Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général du budget, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier les services du ministre, les services de l'Assemblée nationale et ceux de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) pour les réponses qu'ils ont apportées à nos questions à une époque assez inhabituelle pour eux – puisque ce Printemps de l'évaluation est une première.
Monsieur le ministre, alors même que vous avez lancé depuis plusieurs semaines un cycle de rendez-vous avec les partenaires sociaux afin de travailler à la réforme du cadre statutaire des agents des services publics, l'évaluation d'un certain nombre de politiques publiques mises en oeuvre en 2017 devrait nous permettre de nourrir la réflexion sur les orientations et les pistes envisagées dans les discussions concernant la rémunération des agents. Car, au-delà de la nécessaire préparation du rendez-vous salarial annuel qui aura lieu dans les prochaines semaines, la question de la rémunération des fonctionnaires et même de sa structuration à venir, sera décisive tant dans la perspective du futur régime universel de retraite, que dans un objectif d'attractivité des métiers de la fonction publique.
En exécution 2017, les dépenses de personnel du budget de l'État ont augmenté de 3,9 %. Ce pourcentage a représenté, pour une seule année, une progression supérieure à celle cumulée des années 2011 à 2016 – période à l'issue de laquelle la progression s'établissait à 2,9 %. En euro, les dépenses du titre 2, c'est-à-dire les strictes dépenses de masse salariale, s'élèvent à 127,6 milliards d'euros. Elles représentent à elles seules 40 % des dépenses totales nettes du budget général de l'État.
Dans le détail, cette augmentation est due à trois facteurs principaux. Premièrement, l'augmentation, programmée dans le schéma d'emploi pour 2017, des effectifs de la fonction publique, qui étaient en diminution jusqu'en 2015. Les principaux ministères bénéficiaires de ces nouvelles ressources sont ceux de l'éducation nationale, avec plus de 9 000 emplois supplémentaires, de la justice, de l'intérieur pour la mission « Sécurités », ainsi que celui de la défense. Il faut noter ici que la volonté du Gouvernement concernant ces ministères est de continuer l'effort de renforcement de leurs effectifs, dans la logique de rattrapage du déficit de personnel structurel qui les touchent depuis de nombreuses années, et pour accompagner la politique d'émancipation par l'éducation et de protection de tous.
Deuxièmement, l'augmentation du point d'indice de la fonction publique, commencée en 2016 s'est poursuivie en année pleine en 2017, avec une nouvelle revalorisation en février 2017. Cette augmentation, de 1,2 % a un coût total estimé à 648 millions d'euros pour la seule fonction publique d'État. Pour les deux autres versants de la fonction publique, aucune donnée précise n'étant disponible dans les documents transmis par le ministère et par la Cour des comptes, les estimations de cette hausse du point d'indice qui s'impose par la volonté de l'État à tous les acteurs publics, se monteraient à 475 millions d'euros pour la fonction publique hospitalière et 557 millions d'euros pour la fonction publique territoriale.
Le troisième facteur est la montée en puissance des mesures catégorielles et des dispositifs visant à simplifier et à rationaliser le régime indemnitaire de la rémunération des agents de la fonction publique. Notons tout d'abord que ces deux dispositifs ont été décidés durant la seconde moitié du quinquennat précédent et qu'ils visaient à la fois à rendre plus lisibles les rémunérations des fonctionnaires et à procéder à des ajustements pour certaines catégories de personnels. La mise en oeuvre et l'exécution de ces nouveaux outils de rémunération ayant connu quelques retards à leur démarrage, c'est justement sur l'année 2017 qu'ils ont pris de l'ampleur, occasionnant une hausse importante des dépenses du titre 2.
Le dispositif du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) a plus que doublé entre 2016 et 2017, passant de 6,24 à 15,3 millions d'euros. Quant à l'exécution du Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR), elle a engendré 793 millions d'euros de dépenses supplémentaires pour la seule fonction publique d'État en 2017. Son coût total s'est élevé à 1,495 milliard d'euros sur les trois versants. Face à une telle dépense, dont 82 % restaient à financer, et conscient que toutes les mesures décidées n'avaient pas été mises en oeuvre, le Gouvernement a décidé en septembre 2017, à l'occasion d'une loi de finances rectificative, de suspendre temporairement le déploiement de ces dispositions afin de rattraper le retard pris et dans l'optique de le reprendre en 2019 – pour un coût déjà estimé de 842 millions d'euros pour cette seule année 2019.
J'ai choisi, cette année, de m'arrêter plus spécifiquement sur l'analyse du dispositif du RIFSEEP, en ce qu'il éclaire la réflexion que vous menez actuellement sur la manière dont la notion de rémunération au mérite pourrait être généralisée dans la fonction publique et, au-delà, sur la structuration de la rémunération des agents de la fonction publique. En effet, ce dispositif RIFSEEP permet d'identifier clairement, dans la rémunération indemnitaire des agents, une partie de rémunération liée à leur fonction, leurs compétences particulières et aux contraintes de leur poste (IFSE), qui représente entre 75 % et 90 % du total de leur indemnité, et une partie dite de complément indemnitaire (CIA), qui correspond à la reconnaissance du « mérite » pour le reste. Ce dispositif, dont les échéances initiales étaient programmées le 1er juillet 2015 et le 1er janvier 2017, n'ayant pas réussi à recueillir dans les délia fixés l'adhésion et la compréhension des équipes concernées, a bénéficié d'un délai supplémentaire jusqu'au 31 décembre 2018.
Cette évolution vers la prise en compte de l'implication des agents dans la réalisation de leur mission, si elle est souhaitable, semble ne pas avoir totalement trouvé sa place dans la culture de nos administrations. Des craintes subsistent, relayées par les partenaires sociaux, vis-à-vis d'un système qu'ils imaginent individualiste et stigmatisant, alors qu'il se veut objectif et valorisant. La grande résistance rencontrée face à cette transformation, qui a pourtant moins d'incidences que le précédent dispositif de primes de fonction et de résultat, et qui s'applique à 20 % seulement des effectifs de la fonction publique d'État, explique en partie la défiance des partenaires sociaux quant à la prise en compte d'une plus grande part de « mérite » dans la rémunération de tous les agents.
Face à ces craintes, il semble intéressant de réfléchir avec les partenaires sociaux à un dispositif qui permettrait de valoriser la performance collective, comme il est possible de le mettre en oeuvre dans un accord d'intéressement. La valorisation de la satisfaction des usagers, de l'implication collective au service des administrés, de la bonne tenue des délais et des objectifs communs fondés sur des indicateurs partagés, permettrait de trouver une source de motivation individuelle au service d'un collectif. De plus, comme dans tout accord d'intéressement, cela donnerait aux agents la possibilité de se constituer une épargne salariale ou une épargne retraite, tout en participant par leur travail à l'investissement dans la vie économique de leur pays. Mais au-delà de cette résistance au changement, la refonte du régime indemnitaire via le RIFSEEP, si elle a le mérite d'avoir commencé à questionner la place de la reconnaissance individuelle des agents dans le système de rémunération, a soulevé un problème bien plus important quant à la structure profonde de la rémunération des agents de la fonction publique.
À ce jour, la rémunération des agents est constituée schématiquement de deux parties. D'une part, une rémunération indiciaire fondée sur une grille et dépendant de la valeur du point, qui obéit à des mécanismes très rigides d'avancement automatique et de progression lente, et qui sert de base au calcul des cotisations et des droits différés des agents. Et, d'autre part, les indemnités qui permettent d'adapter la rémunération au poste et à l'implication des agents, avec le RIFSEEP, mais également une myriade d'autres indemnités et primes qui forment une nébuleuse complexe et dont l'attribution peut parfois se révéler discrétionnaire. Ces indemnités n'entrent dans aucun calcul de droits à ce jour.
La diminution importante de la garantie individuelle de pouvoir d'achat (GIPA) sur la période 2014-2017, qui est passée de 300 millions à 52,3 millions d'euros, met en lumière la totale étanchéité des systèmes indiciaire et indemnitaire. L'augmentation du point d'indice en 2016 et 2017 a limité le jeu du mécanisme de garantie du pouvoir d'achat, qui est uniquement fonction du traitement brut, alors que, sur les exercices précédents, la montée en charge du RIFSEEP et des rattrapages ciblés via les primes stimulaient son augmentation. Dans l'optique d'une généralisation de la mesure et d'une évolution du régime indemnitaire, il semble inévitable de se poser la question de son articulation avec le régime indiciaire et ses mécanismes automatiques rigides. Cette question apparaît centrale, également, dans l'optique de la future réforme des retraites vers un régime général universel.
Monsieur le ministre, vous qui avez la charge de mener, ces prochaines années, une grande transformation de nos services publics, et dans les prochains mois des négociations salariales dans la fonction publique, pouvez-vous nous indiquer, à la lumière de cette première évaluation de la refonte du régime indemnitaire RIFSEEP, quelles conclusions vous tirez à la fois du coût de cette mesure, de son impact dans une nouvelle culture de la valorisation de l'implication individuelle et de la question plus structurelle qu'elle soulève sur la structuration complète de la rémunération des salariés ? Et, enfin, seriez-vous favorable dans le principe à l'idée d'une valorisation des performances collectives à travers un accord de type intéressement adapté aux spécificités de la fonction publique ?