Intervention de Hervé Morin

Réunion du mardi 15 mai 2018 à 18h15
Commission des affaires sociales

Hervé Morin, président de Régions de France :

Vous avez raison de souligner, monsieur Door, qu'il faut traiter dans ce projet de loi la question de l'accompagnement de l'apprentissage, aujourd'hui pris en charge par les régions. Dans tous les projets que nous avons menés en matière d'apprentissage, d'autres collectivités étaient impliquées. Demain, dans la mesure où le système sera confié à la loi du marché, on voit mal comment ces collectivités pourront s'engager de la même manière. Comme toute région, la Normandie a passé des contrats territoriaux avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Or, comme je crois à l'apprentissage, j'ai conditionné le financement des structures et des équipements des collectivités à l'embauche d'apprentis. Les 73 EPCI de Normandie ont donc fait l'effort d'embaucher entre cinq et dix apprentis, là où ils n'en prenaient généralement aucun – alors que le recrutement d'apprentis coûte plus cher que celui d'autres types de collaborateurs en formation. La question de l'apprentissage dans le secteur public n'est pas non plus réglée par le projet de loi.

Sylvain Maillard, je ne suis aucunement opposé à ce que l'on accorde au monde de l'économie une place bien plus importante. Ce que je reproche à ce projet de loi, c'est de construire un système centralisé alors qu'il doit au contraire être profondément décentralisé. On peut décentraliser le système en faisant de la co6construction comme en Allemagne mais les branches professionnelles allemandes ont un pouvoir de négociation tel que les Länder mettent 3 milliards d'euros sur la table chaque année pour la formation. Non seulement le système proposé par le projet de loi n'est pas co-construit, mais il est centralisé : entre les mains de l'État et, qui plus est, entre les mains d'une agence nationale. Je sais que vous voterez ce texte car vous êtes dans la majorité, mais je vous assure qu'il ne tient pas la route car il ne prend pas en compte la diversité et la vitalité des territoires. Quand une branche appelle l'attention d'une région sur tel ou tel métier, les formations sont mises en place immédiatement. Par ailleurs, la région a joué jusqu'ici un rôle d'articulation entre les CFA, qui dépendent des branches, et les lycées professionnels qui relèvent de l'éducation nationale. Qui jouera ce rôle d'articulation dès lors que les lycées professionnels resteront dans le système public et qu'on pourra ouvrir et gérer à leurs portes des CFA proposant des formations comparables ? J'ai entendu des grands patrons, qui sont à l'origine de cette réforme, dire qu'ils voulaient tuer les lycées professionnels. S'ils sont capables de former dans les CFA les centaines de milliers de jeunes qui sont en lycée professionnel et de les embaucher ensuite dans leurs entreprises, qu'ils me fassent signe !

Comme le dit François Baroin, les dirigeants des exécutifs locaux sont « violemment modérés ». Nous gérons nos collectivités sur la base d'un consensus nous assurant la paix politique dont nous avons besoin. Or, on est en train de bâtir, dans une démarche césariste et jacobine, une relation entre l'État et les collectivités territoriales fondée sur l'affrontement. Pourtant, la modernité se traduit dans tous les pays du monde par une gestion la plus décentralisée possible et par un pouvoir qui s'exerce au plus près du citoyen. Il faut bien inventer des mécanismes de régulation même si on laisse une grande place au monde de l'entreprise pour bâtir le système.

Nous ne sommes pas dans une opposition bête et méchante. Nous avons envie que la France réussisse. Car si la France réussit, nos territoires réussiront et nous serons contents de voir que le pays a retrouvé de l'optimisme et que la France est mieux représentée à l'étranger. Nous avons donc beaucoup discuté avec le Gouvernement et avons fini par accepter l'idée du Président de la République d'instaurer un système de co-contrat s'appuyant sur les branches. Cependant, nous ne pouvons nous y résoudre si le système ne répond pas aux questions que je vous pose. Le système centralisé que vous proposez va créer des dysfonctionnements majeurs. On a besoin des collectivités pour faire en sorte que le pays aille mieux surtout que le pays s'est fortement décentralisé depuis trente ans et que les administrations déconcentrées n'ont quasiment plus aucune compétence.

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