Partout. Une étude extrêmement intéressante de McKinsey (Reinventing construction through productivity revolution), qui a enquêté au niveau mondial, montre qu'il s'agit d'un phénomène général. Que ce soit en Europe, aux États-Unis, dans tous les pays développés, le monde de la construction a tendance à perdre de la productivité. Il s'agit d'un véritable enjeu économique, parce qu'on se heurte à un coût qui devient déraisonnable dans la plupart des pays développés.
Je voudrais insister sur les conséquences multiples de cette double problématique : le client n'est pas satisfait et la productivité ne s'est pas améliorée. Exprimé de façon un peu violente, cela veut dire que le consommateur achète plus cher, quelque chose de qualité moindre. Il y a là un véritable problème, compte tenu de la taille du marché et de l'importance des coûts pour le consommateur, qu'il s'agisse de construire un habitat neuf ou de rénovation. J'en aborderai deux. J'utilise souvent l'expression selon laquelle : « le marché n'est pas activé ». Le client n'étant pas satisfait, il est inquiet. Il devient anxiogène pour lui de faire appel au monde de la construction. Les gens peuvent avoir un projet, ils peuvent disposer de l'argent pour le concrétiser, pour autant, ils ne le font pas, parce que ils ne sont pas dans une relation de confiance avec les acteurs du marché – Première conséquence. La deuxième conséquence, très importante pour l'innovation, est qu'il s'agit d'un marché tiré par les prix bas. À partir du moment où la confiance manque, la recherche du moindre coût est systématiquement privilégiée et tout le système est tiré vers les prix bas, qu'il s'agisse des produits ou de la mise en oeuvre. C'est un problème majeur du monde de la construction.
Maintenant, quel rapport avec le numérique ?
Quand on considère deux autres filières qui présentaient les mêmes symptômes, et même si, dans ces autres filières, les symptômes étaient moins graves – la filière des taxis et la filière des hôtels – ce double problème de mécontentement du client et de manque de productivité a conduit à l'entrée dans le système d'un acteur extérieur, un acteur du numérique. Cet acteur s'interpose entre le client final et les acteurs historiques de la chaîne de valeur, en proposant ce qui manquait au client final, c'est-à-dire un service qui lui donne confiance. Cet acteur permet de rassurer le client, mais, et c'est la force du numérique, pour le service qu'il propose, cet acteur ne fait pas payer le client final. Il fait payer les anciens acteurs de la chaîne de valeur. Tel est typiquement le cas des plateformes en ligne Booking ou Uber. Cela signifie que le numérique n'est pas au service des acteurs historiques, mais qu'il intervient comme une sorte de prédateur qui, s'il satisfait le marché, l'améliore en mettant les acteurs historiques en difficulté. On l'a très bien vu, aussi bien pour les hôtels que pour les taxis.
Le monde du bâtiment est en situation de connaître une évolution de ce type, puisqu'il souffre de maux identiques, et de façon plus importante encore. Pour autant, le monde du bâtiment est beaucoup plus complexe et plus difficile à aborder que le monde des hôtels et les taxis. Il est en quelque sorte protégé vis-à-vis des acteurs majeurs du numérique par sa complexité. Je voudrais insister sur le fait qu'il y a quelque chose à faire. Soit on attend qu'un grand du numérique, du type Google, intervienne – et Google a parfaitement identifié que le monde du bâtiment était, au niveau mondial, un secteur offrant des opportunités. Soit la chaîne de valeur sait s'organiser –c'est la solution ce que je défends. Malgré leur fantastique floraison et leur diversité, les start-up n'arriveront pas seules à réorganiser la chaîne de valeur. Cette réorganisation passe par un travail en commun avec les acteurs historiques, pour corriger les deux défauts que je viens d'évoquer et les corriger avant que l'acteur extérieur n'oblige le système à le faire.
S'agissant de l'efficacité énergétique, les chiffres ont été présentés. Il convient néanmoins de préciser que les objectifs de rénovation énergétique – 500 000 bâtiments par an – n'ont pas été atteints de manière récurrente, et qu'ils sont même très loin de l'être. Il s'agit d'un domaine où l'on vit beaucoup dans le fantasme de ce qui ne se fait pas réellement.
À cet égard, je ferai deux observations. Je trouve ridicule deux oppositions souvent faites, qui n'ont pas réellement lieu d'être.
La première oppose l'amélioration ou l'isolation passive à l'isolation active d'un bâtiment. Cela revient à considérer comme alternatives l'amélioration intrinsèque, par l'isolation d'un bâtiment, et l'amélioration de sa performance énergétique par l'utilisation d'outils comme le pilotage automatique du chauffage. Les deux approches sont indispensables et il est ridicule de les opposer l'une à l'autre : elles sont complémentaires.
Je trouve également ridicule toute la bataille, très négative, consistant à opposer énergie fossile et électricité ou si on préfère, pour les spécialistes, l'énergie primaire et l'énergie fatale. Cette bataille a profondément déséquilibré les méthodes de chauffage. Un bâtiment de qualité, bien isolé peut, sans problème, être chauffé à l'électricité. Cela ne soulève aucun problème de fond. Aujourd'hui, on confond l'efficacité énergétique et l'émission de CO2. Et on se trompe d'objectif lorsqu'on prétend supprimer l'électricité comme méthode de chauffage dans des bâtiments bien isolés.