Intervention de Jean-Paul Mattei

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 21h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Mattei, rapporteur spécial :

Nous allons maintenant aborder un sujet un peu plus statique, et je parlerai davantage du « contenant ». Monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce qui concerne la mission relative à la politique immobilière de l'État, l'année 2017 apparaît à bien des égards comme un moment charnière. Il s'agit, en effet, du premier exercice où ont été mis en oeuvre les principes et les orientations d'un acte assez fondateur dans l'organisation de cette jeune politique. Je fais référence ici à la communication présentée en Conseil des ministres le 20 janvier 2016, qui affirme l'existence et le caractère éminent du rôle dévolu à l'État propriétaire. Sur le plan budgétaire, cette volonté s'est traduite en 2017 par un certain nombre de mesures destinées à conforter l'outil de financement interministériel que constitue le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

Dans le cadre de la loi de finances pour 2017, le Parlement a d'une part supprimé le programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État » pour intégrer ces dépenses au périmètre du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » et, d'autre part, scindé le programme 723 « Contribution aux dépenses immobilières » en deux nouveaux programmes, un programme 723 désormais baptisé « Opérations immobilières nationales et des administrations centrales » et un programme 724 intitulé « Opérations immobilières déconcentrées », destinés à rassembler et à suivre les budgets régionaux. Par ailleurs, le Parlement a résolu de mettre un terme, au-delà de 2017, au versement d'une partie du produit des cessions d'actifs immobiliers au programme 721 « Contributions des cessions immobilières au désendettement de l'État ».

Mais l'exercice 2017 ne saurait se résumer à cette rationalisation, sans doute souhaitable, de la maquette budgétaire. Il importe d'en tirer des enseignements quant à la viabilité des modes de financement de la politique immobilière de l'État. Dans cette optique, je ne peux qu'exprimer de nouveau les inquiétudes dont j'avais fait part dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2018 quant à la capacité des pouvoirs publics à garantir le maintien durable de l'équilibre du CAS. Certes, la soutenabilité des dépenses ne semble pas devoir être remise en cause à brève échéance. Fin 2017, le CAS disposait d'une trésorerie de 812,42 millions d'euros. Toutefois, il s'agit là d'un montant en baisse compte tenu du solde négatif de 2017 de près de 83 millions d'euros. À l'inverse, le montant des restes à payer des programmes 723 et 724 s'accroît de 32,35 %. Leur somme n'en représente pas moins environ 53,3 % du montant de la trésorerie.

Au-delà de ces fluctuations sur plusieurs exercices, se pose naturellement la question de l'évolution respective des ressources et des dépenses. Or deux constats peuvent être établis qui, s'ils devaient être renouvelés à l'avenir au-delà de l'exercice 2017, conduiraient nécessairement à s'interroger sur la pérennité du CAS à plus long terme. Le premier porte sur la relance assez vive des dépenses imputées au CAS. Pour les seuls programmes 723 et 724, le montant des crédits consommés atteint en effet 563,4 millions d'euros en autorisation d'engagement (AE) et 467,6 millions d'euros en CP. Si l'on y ajoute la contribution forfaitaire de 60,11 millions d'euros exécutée par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères sur le programme 721, les AE et les CP consommés s'élèvent respectivement à 623,49 millions et 517,66 millions d'euros. Les dépenses du seul programme 723 (Opérations immobilières nationales et des administrations centrales) connaissent une hausse de 95,36 % en AE et de 12,28 % en CP.

Pour l'ensemble des programmes du CAS, le taux de consommation des crédits apparaît assez élevé. Il atteint en effet 105,53 % s'agissant des AE et 88,49 % en ce qui concerne les CP. Cette situation a deux causes. D'une part, la réduction significative au titre de l'exercice 2017 de la contribution au désendettement de l'État. D'autre part, le nombre plus important d'opérations engagées par le ministère des Armées et l'importance des opérations conduites par le ministère de l'Enseignement supérieur. Par rapport aux crédits prévus en loi de finances initiales pour le programme 723, les crédits consommés équivalent à 126,69 % pour les AE et 94,66 % pour les CP. Le taux d'engagement se révèle bien plus modéré en ce qui concerne le programme 724. Il faut sans doute y voir une conséquence du report de certaines opérations structurantes à l'échelon local dans les perspectives d'achèvement du volet stratégique des schémas directeurs immobiliers régionaux. Mais au-delà de sa dimension conjoncturelle, le dynamisme des dépenses ne paraît pas sans rapport avec l'extension du périmètre du CAS. Outre les opérations d'entretien à la charge du propriétaire, la loi de finances initiale pour 2017 lui a en effet confié le financement des dépenses d'investissement ou d'entretien du propriétaire réalisées par l'État sur les infrastructures opérationnelles de la Défense nationale.

Le second constat qui s'impose à l'examen de l'exécution 2017 tient à l'évolution défavorable des ressources destinées à assurer le financement des opérations relevant du CAS. De fait, au terme des recettes perçues, qui s'élèvent à 433,75 millions d'euros, cette somme s'inscrit en net retrait par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale. Elle ne représente ainsi qu'un peu plus de 74,14 % des montants inscrits. En comparaison avec l'exercice précédent, les recettes accusent un nouveau recul de 24,4 %. L'on remarquera que ce retrait fait suite à une baisse de 48,3 millions d'euros entre les exercices 2015 et 2016. L'évolution défavorable des ressources du CAS induit d'une part des apports plus réduits de deux recettes – en premier lieu les fonds de concours et, en second lieu, le versement du budget général.

Certes, la loi de finances initiale pour 2017 a étayé les modalités de financement du CAS en prévoyant l'affectation des recettes tirées des redevances d'occupation du domaine de l'État. Leur montant issu de l'exercice 2017 s'élève à 86,26 millions d'euros, supérieur de 1,48 % aux prévisions de la loi de finances initiale. Toutefois, les redevances domaniales ne paraissent pas devoir constituer une recette d'appoint. D'autre part, et surtout, il importe de souligner la poursuite de la diminution du produit des cessions immobilières observée depuis 2015. Cette recette, essentielle pour le CAS, s'établit à 347,49 millions d'euros en 2017, soit une chute de 39,43 %. Son montant représente seulement 69,49 % de la prévision inscrite en loi de finances. Cette érosion des produits des cessions immobilières correspond du reste à l'évolution du nombre de biens cédés.

En 2017, 676 biens ont ainsi été vendus, contre 889 en 2016 et 998 en 2015 – avec un montant en baisse de 23,96 %. L'on observe également une diminution du prix moyen de vente, qui passe de 589 350 euros en 2016 à 524 746 euros en 2017. En soi, ces chiffres illustrent l'importance des deux principales difficultés auxquelles les services de l'État doivent répondre et qui restreignent les ressources tirées des cessions. L'on citera évidemment, en tout premier lieu, la raréfaction progressive des biens attractifs en raison de leurs caractéristiques. En second lieu, il convient sans doute de ne pas mésestimer l'attentisme des acheteurs opérant sur le marché de l'immobilier professionnel pour les biens autres que neufs ou rénovés. Cette réalité, autant que le caractère complexe encore à vendre, pourrait justifier l'allongement des délais moyens nécessaires à la vente que mesurent les indicateurs de performance.

Ces éléments d'analyse et le bilan de l'exécution 2017 me conduisent logiquement, Monsieur le ministre, à vous interroger sur l'encadrement du dispositif de la décote qu'autorise la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public. Les travaux de contrôle réalisés depuis plusieurs semaines me portent à partager pour l'essentiel les conclusions du référé assez sévère établi par la Cour des comptes en octobre 2017. Certes, la décote a pu permettre le déblocage de certains projets qui, sans la baisse du prix de cession de bâtiments ou de terrains du domaine privé, n'auraient sans doute pas été réalisés. Mais le dispositif comporte en soi des lourdeurs procédurales qui tiennent à la gestion des listes régionales ainsi qu'à la formalisation du projet. Elles ont pu favoriser l'allongement des délais de réalisation de certaines opérations et conduire les acteurs des projets à les réaliser en dehors de cet outil. Surtout, il s'avère que le recours à la décote peut aboutir à une mobilisation de moyens très coûteuse et parfois disproportionnée au regard du nombre de logements sociaux réalisés. Ce constat vaut pour Paris, mais également ailleurs sur le territoire suivant les constats établis par la Cour des comptes.

Dans le cadre du projet de loi sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), le Gouvernement propose un certain nombre d'allégements ou de simplifications. La mise en place d'un dispositif plafonnant l'usage de la décote en fonction des réserves foncières des collectivités ou du coût de construction des logements sociaux ne pourrait-elle pas compléter utilement cette démarche ? Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre afin de s'assurer, par un contrôle a posteriori, que le financement d'un projet ne repose pas essentiellement sur l'apport de la décote ?

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