce qui nous concerne, nous aurions beaucoup à gagner à ce genre de situation.

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