Intervention de Jean-Marc Nollet

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 9h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Jean-Marc Nollet, président du groupe écologiste à la Chambre des représentants du Parlement fédéral belge :

La Belgique n'a pas encore pris de décision en matière de gestion des déchets. Ce serait, dit-on, imminent. Le Gouvernement a reçu de l'Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies (ONDRAF), un dossier mis à jour ; l'ONDRAF est l'équivalent belge de votre Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), l'organisme appelé à gérer les déchets.

En 2011, l'ONDRAF a fait une proposition qui s'articulait autour de quatre points : 1) un stockage dans une couche géologique profonde, à l'instar de la France ; 2) cette couche géologique devra être de l'argile de Boom peu indurée ; 3) le stockage devra avoir lieu sur le territoire belge ; 4) le stockage devra être implanté sur un site unique.

Saisie de ce projet, l'AFCN a refusé le point 2). Je me suis intéressé à la proposition du stockage dans l'argile peu indurée. Une nappe phréatique se situe en dessous du « Cigéo belge », sur un territoire dont l'ONDRAF est propriétaire. Or, les Pays-Bas pompent dans cette nappe. C'est là une illustration du principe selon lequel chacun implante ses installations au plus près des frontières. La centrale de Chooz en est un exemple.

La proposition de l'ONDRAF a été refusée. Pour autant, il n'a pas varié de position pendant six ans et écrit aux ministres concernés qu'ils leur appartenaient de décider, ce à quoi le Gouvernement a répondu négativement en raison de l'opposition de l'AFCN.

Un nouveau directeur général a récemment formulé une nouvelle proposition en retirant les points 2 et 4 portant sur l'obligation de l'argile peu indurée et l'obligation du site unique. Les centrales belges sont implantées au nord et au sud ; il en va de même des centres de recherche. Peut-être en sera-t-il de même pour les centres de déchets. En tout cas, l'obligation d'un site unique a été retirée à la demande du Gouvernement.

Une nouvelle proposition est formulée. Mais, à mes yeux, et au vu de l'analyse de ce dossier, je considère que c'est une illusion de solution. La même question se pose en France. On enfouira les déchets, et après ? Je suppose que vous avez eu connaissance de ce qui s'est produit aux États-Unis, au centre de stockage de déchets radioactifs WIPP. Un conteneur de déchets a pris feu, causant à lui seul deux milliards de dollars de dégâts et plusieurs mois d'arrêt du site. Nous ne sommes pas à l'abri de tels accidents, ni en Belgique ni en France, car il s'agit de projets expérimentaux et qu'à ce titre nous n'avons pas de retours d'expérience.

Des raisons d'ordre éthique se posent. Tout montre que l'on oubliera ces déchets et d'ailleurs les choses sont pensées pour les oublier. On ne peut imaginer transmettre des informations au-delà de quatre ou cinq cents ans alors même que les effets de tels projets courront des centaines de milliers d'années. La meilleure manière de lutter contre l'oubli est de ne pouvoir oublier et donc d'être obligés de se poser régulièrement la question.

Je suis favorable à une gestion en subsurface, c'est-à-dire à trente ou quarante mètres de profondeur. Une telle solution nous obligera à nous reposer la question tous les deux cents ans et situe à un horizon humain en ce qu'elle permet d'envisager la transmission d'informations ; ce n'est pas un projet pensé pour être oublié.

Au surplus, c'est la seule manière de rendre le stockage réversible, récupérable. Lorsqu'ils ont été interrogés sur ce thème dans les années 2010-2011, les Belges ont conditionné l'enfouissement à la réversibilité à tout moment, non pas aux seules quatre-vingts ou cent premières années. La seule manière de rendre les produits récupérables est de les gérer tous les cent ans.

Troisièmement, l'enfouissement en subsurface est la seule décision qui tienne réellement compte de l'évolution de la science. Les enfouir et « refermer le bouchon » relève d'un comportement antiscientifique. Prétendre que la science n'apportera pas de solutions d'ici à des centaines de milliers d'années, alors que chacun sait que la science évolue, est un comportement très prétentieux. De ce point de vue, la gestion en subsurface permet de tenir compte davantage des évolutions.

Quatrièmement, en arrêtant une décision définitive aujourd'hui, nous encourrions le risque de confisquer la décision aux générations futures en décidant pour elles. On m'objecte parfois que l'on transmettrait le coût aux générations futures. Non : le coût, de toute façon, sera transféré en cas d'accident. Par ailleurs, la manière dont les provisions sont calculées nous permet d'imaginer des solutions qui se renouvellent tous les cent ans.

Cinquièmement, nous devons maintenir un contrôle sur ces déchets dont on ignore comment ils évolueront. Être en mesure de le faire nécessite de ne pas « refermer le bouchon », mais, au contraire, de garder un contrôle humain, pérenne et actif. Le volet « enfouissement et gestion en profondeur » revient à oublier tout contrôle, laissant à la nature le soin de les gérer.

Enfin, ainsi que je l'ai déjà dit, nous travaillons à un horizon de cent ou deux cents ans, imaginable pour un être humain. Cent mille ans ou quatre cent mille ans sont des durées que nous ne savons pas imaginer.

Pour l'ensemble de ces raisons, la gestion en subsurface est supérieure à la gestion en profondeur. Je ne peux que vous inciter à maintenir ouverte la discussion autour de ces enjeux, car, une fois les décisions prises, nous sommes incités à ne plus réfléchir.

Sur votre autre question, je serai malheureusement plus bref. Je n'aime pas m'avancer sur un terrain sans compétences approfondies. J'ai pu m'exprimer sur les centrales situées à proximité de la frontière belge – Gravelines, Chooz, Cattenom – mais je ne me permettrai pas d'exposer un point de vue sur les autres centrales françaises, faute de les connaître. J'ai déjà bien du travail pour suivre ce qui se joue sur les sept centrales belges, sur la centrale de recherche et encore sur celle de Chooz située dans une « enclave » française à l'intérieur du territoire belge.

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