Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques :

Comme chaque année, je suis très heureux de venir devant votre commission, afin de vous présenter les travaux que la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques produisent, à la demande du législateur organique, pour éclairer le Parlement en amont de la discussion du projet de loi de règlement. Ces travaux sont au nombre de trois : l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2017 ; l'acte de certification des comptes de l'État de 2017 et le rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2017.

Pour vous en exposer les constats, j'ai à mes côtés aujourd'hui Raoul Briet, qui préside la première chambre de la Cour, et Roch-Olivier Maistre, notre nouveau rapporteur général, ainsi que Christian Charpy et Emmanuel Belluteau, présidents de section en charge respectivement du rapport sur le budget de l'État et de l'acte de certification des comptes de l'État. Ils sont accompagnés par Cécile Fontaine, Raphaëlle Eloy, Paul Bérard et Laurent Zérah, qui ont contribué très activement à l'élaboration de ces rapports. François Monier représente, quant à lui, le Haut Conseil des finances publiques, dont il est le rapporteur général.

Ce rapport mobilise beaucoup les magistrats de la Cour, car il se trouve dans le coeur de métier de l'institution.

Tout d'abord, je vous rappelle que les constats du rapport sur le budget de l'État sont illustrés et complétés par un peu plus de 3 000 pages d'analyses approfondies, que je vous encourage vivement à consulter : il s'agit de 61 notes portant sur chacune des grandes politiques publiques, de trois analyses de l'exécution des recettes, fiscales et non fiscales, et des dépenses fiscales, et de deux analyses des prélèvements sur recettes, au profit des collectivités territoriales et de l'Union européenne. Nous mettons également à votre disposition, dans un format aisément réutilisable, des jeux de données quantitatives étayant nos observations.

L'ensemble de ces documents a évidemment vocation à vous être le plus utile possible pour la suite de la procédure budgétaire. La Cour se tient naturellement à votre disposition pour vous assister au mieux dans leur exploitation, notamment à l'occasion de la nouvelle procédure d'évaluation des politiques publiques mise en place, sous votre égide, dans le cadre de l'examen de la loi de règlement.

Ma seconde remarque préalable porte sur la différence de champ entre les trois documents que je vous présente aujourd'hui : l'avis du Haut Conseil porte sur l'ensemble des finances publiques, alors que les deux rapports de la Cour concernent la situation et les comptes de l'État, et seulement de l'État. Quant au rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques dans leur globalité, qui sera publié le 27 juin, j'aurai l'occasion de vous le présenter dans un mois environ.

C'est tout d'abord en tant que président du Haut Conseil des finances publiques que je m'exprimerai.

L'avis présenté aujourd'hui est rendu en application de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Conformément à la volonté du législateur organique, le Haut Conseil doit comparer l'exécution constatée en 2017 avec la trajectoire de solde structurel définie par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

Quant au solde structurel, je rappelle qu'il s'agit du solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.

J'en viens aux deux constats principaux de l'avis.

Le premier porte sur le déficit public nominal. Après s'être élevé à 3,4 points de PIB en 2016, ce déficit s'est établi à 2,6 points de PIB en 2017, et ce alors même que la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2018-2022 avait prévu qu'il serait de 2,9 points de PIB.

Ce que constate le Haut Conseil, c'est que l'écart de 0,3 point par rapport à la prévision porte intégralement sur la composante conjoncturelle du déficit. Il s'explique par la révision à la hausse de la croissance du PIB en 2017 : la croissance retenue pour les prévisions de la loi de programmation était de 1,7 %, tandis qu'elle est à présent estimée à 2,2 %.

Le second message porte sur le déficit structurel de l'année 2017. Selon les dernières estimations, il est conforme à ce que prévoyait la loi de programmation, en recul de 0,3 point de PIB par rapport à l'année précédente. Il convient toutefois de souligner que l'effort structurel, qui mesure la part de cette amélioration résultant de l'action des pouvoirs publics, est quant à lui légèrement négatif.

Cela signifie que la réduction du déficit structurel provient du niveau particulièrement élevé de l'élasticité des prélèvements obligatoires, c'est-à-dire du rapport entre la croissance de ces prélèvements et la croissance du PIB, et non d'ajustements structurels comme des mesures de maîtrise des dépenses.

En définitive, le Haut Conseil relève que le passage du déficit public sous le seuil de 3 points de PIB, qui doit permettre à la France de sortir de la procédure de déficit excessif, ainsi que la Commission européenne l'a recommandé il y a quelques semaines, a été obtenu sans effort budgétaire structurel de la part des pouvoirs publics.

Il souligne que le non-respect de la trajectoire de dépenses ne pourra pas toujours être compensé par de bonnes surprises en matière de recettes, que ces bonnes surprises soient directement liées à la conjoncture ou à une forte élasticité des recettes au PIB.

En d'autres termes, le respect de la trajectoire des finances publiques adoptée par les pouvoirs publics passera nécessairement par la mise en oeuvre des efforts annoncés dans la loi de programmation, en particulier en matière de dépenses publiques, dans un contexte de croissance qui peut être plus chahuté qu'il ne l'est aujourd'hui : peut-être aurons-nous l'occasion d'aborder le sujet à la fin du mois.

C'est en tant que Premier président de la Cour des comptes que je vais à présent vous présenter les conclusions de notre rapport sur l'exécution du budget de l'État.

Dans l'audit des finances publiques, la Cour avait identifié les risques qui pesaient sur le respect des objectifs de finances publiques définis par le précédent Gouvernement, tant dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2017 que dans le programme de stabilité transmis à la Commission européenne. Ces risques portaient principalement sur le budget de l'État.

Au regard des prévisions macroéconomiques disponibles à l'époque et de l'évolution prévisible des dépenses de l'État, cet exercice a fait apparaître la nécessité d'effectuer un effort de correction de la trajectoire à hauteur de 8 à 9 milliards d'euros, pour respecter l'objectif de déficit public pour 2017, établi à 2,8 points de PIB au moment du programme de stabilité d'avril 2017, après l'avoir été à 2,7 au moment de la loi de finances initiale.

À la suite de cet audit, le Gouvernement s'est attaché à mettre en oeuvre des mesures de redressement, par une « reprogrammation » très large des crédits budgétaires. En définitive, le déficit de 2017 s'est établi à 2,6 points de PIB. Il s'agit certes d'un chiffre proche de ce qui avait été annoncé, mais il recouvre une réalité très différente de ce qui avait été présenté à l'époque.

Les constats du rapport que nous avons rendu public il y a quelques jours et qui portent, je le rappelle, sur le seul budget de l'État, permettent effectivement d'affirmer dès à présent et sans ambiguïté que les risques identifiés dans l'audit de juin 2017 sur les dépenses et les recettes non fiscales se sont vérifiés, donc que la Cour ne s'est pas trompée.

Conformément à sa mission et comme elle l'avait déjà fait à de nombreuses reprises par le passé dans ses rapports sur le budget de l'État, la Cour a signalé en 2017 un risque lourd de dérapage des dépenses par rapport à des prévisions manifestement sous-évaluées dans la loi de finances initiale, ces sous-budgétisations constituant autant d'éléments d'insincérité affectant le texte financier. Ces risques se sont, malheureusement, intégralement matérialisés.

La Cour a également pointé une surévaluation des recettes non fiscales et des recettes de la lutte contre la fraude fiscale. Et celle-ci s'est également vérifiée.

En réalité, ce qu'il faut bien comprendre, et ce que pointe d'ailleurs le Haut Conseil dans l'avis que je vous présentais à l'instant, c'est que la baisse du déficit résulte d'une hausse globale des recettes, elle-même due à une forte augmentation des recettes fiscales, supérieure à une forte progression des dépenses.

À cet égard, l'estimation des recettes fiscales sur laquelle s'est fondée la Cour en juin 2017 reposait sur les prévisions de croissance établies à cette date, de façon consensuelle, par les instituts de conjoncture, autour de 1,5 %. Si ces recettes ont fortement augmenté, c'est parce qu'en définitive la croissance effectivement constatée pour 2017 s'est élevée à 2,2 %. Mais ce n'était pas la base de calcul pour la loi de finances initiale pour 2017.

C'est sur ce point, et exclusivement sur ce point, que porte l'écart entre les prévisions formulées par la Cour dans son audit et les évolutions effectivement constatées.

J'en viens aux cinq constats de la Cour sur l'exécution du budget de l'État en 2017. Tout d'abord, le déficit du budget de l'État – à ne pas confondre avec le déficit public, qui correspond au solde global des administrations publiques et sur lequel portait l'audit – ne s'est que très faiblement réduit et demeure élevé.

Le déficit constaté en comptabilité budgétaire s'est établi à 67,7 milliards en 2017, à un niveau certes inférieur de 1,7 milliard à celui qui avait été prévu en loi de finances initiale, mais qui ne représente qu'une baisse limitée de 1,4 milliard par rapport au solde constaté en 2016.

Toutefois, il convient de noter que ce déficit ne tient pas compte d'une recette de 1,5 milliard de droits d'enregistrement qui n'a pas pu être comptabilisée.

En l'état, le déficit ne s'est pas significativement réduit, et ce pour la troisième année consécutive. Surtout, il reste à un niveau élevé. En témoignent deux ordres de grandeur à garder toujours à l'esprit : d'une part, ce déficit représente plus de 20 % des dépenses nettes du budget général ; d'autre part, il est supérieur de près de 22 milliards au niveau qui permettrait de stabiliser la dette dans le PIB.

Le déficit budgétaire demeure donc trop élevé de 22 milliards pour stopper la détérioration de la situation financière de l'État. Le poids de la dette de l'État dans la richesse nationale est ainsi passé de 72,7 % du PIB en 2016 à 73,6 % en 2017. À la fin de l'année 2017, cette dette représentait 80 % de celle de l'ensemble des administrations publiques.

Cette évolution place la France en décalage par rapport aux grands pays de la zone euro : plusieurs d'entre eux ont en effet commencé à réduire le poids de leur dette publique dans le PIB. Je pense par exemple à l'Allemagne, aux Pays-Bas ou à l'Espagne.

La plus grande vigilance demeure de mise, au regard du risque de remontée des taux d'intérêt. C'est un point sur lequel je veux insister ce matin. Il est vrai que cette hausse est annoncée depuis longtemps. Comme elle ne s'est pas matérialisée, on a fini par s'habituer à son absence persistante. Alors qu'elle baissait continûment depuis 2012, la charge de la dette de l'État français a cependant légèrement augmenté en 2017, s'établissant à 41,7 milliards d'euros, contre 41,4 milliards en 2016. Cette charge s'est avérée très légèrement supérieure aux prévisions initiales, alors que l'on constatait l'inverse depuis plusieurs années.

La poursuite de cette hausse aurait un lourd impact sur le solde budgétaire de l'État : selon le ministère des finances, un accroissement de 1 % sur la courbe des taux entraînerait, selon le ministère des finances, une augmentation de la charge de la dette de 2,1 milliards la première année, 4,8 milliards la deuxième année et 19,1 milliards au bout de dix ans.

La faible évolution du déficit budgétaire masque de forts écarts sur le niveau tant des recettes, portées par l'accélération de l'activité, que des dépenses, en très forte hausse aussi bien dans la loi de finances initiale qu'en exécution. C'est l'objet des deux constats suivants du rapport.

S'agissant tout d'abord des recettes, la Cour observe que leur hausse est due, d'une part, à l'accélération de l'activité, d'autre part au niveau conjoncturellement faible des prélèvements sur recettes destinés à l'Union européenne.

En 2017, les recettes de l'État se sont établies à 249,3 milliards, en hausse de 14,4 milliards par rapport à 2016 et de 5,5 milliards par rapport à la loi de finances initiale.

Cette forte augmentation est largement due au dynamisme des recettes fiscales observé essentiellement en fin d'année, qui est lui-même dû à l'accélération de l'activité économique. L'élasticité des impôts d'État s'est ainsi établie à 1,8 en 2017, soit un niveau nettement supérieur à sa valeur de long terme, l'élasticité des prélèvements obligatoires toutes administrations publiques confondues étant de 1,4.

Tous les grands impôts ont vu leur produit augmenter, en particulier la TVA et l'impôt sur les sociétés.

En revanche, et conformément aux prévisions de la Cour, plusieurs postes de recettes avaient été surestimés dans les prévisions : il s'agit des recettes du service de traitement des déclarations rectificatives, comptabilisées à 1,1 milliard contre 2,1 milliards en LFI sur le périmètre de l'État, et des recettes non fiscales, comptabilisées à 13,8 milliards contre 14,5 milliards en LFI.

Par ailleurs, le prélèvement sur recettes destiné à l'Union européenne a atteint 16,4 milliards en 2017, soit son plus faible niveau depuis 2005. Cette baisse, qui résulte principalement de retards dans la consommation des crédits européens, est temporaire. Un rattrapage important a d'ailleurs été prévu par la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022. La loi de finances initiale prévoyait 19 milliards. Vous voyez donc que la différence est importante.

Au-delà de ces évolutions globales, je voudrais faire état de trois points d'attention soulignés par la Cour au sujet des recettes de l'État.

D'abord, elles se trouvent fragilisées par des contentieux fiscaux de série, liés à la fois au développement du droit communautaire dans le champ fiscal et au contrôle de constitutionnalité a posteriori. Les provisions pour ces contentieux de série, qui traduisent ce risque dans le compte général de l'État, s'établissent ainsi à 10,5 milliards en 2017. Ces contentieux fragilisent de manière durable les recettes fiscales et rendent nécessaire un effort de sécurisation de la norme fiscale.

Deuxième remarque : les pouvoirs publics semblent avoir renoncé aux efforts de maîtrise des dépenses fiscales.

Celles-ci ont atteint 93 milliards en 2017, en progression globale de 5,4 milliards par rapport à 2016, et de 1,9 milliard hors crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi.

Cette croissance traduit l'inefficacité des dispositifs de plafonnement et d'évaluation, dont l'ambition se réduit d'ailleurs à chaque loi de programmation. Le plafond prévu par celle de 2018-2022 est ainsi placé près de 20 milliards au-dessus du niveau actuel des dépenses fiscales, ce qui le rend par avance inopérant.

La Cour, qui a souligné dans de nombreux rapports le coût, l'inefficacité et le défaut de pilotage d'un certain nombre de dépenses fiscales, ne peut que regretter ce renoncement.

Enfin, malgré des progrès récents, les méthodes utilisées par le ministère des finances pour prévoir les recettes peuvent encore gagner en transparence. Le rapport formule plusieurs recommandations dans ce sens, préconisant par exemple la publication annuelle, dans les annexes du projet de loi de finances, des modèles de prévision utilisés par l'administration.

J'en viens aux dépenses de l'État, qui ont également connu une progression rapide, ce qui traduit à la fois les choix opérés en loi de finances initiale pour 2017 et la nécessité ultérieure de couvrir les risques relevés par la Cour dans son audit. C'est le troisième message de la Cour.

Comme je le rappelais en introduction, l'audit de juin 2017 avait mis en évidence des sous-budgétisations manifestes, d'importants reports de charges de l'année précédente et divers aléas de gestion.

L'impact combiné de ces éléments sur le niveau des dépenses réelles par rapport aux dépenses prévues pour 2017 était évalué à l'intérieur d'une fourchette allant de 4,6 milliards à 6,6 milliards.

Le dérapage constaté en définitive s'élève à 6,4 milliards, dont 4,4 milliards pour les sous-budgétisations, ce qui signifie que le risque identifié s'est malheureusement matérialisé.

Pour couvrir les écarts repérés par la Cour, le nouveau Gouvernement a mis en oeuvre une vaste opération de reprogrammation des crédits. Il a procédé à des économies, via des annulations et des redéploiements massifs, ce qui n'a cependant pas évité une ouverture nette de crédits de 3,1 milliards.

Cela explique pour partie l'augmentation sensible des dépenses du budget général. L'autre partie correspond à la situation de départ de 2017, caractérisée par une hausse des crédits ouverts en loi de finances initiale de 5,9 milliards par rapport aux montants exécutés en 2016.

Globalement, les budgets des ministères, hors charge de la dette et pensions, ont connu une hausse inédite depuis 2007 : 10,6 milliards, soit 4,8 %. En neutralisant les effets de certains contournements de la charte de budgétisation, qui ont sorti certaines dépenses du budget général, la Cour évalue la hausse réelle de ces dépenses à 13,6 milliards, soit 6,2 %, à périmètre constant.

L'observation des dépenses selon leur nature fait apparaître une augmentation importante des dépenses de personnel, de fonctionnement et d'intervention.

Les dépenses de personnel, hors pensions, augmentent de 4 %, soit plus qu'au cours des six dernières années cumulées, en raison de l'accroissement des recrutements prévu dans la loi de finances initiale et de l'impact des mesures générales et catégorielles, prises notamment dans le cadre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations ».

Les dépenses de fonctionnement augmentent, quant à elles, de 4,7 % à périmètre constant. En revanche, les dépenses d'investissement sont stables par rapport à 2016, mais en baisse de 7,1 % par rapport à la prévision de la loi de finances initiale pour 2017.

Au-delà de ces données synthétiques, les notes d'exécution budgétaires annexées au rapport vous permettront de disposer d'une vision très précise de l'évolution des dépenses de chacune des missions du budget de l'État.

À titre d'exemple, vous trouverez dans la NEB Travail et emploi les implications budgétaires des réformes récentes portant sur des dispositifs comme les contrats aidés, la prime à l'embauche ou le contrat de génération.

La NEB Sécurités, quant à elle, observe les modalités du déploiement des plans de lutte contre le terrorisme (PLAT) et du pacte de sécurité (PDS), qui avaient été lancés en 2015, ainsi que du plan de sécurité publique (PSP) annoncé fin 2016.

Les NEB Égalité des territoires et logement et Solidarité, insertion, égalité des chances vous permettront respectivement de faire le bilan des mesures d'économies décidées en matière d'aides personnalisées au logement, et de constater les sous-budgétisations importantes de la prime d'activité ou de l'allocation aux adultes handicapés.

Vous le voyez, la matière préparée à votre intention est très riche. Je le soulignais en introduction, la Cour se tient prête à répondre à vos questions et à vous permettre de l'exploiter le mieux possible, selon vos souhaits.

S'agissant des dépenses, je souhaite par ailleurs appeler votre attention sur deux points particuliers.

Tout d'abord, la Cour constate qu'un effort a été effectué en 2017 pour apurer des dettes qui avaient été constituées fin 2016. Dès lors, les crédits reportés sur 2018 ont été réduits des deux tiers, ce qui allège les tensions budgétaires de court terme ; le niveau des reports de charges a aussi dégonflé de 600 millions.

Second point d'attention : le budget exécuté diffère très significativement du budget voté. Au-delà de l'évolution globale des dépenses, la répartition des crédits entre les différentes missions du budget général a été significativement modifiée, traduisant des priorités différentes entre la budgétisation initiale des crédits et leur exécution.

Certaines missions ont ainsi vu leurs crédits consommés largement en hausse par rapport aux crédits prévus en loi de finances initiale, hors crédits de personnel. Il s'agit de celles pour lesquelles les sous-budgétisations et les aléas ont été les plus importants, comme les missions Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales, qui a connu une augmentation de 50 %, ou Immigration, asile et intégration, dont la hausse a été de 29 %.

Certaines autres missions ont en revanche vu leurs crédits baisser. Je pense à la mission Écologie, développement et mobilité durables, qui a diminué de 2,9 %, mais aussi aux missions Sécurités», Aide publique au développement et Justice, dont les crédits ont baissé respectivement de 4,7 %, 4,5 % et 4,1 %.

Bien évidemment, ce constat d'un écart important entre le budget voté et le budget exécuté ne peut manquer d'interroger sur la portée du vote de la loi de finances initiale par le Parlement. Il souligne de fait l'importance de la loi de règlement, dont l'examen offre l'opportunité pour le Parlement de renforcer ses ambitions en matière de contrôle des résultats des politiques publiques. Je ne peux donc que me réjouir des initiatives prises récemment dans ce sens par l'Assemblée nationale, et par votre commission en particulier.

Après ces observations générales sur le solde, les recettes et les dépenses de l'État, je voudrais vous faire part rapidement de deux observations spécifiques sur le budget de l'État. L'une porte sur le respect des grands principes budgétaires, l'autre sur la pratique de la mise en réserve de crédits.

L'année 2017 a vu la persistance d'un certain nombre de dispositifs ou de pratiques de gestion qui s'éloignent des grands principes budgétaires. Leur accumulation limite la capacité du Parlement à appréhender l'action de l'État d'une façon globale et claire.

À titre d'exemple, les programmes d'investissements d'avenir (PIA) obéissent, en dépit de progrès récents, à des modalités de gestion dérogatoires, qui méconnaissent les principes d'universalité, d'annualité, de spécialité et de sincérité.

Autre contournement des principes budgétaires : l'utilisation des fonds sans personnalité juridique, véhicules financiers contrôlés par l'État ou d'autres personnes publiques et dont la gestion est confiée à des tiers. Il s'agit par exemple du fonds d'aide à l'innovation, de l'enveloppe spéciale de transition énergétique ou encore des fonds de garantie gérés par Bpifrance.

Placés en dehors du budget de l'État, les montants qui leur sont affectés s'affranchissent largement des principes budgétaires et sont soustraits pour tout ou partie à l'examen du Parlement. Une remise en ordre est indispensable et urgente : par-delà l'amélioration de leur pilotage, elle passe par un choix clair entre, selon les cas, une intégration au budget de l'État, ou une véritable délégation à des opérateurs.

De surcroît – et il s'agit d'un constat réitéré –, la Cour souligne la faiblesse effective du pilotage par la performance, dont le principe et les modalités avaient été prévus par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) il y a dix-sept ans.

Cette faiblesse, illustrée dans notre rapport par des exemples précis, résulte à la fois des limites structurelles inhérentes au principe des indicateurs de performance et de leur exploitation insuffisante pour l'information des citoyens et des parlementaires comme pour la programmation et l'exécution budgétaires.

Pour autant, les indicateurs de performance sont nécessaires et utiles pour contribuer à généraliser une culture de l'évaluation indispensable à l'amélioration effective de la gestion publique. Les efforts conduits pour expliciter clairement les objectifs des politiques financées par les programmes, améliorer les indicateurs et mieux les intégrer au suivi de la gestion doivent donc être poursuivis sans relâche.

Enfin, il ressort de nos analyses que la pratique de la mise en réserve de crédits a été détournée de son objectif initial. Ce sera mon dernier message sur le budget de l'État.

La loi organique de 2001 a encadré la pratique d'une mise en réserve annuelle de crédits pour permettre des redéploiements en cours d'année et couvrir ainsi les inévitables aléas de gestion. Cette mise en réserve a pris la forme de taux de gel sur les dépenses de personnel et sur les autres dépenses, appliqués à l'ensemble des missions budgétaires. Les besoins de redéploiement en cours d'année ayant crû en proportion de l'ampleur des sous-budgétisations et des reports de charges, le taux de gel initial hors crédits de personnel a atteint 8 % depuis 2015.

Toutefois, il est apparu que la réserve initiale constituée était partiellement virtuelle, dans la mesure où elle était appliquée pour une large part à des dépenses inéluctables. La pratique de gels supplémentaires sur des postes plus ciblés, dénommés « surgels », s'est donc développée massivement depuis 2015, si bien que la mise en réserve totale a dépassé 15 milliards en 2016 et 2017, soit plus de 10 % des crédits totaux ou encore 14,3 milliards hors dépenses de personnel.

Si les surgels ont permis d'augmenter les annulations infra-annuelles de crédits, ils n'ont pas permis pour autant d'éviter de fortes ouvertures nettes de crédits en 2017. Ils ont eu par ailleurs pour effet de concentrer la pression sur certains programmes, notamment les plus petits ou d'autres, pourtant affichés initialement comme prioritaires.

En définitive, la Cour relève que la pratique de la mise en réserve de crédits a été détournée de son objectif initial de couverture des aléas de gestion et a été utilisée essentiellement pour remédier aux sous-budgétisations croissantes d'une année sur l'autre.

Compte tenu de son ampleur, ce mode de régulation diminue la portée de l'autorisation parlementaire en matière budgétaire, en limitant la pertinence de la justification au premier euro et en altérant la qualité de l'information disponible. Il réduit en outre les marges de manoeuvre et la visibilité des gestionnaires, ce qui ne peut que conduire à les déresponsabiliser. Ce n'est pas l'inconvénient le moins important.

Nous estimons aujourd'hui nécessaire de revenir durablement à une mise en réserve d'un niveau modéré, visant à couvrir les seuls aléas de gestion. Cela suppose une budgétisation initiale plus sincère. Je relève que le budget 2018 s'est inscrit dans cette perspective, avec une réserve initiale fixée à 3 %, hors dépenses de personnel. Il appartiendra à la Cour, le moment venu, d'apprécier cette orientation.

Avant de conclure mon propos, je souhaite dire un mot des principaux constats de l'acte de certification des comptes de l'État pour l'exercice 2017, qui vient utilement compléter, sous l'angle de la comptabilité générale, ceux que nous formulons sur le plan budgétaire.

Je vous rappelle, pour commencer, les trois chiffres-clés du bilan de l'État au 31 décembre 2017 : d'une part, le passif total est de 2 178 milliards ; d'autre part, le total des actifs atteint 979 milliards ; enfin, les engagements hors bilan de l'État s'élèvent à 4 166 milliards, dont la moitié correspond aux retraites.

La situation nette, fortement négative, s'établit à -1 260 milliards fin 2017. Je voudrais souligner que cela correspond à quatre années de produits fiscaux, contre seulement deux fin 2006. La perte de l'exercice s'élève à 61 milliards, contre 78 milliards en 2016.

Deuxième point : la Cour certifie que, au regard des règles et principes comptables qui lui sont applicables, le compte général de l'État de l'exercice 2017 est régulier et sincère, et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'État, sous quatre réserves substantielles.

En effet, si les progrès réalisés permettent de lever cette année quinze parties de réserve formulées sur les comptes de l'État de 2016, les quatre réserves substantielles énoncées l'an dernier demeurent. Elles portent d'abord sur les limites générales auxquelles est confrontée la Cour dans l'étendue de ses vérifications, qui concernent le système d'information financière et les insuffisances du dispositif de maîtrise des risques, c'est-à-dire le contrôle interne. Les réserves portent aussi sur les anomalies relatives aux stocks militaires – problème récurrent – et aux immobilisations corporelles, sur les anomalies relatives aux immobilisations financières et sur les anomalies relatives aux charges et aux produits régaliens.

Troisième point : les états financiers que la Cour certifie montrent bien le contexte dans lequel sont gérées les finances publiques et dans lequel, en particulier, est préparé le budget de l'État.

Le passif de l'État représente plus du double de son actif, c'est-à-dire que ce qu'il doit et qui donnera lieu à des décaissements au cours des années qui viennent représente deux fois ce qu'il possède. Et encore, ces chiffres ne comprennent pas les engagements hors bilan.

À ce sujet, je saisis d'ailleurs cette occasion pour vous confirmer que la Cour remettra au Sénat un rapport sur la dette des entités publiques.

Enfin, quatrième et dernier point mis en valeur par l'acte de certification : la dynamique d'amélioration de la fiabilité des comptes de l'État ralentit quelque peu.

L'acte de certification, de même que le rapport que nous publions également cette année sur la « qualité des comptes » des entités soumises à la certification par un commissaire aux comptes, montrent que la fiabilité des comptes s'est améliorée globalement sur ces dernières années.

Cependant, les progrès significatifs réalisés depuis 2006 ont surtout été obtenus dans les premières années qui ont suivi l'entrée en vigueur du volet comptable de la LOLF : je rappelle que, sur les quatorze réserves levées par la Cour en douze ans, une seule l'a été au cours des cinq derniers exercices.

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