Intervention de Francis Allard

Réunion du mercredi 26 juillet 2017 à 17h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Francis Allard, professeur émérite au Laboratoire des sciences de l'ingénieur pour l'environnement, LASIE :

Je vais dresser un tableau des enjeux de la recherche-développement dans le domaine du bâtiment, en rappelant d'abord l'impact économique, social et environnemental du bâtiment.

Comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, dans les pays industrialisés, le bâtiment représente un peu plus de 40 % de la consommation d'énergie finale. C'est vrai en France : les chiffres oscillent suivant les années autour des 40 %. Du point de vue environnemental, le bâtiment est le plus gros producteur de déchets. Le bâtiment correspond aussi, comme vous l'avez dit, à 25 % des émissions de carbone, mais, si on s'intéresse à l'empreinte carbone, c'est-à-dire les émissions réelles de carbone tout au long du cycle de vie du bâtiment, on approche les 40 % de l'empreinte carbone générale. Le bâtiment est donc un élément essentiel de toute politique énergétique et environnementale.

Sur le plan économique, les gens du bâtiment ont l'habitude de dire que ce secteur représente ceux de l'assurance et de la banque réunis. Nous parlons annuellement de la construction de 40 à 50 millions de m2. Ce sont aussi 300 000 entreprises employant 4 millions de salariés et artisans, ainsi que 130 milliards d'euros de chiffre d'affaires au sein du PIB, cette activité ne pouvant pas être en principe délocalisée.

Malheureusement, c'est aussi un secteur qui traditionnellement en France investit peu dans la recherche : 0,1 % ou 0,2 % du chiffre d'affaires. En ce domaine, les chercheurs doivent répondre à trois enjeux sociétaux.

Le premier tient à l'importante consommation d'énergie primaire du bâtiment. La recherche s'attache donc à minimiser la demande énergétique des bâtiments, sans nuire ni à la santé ni au confort des usagers. On n'a jamais construit un bâtiment pour économiser de l'énergie ou limiter des émissions carbone. Si l'on construit des bâtiments, depuis la nuit des temps, c'est d'abord pour des raisons de sécurité améliorée, c'est-à-dire des conditions de confort et de santé.

Le deuxième enjeu est celui de l'impact du bâtiment sur le changement climatique. Il s'agit d'abord de limiter l'impact environnemental des bâtiments à l'échelle locale – la problématique des îlots de chaleur urbains – et à l'échelle globale, il s'agit du changement climatique global, dont on parle plus.

Le troisième problème est celui de la précarité énergétique. Si la définition du phénomène peut varier d'un pays à l'autre, il vise l'ensemble des populations qui, pour des raisons financières, ne vivent pas dans des ambiances confortables, soit par manque de chauffage, soit par manque de climatisation dans des pays plus chauds.

En ce qui concerne le premier objectif, les enjeux de la recherche sont très variés. Le bâtiment est aussi un domaine d'application de la technologie, notamment avec les matériaux à propriétés spécifiques. Quant aux enjeux méthodologiques, il est beaucoup question, aujourd'hui, de multi-performance. Mais la multi-performance nécessite la définition d'indicateurs de métrique et de méthodes d'évaluation. Il faut faire évoluer les outils de simulation. On a aujourd'hui besoin de méta-modèles pour l'aide à la décision. Il n'est plus question de donner une valeur exacte, mais d'apprécier l'impact d'une décision sur l'évolution d'un projet.

La recherche comportementale, qui occupe une très petite communauté de chercheurs travaillant en France, vise tout ce qui concerne la qualité d'usage : le comportement des usagers, l'économie, les aspects sanitaires en ce qui concerne l'environnement, la santé et le confort des usagers.

Le deuxième objectif est relatif à l'impact du bâtiment sur le réchauffement climatique. À l'échelle locale, le phénomène de l'îlot de chaleur urbain est le plus intense et le plus préoccupant aujourd'hui dans les villes. De même que précédemment, tous les secteurs de la recherche sont concernés. Je ne les reprendrai pas en détail. Parmi les plus importants, l'ilot de chaleur urbain provient, pour 50 %, de la morphologie urbaine, du piégeage radiatif du tissu urbain, et, pour 50 %, des activités anthropiques. On peut donc agir à la fois sur l'un et sur l'autre : les innovations portent sur des revêtements, sur des matériaux, sur des systèmes à faible impact environnemental qui peuvent être intégrés en ville.

Le troisième objectif, est le « zero energy poverty ». En Europe, entre 100 et 150 millions de personnes sont concernées. Les données récentes pour la Grèce, le Portugal, la Slovaquie ou l'Irlande sont édifiantes.

Il y a quelques années, une étude réalisée par le cercle des économistes de Copenhague sur les bénéfices financiers, pour les États, d'une large réhabilitation des bâtiments en Europe, liait ceux-ci, en premier lieu, à l'amélioration de la santé.

Tous ces problèmes sont joints. On a besoin d'une approche systémique. L'apport des sciences humaines et sociales est très important. Elles ne sont peut-être pas suffisamment mobilisées, aujourd'hui, dans notre secteur de recherche.

Outre une appropriation par la recherche, est également nécessaire le développement de solutions d'ingénierie financière. Aujourd'hui, le frein à la réhabilitation en Europe, tient à ce que personne ne peut se l'offrir du fait du coût des technologies existantes. Il faut donc trouver des solutions techniques à coût abordable, ce qui nécessite un effort important de recherche et d'innovation, de même qu'une évaluation des impacts socio-sanitaires et financiers.

Quelles sont les difficultés actuelles ?

Ces dernières années, les politiques de soutien à la recherche mises en oeuvre ont fait que les budgets recherchent ont marqué une forte décroissance. La communauté scientifique dans ce secteur est une petite communauté, quantitativement faible par rapport à ce qui prévaut, notamment, dans les pays du Nord. Trop peu de projets sont financés par l'Agence nationale de la recherche. Ces dernières années, un ou deux projets ont été alloués chaque année à de jeunes chercheurs dans ces secteurs au titre du « défi 6 ».

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