Intervention de Hervé Morin

Réunion du mardi 15 mai 2018 à 18h15
Commission des affaires sociales

Hervé Morin, président de Régions de France :

Je suis heureux de retrouver cette assemblée où j'ai siégé pendant vingt ans, ce qui ne me rajeunit pas, et je suis heureux de m'exprimer devant les membres de la commission des affaires sociales, dont j'ai fait partie, pour essayer de les convaincre une dernière fois que le dispositif envisagé ne marchera pas.

A-t-on en effet vraiment analysé les causes de la faiblesse de l'apprentissage en France ? Au-delà du fait que le Conseil d'État l'a signalée, pour nous, cette faiblesse n'est en rien imputable aux régions dont je rappelle qu'elles n'ont la compétence pleine et entière en la matière que depuis 2015. Pour nous, la première de ces causes tient à la crise économique majeure pendant laquelle les effectifs de l'apprentissage ont servi de régulateur pour les entreprises. La deuxième cause est que le système français est devenu si complexe qu'il a découragé les entreprises d'embaucher des mineurs en apprentissage, qu'il s'agisse des règles concernant le temps de travail, des conditions de travail, de recrutement… Je note au passage avec satisfaction que le Gouvernement entend évoluer sur ce point. Le troisième facteur est lié à la politique de yoyo menée par la précédente majorité et qui a conduit à une rupture de la confiance entre le monde de l'économie et le Gouvernement d'alors – tous les services des conseils régionaux se souviennent du moment où la prime pour l'embauche accordée aux entreprises a été supprimée alors que l'embauche d'apprentis avait déjà été entérinée. S'y ajoute une quatrième cause : on ne peut pas, en France, devenir président-directeur général (PDG) d'une entreprise du CAC40 en étant passé par l'apprentissage, alors que c'est le cas en Allemagne où un ancien apprenti peut devenir PDG de Mercedes-Benz – c'est une question culturelle, de représentation, bien connue.

Nous n'en sommes pas moins d'accord avec le texte sur un certain nombre de points. Le premier est la définition des diplômes par les branches professionnelles : il n'y a aucun doute sur le fait qu'il faille confier au monde de l'économie les certificats de qualification professionnelle (CQP) par exemple. Pour nous, l'apprentissage doit être une co-construction – c'est d'ailleurs déjà une réalité dans les régions : j'ai créé mille places d'apprentissage en Normandie, et il ne me serait pas venu à l'idée d'en ouvrir une sans l'accord des branches professionnelles. Ensuite, un vrai facteur d'amélioration de l'apprentissage, en France, j'y ai fait allusion, est la simplification des normes, mais aussi le fait, notamment, qu'on puisse embaucher des apprentis jusqu'à l'âge de trente ans. Je tiens, à ce stade, à souligner que je m'exprime au nom des treize régions, unanimes sur le sujet.

Reste que nous avons une grande interrogation : un des pans de l'éducation du pays doit-il être confié à l'économie de marché, à savoir à la loi de l'offre et de la demande ? Quand on déclare vouloir confier l'apprentissage aux branches, on commet une erreur puisque, désormais, l'apprentissage sera ouvert à toute structure qui décide, dès lors qu'elle est certifiée, de proposer une offre d'apprentissage. Or je ne crois pas qu'un seul secteur de l'éducation nationale fonctionne suivant cette modalité : l'enseignement privé sous contrat est entièrement sous le contrôle de l'État… Aussi la formation en alternance sera-t-elle le seul secteur où la loi du marché déterminera l'ouverture ou la fermeture de places d'apprentissage ? C'est une question politique au sens noble du terme.

Une autre interrogation de notre part touche à l'articulation entre les centres de formation gérés par le monde de l'économie et les lycées professionnels. Selon cette grande spécificité française, les régions, avec l'éducation nationale et le monde professionnel, confient une partie de la formation aux centres de formation et une autre partie aux lycées professionnels. Or, demain, rien n'empêchera une branche ou un acteur privé d'ouvrir un centre de formation aux portes mêmes d'un lycée professionnel. Les investissements de plusieurs dizaines de millions d'euros et les investissements humains réalisés dans ces lycées professionnels peuvent-ils, du jour au lendemain, être remis en cause quand, dans le même temps, ces lycées participent à la formation en alternance – de mémoire, 15 % à 20 % des apprentis sont formés dans ces lycées ?

Se posera en outre, inévitablement, la question du coût et du financement de l'apprentissage dans les lycées professionnels – assuré en partie par les régions pour ce qui est des structures et d'une partie de leur fonctionnement.

Or ces interrogations, le projet de loi est loin d'y répondre.

Le Gouvernement, par ailleurs, n'a pas tenu la parole donnée à l'occasion des nombreuses réunions de travail que nous avons eues avec le Premier ministre, la ministre du travail et le ministre de l'éducation nationale, à commencer par l'orientation. Le communiqué de presse du Premier ministre, du mois de novembre dernier, précisait que la responsabilité de l'orientation et de l'information serait confiée aux régions. Parce qu'on n'a pas le courage d'affronter la question, le projet de loi confie aux régions l'information – soit les 300 personnels des directions régionales de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (DRONISEP), sachant que la direction nationale continue d'être contrôlée par l'État. Or la totalité de l'information et de l'orientation est l'un des points clés de la réussite de l'apprentissage. Si vous ne transformez pas en profondeur l'information et l'orientation non seulement des jeunes mais des familles, vous ne remplirez pas les centres de formation. Tant que prévaudra le même imaginaire, véhiculé par ceux qui sont chargés d'informer et d'orienter les jeunes – « tu es bon donc tu vas t'orienter vers la filière générale ; tu es mauvais donc tu vas faire une formation professionnelle » –, ça ne marchera pas. Quand, à la demande des branches professionnelles, nous ouvrons des sections d'apprentissage dans les bassins d'emploi, que constatons-nous ? Que nous ne parvenons pas à remplir les centres de formation. Pourquoi ? Parce qu'on dit aux jeunes : « Ce n'est pas ce métier-là qu'il faut que tu fasses parce que tu es trop bon ; reste donc dans la filière générale. »

J'imagine que vous êtes allés dans les pays où l'apprentissage réussit. Je me suis moi-même rendu en Allemagne dès que j'ai été élu président de conseil régional. Le système y est planifié, impliquant le monde de l'économie et celui de l'éducation. Une structure y organise l'information et l'orientation. Or on ne connaît plus les métiers aujourd'hui, en France. Je le disais tout à l'heure à un groupe parlementaire : gamin, quand j'allais à l'école, je découvrais les métiers car ils étaient dans mon village. Les métiers sont aujourd'hui exercés à la périphérie des villes et dans des entreprises fermées à double tour. Comment voulez-vous connaître un métier avec un conseiller d'orientation-psychologue (COPSY) – dont, à la demande des syndicats, le nom est devenu « psychologue de l'éducation nationale » (PSYEN) ? On a rayé de leur appellation le mot « orientation ».

Je prends l'exemple de l'usine Renault de Flins, que je suis allée visiter il y a quelques semaines. Elle est considérée comme l'une des plus performantes au monde puisque classée par un organisme américain comme la deuxième dans le secteur de la métallurgie automobile. Comment voulez-vous vous représenter la maintenance industrielle dans des usines « 4.0 » ? On est tellement loin de l'imaginaire qui continue de prévaloir ! Comment pouvez-vous imaginer tous les métiers de la métallurgie quand la représentation que vous en avez vous vient de votre lecture de Zola ? Il faut en outre savoir que 70 % des jeunes, auxquels le psychologue de l'éducation nationale ne consacrera en moyenne que six minutes chacun, déterminent leur orientation à la suite d'un dialogue avec leur famille. Il faut par conséquent créer un système intégrant non seulement le jeune mais aussi sa famille afin qu'elle prenne conscience que tel métier est bien payé, qu'il permet des évolutions professionnelles. Aussi l'absence de courage, il faut le dire, d'affronter tel syndicat, donc le non-respect de l'engagement pris par le ministre de l'éducation nationale et le Premier ministre lors de la conférence de presse de novembre dernier, a-t-il conduit à l'une des grandes faiblesses du projet de loi.

Comme nous sommes allés au palais de l'Élysée pour râler, il a été décidé qu'une expérimentation serait menée dans trois régions pendant trois ans. Reste que, pardon, si l'on veut réussir la réforme de l'apprentissage, il faut créer un système dont le pilotage devrait être régional et impliquant les conseils départementaux, puisque cette affaire commence au collège, mais aussi les branches professionnelles. Il faut faire en sorte que les entreprises aillent en permanence dans les établissements scolaires et les élèves dans les entreprises. Croyez-vous qu'un système aussi figé que celui en vigueur favorise l'orientation vers la maintenance industrielle, vers les métiers de la métallurgie où il n'y a plus que des machines à conception numérique ?

Ensuite, le versement de l'aide unique – et le fait qu'elle soit unique est positif – aux employeurs d'apprentis pour les entreprises de moins de 250 salariés employant un apprenti devait être confié aux régions ; or, on a décidé de le confier à l'État. Fort bien, mais je vous renvoie au monde agricole afin que vous mesuriez comment fonctionnent des systèmes gérés par l'État... Nous allons donc, ici, confier ce versement à l'État via des administrations déconcentrées qui n'ont plus aucuns moyens. Cela signifie par ailleurs que toutes les régions qui versaient des primes en plus de celles octroyées par l'État vont cesser de le faire. Ainsi existait dans ma région un système d'aides particulier en faveur de l'apprentissage des plus de dix-huit ans dans les entreprises de moins de vingt salariés – eh bien, tout cela va être terminé.

Troisièmement, le Premier ministre s'était engagé, en novembre dernier, sur la création d'un schéma régional. J'entends bien qu'il n'y ait plus de système prescriptif puisque, à l'époque, c'était une revendication insistante du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Toutefois, comment construire, par bassin d'emploi, un système sans perspectives à moyen terme concernant des métiers qui vont évoluer, des formations qu'il faut créer, d'autres qu'il faut supprimer, des apprentissages qu'il faut concevoir ? On nous répond que nous sommes maîtres des investissements, avec au passage des volumes qui ne correspondent en rien aux engagements des régions. En effet, les années de référence sont celles de l'alternance politique et celles où la taille des régions a été redéfinie. En Normandie, j'avais un plan d'investissement de 60 millions d'euros ; or, pour les mêmes réalisations, il me reste 9 millions d'euros. J'ai donc dit aux centres de formation de se démerder, bien entendu. Au-delà, en l'absence de schéma régional, en fonction de quel critère une région va-t-elle décider de financer tel plan, tel investissement dans tel centre de formation ? Pourquoi voudriez-vous que je privilégie le centre de formation d'Alençon qui me demande 20 millions d'euros plutôt que celui du Havre qui me demande 15 millions d'euros ? Donc, en l'absence de schéma régional, en vertu de quel critère décider d'un investissement : seulement parce que les murs sont décrépis ou parce qu'il faut améliorer le bilan énergétique de tel bâtiment ? C'est tout de même un peu court.

J'en viens au point essentiel. Parlementaires, vous devez assumer une responsabilité majeure. Vous, députés de la majorité, qui considérez que vous êtes capables d'accomplir des réformes que les précédentes majorités n'ont pas eu le courage de mener – même si Raffarin s'y est essayé, même si le gouvernement auquel j'ai appartenu, pendant le quinquennat de Sarkozy, l'avait promise, chacun, à chaque fois, se heurtant au conservatisme –, si vous ne faites pas la réforme de l'apprentissage et de l'orientation, considérez-la comme mort-née. Si vous ne donnez pas aux enfants et aux familles la chance historique de découvrir les métiers de demain ou d'avoir un autre imaginaire sur les métiers d'aujourd'hui, ça ne marchera pas. C'est dit.

J'aborderai ensuite la question du prix national. Je vous demande d'examiner de près comment sont définies les formations dans chaque centre. Chaque formation est fonction à la fois des jeunes que le centre reçoit – et qui sont forcément différents d'un endroit à un autre : les Français ne sont pas tous les mêmes ! – et des entreprises où les apprentis vont aller. Pour être clair : quand vous avez trois ou quatre très grandes boîtes qui sont l'essentiel des pourvoyeurs de l'apprentissage, elles demandent aux centres d'adapter la formation à leurs besoins.

Prenons l'exemple de l'hôtellerie : en Provence, la formation est orientée vers les yachts ; elle est donc différente de celle proposée dans un centre situé en Normandie. On n'y demande pas la même chose et son coût n'est pas le même alors que le projet de loi ne prévoit plus qu'un prix unique à l'échelon national. Je citerai un second exemple. Muriel Pénicaud nous dit : « Vous vous rendez compte, les prix de la formation dans la restauration sont par endroits démentiels et il faut que ça change. » Certes, mais l'école Ferrandi, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, forme les cuistots qui demain seront ceux des restaurants pourvus de trois macarons dans le guide Michelin, quand le centre de formation de Bernay s'adresse à la restauration et à l'hôtellerie de Normandie qui a rarement trois macarons. Donc la formation n'est pas la même. De la même manière, dans le domaine de l'imprimerie, il s'agit de former à dix métiers différents : certains centres mettront l'accent sur le numérique ; d'autres recruteront des formateurs anciens meilleurs ouvriers de France pour une orientation vers des métiers artistiques.

Dès lors, le centre de formation va s'adresser à la structure nationale où, comme c'est le cas pour la sécurité sociale, personne ne répondra au téléphone. Ou alors nous aurons droit à un dialogue de ce type : « Allô, bonjour, pour ce qui est du financement de la formation, vous m'avez mis dans la case 132.B au lieu de la case 134.7. » Le système que vous prévoyez fonctionnera ainsi. Il sera national alors que les coûts de fonctionnement des centres ne sont pas les mêmes : le prix du mètre carré n'est pas le même à Paris ou à Nice qu'à Bernay ; les salaires ne sont pas les mêmes à Paris ou Lyon qu'à Rouen ; les coûts de fonctionnement des bâtiments diffèrent, de même, d'un endroit à l'autre… Aussi comment peut-on établir un coût national pour des formations qui ne peuvent qu'être le plus finement adaptées aux bassins d'emploi, à une économie pour le moins diverse ?

De plus, on annonce que le prix national sera calculé sur une moyenne de douze élèves. Sauf que le monde de l'apprentissage ne fonctionne pas ainsi. Quand, à Saint-Lô, on me dit qu'il faut mettre en place une formation professionnelle plus élevée, de niveau III voire de niveau II au lieu d'une formation de niveau IV, eh bien je sais que les effectifs seront de quatre ou cinq élèves. Or si j'ai besoin de douze élèves pour atteindre l'équilibre financier, qui va payer ? Quel centre de formation, dans les conditions prévues, fera l'effort de passer à une formation qui n'attirera que quatre ou cinq élèves ? Aucun. Prenons un exemple concret : le centre de formation pour apprentis (CFA) de Caen, agglomération de 350 000 habitants, forme six à huit apprentis poissonniers par an, parce qu'il n'y en a pas besoin de plus, et tous trouvent du boulot. Or l'effectif est ici bien inférieur à douze élèves. Et si on décidait de déplacer cette formation à Rennes, je vous garantis, compte tenu de la capacité de mobilité de nos compatriotes, que pas un jeune n'ira de Caen à Rennes. Et les métiers rares ? Trois doreurs sur bois sont formés en moyenne chaque année dans les Vosges : qui va s'en occuper ? Jusqu'à présent, on confie à des centres de formation des moyens nécessaires à la formation à des métiers aux faibles besoins en effectifs, mais des métiers où il y a des débouchés, des métiers souvent très valorisants.

Or vous êtes en train de bâtir un système totalement centralisé avec un prix décidé par une agence nationale, certes aux mains des branches professionnelles, alors que le monde est tout de diversité. Votre logique est contraire à celle du monde moderne. C'est ce que je ne comprends pas. De plus, on n'intègre pas au coût du contrat tout ce que les régions faisaient pour les apprentis. Qui va payer leur transport ? Qui va payer leur équipement ? Qui va payer leur hébergement ? Les régions n'ayant plus de compétences en la matière, je ne vois pas pourquoi elles se mettraient à payer sur leur budget propre des dépenses au sujet desquelles on leur a dit qu'elles étaient mauvaises gestionnaires, dépenses qu'on retirait donc de leur ressort. Il faut être cohérent : on ne peut pas demander aux régions de taper sur leurs fonds propres pour financer des actions après leur avoir expliqué qu'elles étaient des billes. Je rappelle au passage que, dans les régions, il y a plusieurs milliers de collaborateurs dont c'est le métier.

Nous jouions jusqu'à présent un rôle de régulation qui permettait de maintenir des formations ou d'en ouvrir certaines dont nous savions qu'elles ne pouvaient atteindre l'équilibre financier, qu'elles ne pourraient pas, là où elles se trouvaient, avoir les effectifs suffisants. Ainsi, nous ouvrions une formation dont nous savions qu'elle n'attirerait que six ou sept élèves, mais qui correspondant à un besoin avéré de l'économie, tout en espérant que le nombre d'élèves augmenterait progressivement. Désormais, quel centre de formation va prendre le risque d'ouvrir en sachant qu'il va perdre de l'argent ? Par ailleurs, en cas de crise économique, comme ce fut le cas dans le bâtiment où tout à coup les effectifs se sont effondrés, les centres de formation vont avoir moins d'élèves. Qui, en cas de crise violente, va jouer le rôle de régulateur ? En 2008, je n'imagine pas le nombre de secteurs, dans le bâtiment ou dans la métallurgie, où les régions ont probablement dû injecter beaucoup d'argent pour sauver des centres de formation indispensables dans certains bassins d'emploi.

Voilà qui m'amène à évoquer l'aménagement du territoire. Je vais vous décrire ce qui va se passer et je prends date – la chance de l'Assemblée, c'est qu'il y a des comptes rendus.

Nous avons demandé à chaque région d'analyser la situation à partir d'un coût au contrat volontairement surévalué par rapport au coût envisageable à l'issue des discussions que nous avons pu avoir avec les branches, à savoir 7 000 euros – alors qu'on nous dit qu'on sera plutôt autour de 5 000 euros en moyenne. Quelque 700 centres ont des déficits considérables. Ma région, dont j'ai les chiffres en tête, toujours sur la base d'un coût au contrat de 7 000 euros, compte 71 centres de formation dont 41 cumulent 31 millions d'euros de déficit, 20 autres centres cumulant 22 millions d'euros d'excédents. On annonce la création d'un fonds d'aménagement du territoire – formidable ! – et la région Normandie bénéficiera de 13 millions d'euros avec lesquels je devrai financer l'innovation, les spécificités de centres de formation auxquels on ne peut pas appliquer le coût national, mais aussi les investissements liés à des pratiques pédagogiques particulières, le tout ayant été estimé par mes services à 4 millions. Il me reste par conséquent 9 millions d'euros pour 31 millions d'euros de déficit minimum.

Je vais donc vous décrire ce qui va se passer. Les centres de formation vont estimer que si, pour tel métier, ils doivent parvenir à douze élèves pour parvenir à l'équilibre, il leur faudra fermer telle autre formation qui va leur faire perdre de l'argent. Les centres qui vont gagner de l'argent, eux, vont parfois prendre le risque d'ouvrir une formation nouvelle, si bien que vous aurez de très grands centres de formation dans les grandes agglomérations, qui vont progressivement capter la totalité de l'offre. Grâce à leur spécialisation, à leur productivité, ces grands centres seront des plus performants ; et, s'ils se situent dans des bassins à forte densité démographique, ils seront à même de développer quelques formations complémentaires. Seulement, je sais qu'un jeune Normand de L'Aigle n'ira pas se former à Rouen ; et je sais que le bassin de recrutement de l'entreprise du bâtiment d'Alençon est à vingt ou trente kilomètres et non à cinquante ou cent kilomètres. Le risque est par conséquent que vous provoquiez l'assèchement de bassins économique déjà très fragiles.

Ensuite, qui va aller ouvrir un centre de formation dans les banlieues ? Qui va décider d'aller dans des quartiers où tout est plus compliqué, où l'on est obligé de mettre en place des formations complémentaires, notamment concernant le « savoir-être » ou l'apprentissage de la langue française ?

Et, pardon de vous le dire, j'ouvre une parenthèse, j'ai entendu dans la bouche d'une partie des représentants du patronat que, globalement, on pourrait éventuellement faire en sorte que les jeunes des lycées professionnels aillent dans les CFA. Eh bien, non, ce ne sont pas les mêmes publics. Une partie des jeunes en lycée professionnel peut tout à fait aller en CFA et chez des patrons mais une autre partie ne le peut pas.

J'en reviens à mon propos : quand la région Normandie décide d'ouvrir un CFA dans le quartier des Hauts de Rouen, je ne vois pas quel acteur privé ira, lui, en ouvrir un. Et, demandez-le à Valérie Pécresse, je ne vois pas qui va aller ouvrir un centre de formation dans un quartier difficile de Seine-Saint-Denis. Je ne vois pas non plus pourquoi une branche professionnelle, tout à coup, estimerait devoir investir plusieurs dizaines de millions d'euros dans des quartiers où, je le répète, tout est plus compliqué qu'ailleurs. Je ne vois pas pourquoi une branche professionnelle irait ouvrir un centre de formation dans une zone rurale où il est acquis que le recrutement sera faible. Enfin je ne vois pas pourquoi l'UIMM créerait des CFA pour des métiers très spécialisés n'étant susceptibles d'attirer ici aussi qu'un nombre restreint d'apprentis.

Si vraiment le prix du contrat – une vraie question théologique – mérite d'être compensé – et à notre demande : en effet, de fonds d'aménagement du territoire, il n'était même pas question au début –, c'est parce que, si vous le maintenez tel qu'il est, le système va s'effondrer en deux ou trois ans, et exactement comme je vous l'ai décrit. C'est-à-dire que des centres continueront à gagner du fric, à se développer, quand tous les autres se réduiront aux formations capables de rassembler les fameux douze élèves. Je comprends très bien la logique consistant à considérer qu'il faut motiver les centres de formation en les obligeant à aller chercher des apprentis ; seulement, si vous voulez aller chercher des apprentis, il faut que vous ayez un système d'orientation et d'information des jeunes qui le permette, et donc, par exemple, permette au secteur de la métallurgie de trouver des jeunes afin de remplir ses centres de formation. Sinon, cela ne marchera pas. On aura beau faire toutes les campagnes de publicité, cela ne suffira pas si la représentation des métiers et des formations ne change pas. Le libéral de service que je suis veut bien comprendre votre logique, mais encore aurait-il fallu – ce qui n'est pas envisagé – donner aux centres de formation les moyens de faire venir ces jeunes.

J'en viens à la motivation des entreprises. Je ne vois pas pourquoi ces dernières seraient en effet soudainement motivées alors qu'elles l'ont si peu été jusqu'à présent. L'UIMM, qui a conçu l'essentiel de cette réforme, donne des leçons sur ce que devrait être l'apprentissage alors qu'elle ne représente que moins de 10 % de l'apprentissage et alors que les très petites entreprises (TPE) et l'artisanat en concentrent 65 %. Je veux bien qu'une prime très élevée et que la simplification des procédures soient de nature à motiver les entreprises, soit, mais pourquoi, j'y reviens, l'apprentissage est-il concentré dans les petites et moyennes entreprises (PME), les TPE et dans l'artisanat, en France, alors qu'en Allemagne il l'est dans l'industrie autant que dans les TPE ?

Des parlementaires se sont exprimés sur les réseaux sociaux pour faire de l'Allemagne notre référence. Sauf que l'Allemagne et la France, ce n'est pas la même chose…

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