Intervention de Damien Pichereau

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 10h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Pichereau, rapporteur :

Nous en avons déjà parlé à l'occasion de l'examen du premier Paquet Mobilité, la Commission européenne a fait le choix de présenter ses initiatives routières de manière échelonnée : un premier paquet le 31 mai 2017, un deuxième paquet le 8 novembre 2017, un troisième paquet – a priori le dernier si on prend en compte les annonces faites au printemps 2017 et le calendrier européen ! – le 16 mai dernier. Ces propositions en faveur d'une modernisation de la mobilité forment ainsi un tout, dans une approche transversale, au-delà d'une vision sectorielle désormais inopérante. Mais leur cohérence est toutefois rendue moins perceptible par ces publications successives échelonnées sur près d'un an.

Ce « paquet Mobilité II » s'articule autour de trois axes : une communication sur la stratégie globale sous-tendant le paquet, avec pour objectif un compromis équilibré entre objectifs environnementaux, sociaux et industriels ; des mesures non législatives concernant les carburants alternatifs ; quatre propositions législatives concernant le transport par autocar, le transport combiné de marchandises, les performances des véhicules légers en matière d'émissions de gaz à effet de serre et la promotion des véhicules propres.

Sous un aspect technique, ce paquet est en fait très politique. D'un paquet à l'autre, les enjeux européens sont similaires : une mobilité durable, sûre et abordable, avec une concurrence loyale et le respect de normes sociales élevées, une ambition environnementale affirmée, la volonté de préserver l'autonomie industrielle européenne.

Ce sont autant de sujets sur lesquels le Président de la République et le Gouvernement ont pris des positions très fortes. Ce sont également des sujets abordés lors des Assises de la Mobilité, qui doivent déboucher sur le projet de loi d'orientation des mobilités, d'ici à l'automne. D'où l'intérêt pour notre Commission d'analyser les évolutions proposées du cadre européen dans lesquelles la législation française devra s'inscrire.

Ce sont enfin des sujets abordés cette semaine à Bruxelles, lundi au Parlement européen en Commission Transports et aujourd'hui même lors du Conseil Transports, et, Madame la Présidente, je me félicite de ce que notre Commission soit, grâce à votre organisation de ses travaux, une nouvelle fois dans le « tempo » du calendrier européen sur les sujets Transports et puisse porter un message en faveur de plus d'ambition européenne sociale et environnementale.

Le premier volet de ce paquet comporte les textes relatifs au transport de passagers par autocar et au transport combiné. Ces deux textes sont en lien direct avec le volet social et marché du Paquet I. Pour ces deux textes, la Commission européenne promeut une dérégulation des secteurs concernés au nom d'arguments environnementaux et d'une nécessaire harmonisation européenne.

Regardons d'abord la révision du règlement sur le transport de passagers par autocar. Ce mode de transport constitue un levier puissant de resserrement du maillage des transports collectifs terrestres. Il permet également une mobilité plus inclusive, du fait de son faible coût. En France par exemple, ce sont près de 7 millions de voyageurs qui ont emprunté les fameux « cars Macron » en 2017. Son développement présente donc un fort intérêt socio-économique. Il permet enfin de lutter contre la congestion routière et les émissions de gaz à effet de serre et de particules ainsi que les nuisances sonores. C'est pour cet ensemble de raisons que la France a ouvert son marché national, avec la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron ». Comme la France, la Commission européenne souhaite stimuler l'offre de transports en commun longue distance routiers et ainsi lutter, entre autres, contre « l'autosolisme ». Mais la Commission considère aussi que la diversité des règles nationales est la source majeure de la difficulté des acteurs à proposer des services dans des États membres autres que leur État d'origine. D'où sa proposition.

L'un des éléments en particulier m'apparaît très contestable : en supprimant le caractère temporaire des opérations de cabotage, elle supprime la condition d'établissement nécessaire aujourd'hui pour opérer à titre permanent dans un autre État membre que l'État d'origine du transporteur. Les services réguliers de transport collectif routiers sont largement liés à un territoire, caractérisé par des coûts sociaux, fiscaux, salariaux, etc. qui lui sont propres. La proposition de la Commission porte un risque réel de remise en cause de l'équilibre des entreprises établies sur ce territoire. Nous avons vu ce mécanisme pour le transport routier de marchandises, je n'y reviens pas. La situation est paradoxale. En effet, la Commission européenne adopte deux positions contradictoires : elle a la volonté de lutter contre les dérives constatées dans le transport routier de marchandises et elle a la volonté d'instaurer un régime de libre prestation de services sans condition d'établissement pour le transport routier de passagers !

Ce texte pose aussi des questions quant à sa mise en oeuvre. La mission commune conduite par M. Richard Ferrand, ancien rapporteur général de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi Macron, a établi en 2017 un premier bilan rigoureux du marché national du transport par autocar. Ce nouveau marché a connu un essor immédiat, qui se poursuit. Mais il demeure un marché émergent qu'il convient de ne pas fragiliser, et, en même temps, l'équilibre aujourd'hui trouvé avec les transports assurés sous la forme de contrats de service public doit être préservé. Une grande majorité d'États membres – dont la France – ont, dès la fin 2017, émis de très fortes réserves sur cette proposition de la Commission européenne. Je souligne une forte convergence de vues franco-allemande sur la question de la condition d'établissement, centrale dans cette proposition de révision du règlement « autocar » comme dans le volet accès au marché et social du paquet Mobilité I.

Le deuxième texte est une proposition de révision de la directive sur le transport combiné. Ce mode de transport est un levier pour le dynamisme économique de nos territoires ainsi que pour une mobilité propre, et la ministre des Transports a d'ailleurs annoncé début mai son intention de présenter un plan de relance. L'examen de ce texte est donc particulièrement approprié dans ce contexte. Or, que propose la Commission pour le transport combiné ? De le déréguler, pour les opérateurs, et de le centraliser, les États membres, étant transformés en simples exécutants en matière de financement des investissements, y compris dans la dimension nationale. En étendant la distance possible sur le segment routier tout en conservant le régime de non application des règles d'accès au marché initialement mise en place pour développer ce type de transport, la Commission renforcera paradoxalement la route. Quant aux règles nouvelles en matière d'infrastructures, la Commission européenne propose une centralisation à la fois du maillage et des décisions d'investissement. Or, multiplier les terminaux irait à l'encontre de la nécessité de massifier le transport, notamment pour les trains, pour diminuer le coût des transbordements et le nouveau cadre financier avec des investissements obligatoires n'apparaît pas de nature à améliorer l'existant.

Sur ce premier volet, il faut lutter contre le dumping économique et social et les discussions en cours, que ce soit sur le paquet Mobilité I ou II, doivent aboutir à une harmonisation européenne par le haut des différentes règles applicables au transport routier de voyageurs comme de marchandises. Par ailleurs, l'action de la Commission européenne doit apporter une valeur ajoutée réelle. Or les États membres sont à mes yeux les plus à même de juger des attentes des marchés nationaux, des leviers à mobiliser à l'échelle de leur territoire en fonction des spécificités géographiques, économiques et sociales. « Il faut entendre la colère des peuples d'Europe aujourd'hui. Ce […] dont ils ont besoin [c'est] d'un projet nouveau, d'une exigence d'efficacité au quotidien », soulignait le Président de la République le 17 avril dernier dans son discours au Parlement européen. Cette « efficacité au quotidien » repose aussi selon moi sur le respect du bon niveau d'intervention.

Le deuxième volet, ce sont les deux textes « environnementaux », l'un qui porte sur les normes d'émission de CO2 pour les véhicules légers, l'autre sur la commande publique des véhicules propres. L'enjeu ici, ce sont directement les choix français. Ils ont été exprimés par le Plan Climat adopté le 6 juillet 2017, qui, préparé à la demande du Président de la République et du Premier ministre, doit accélérer la transition énergétique et climatique en vue de mettre en oeuvre l'Accord de Paris, avec un nouveau cap, celui de la neutralité carbone à horizon 2050. Ils l'ont été encore plus clairement par le Président de la République en avril, au Parlement européen, lorsqu'il a appelé à « ouvrir le débat pour revoir à la hausse la contribution européenne dans le cadre de l'Accord de Paris. Nous sommes ici en train d'achever les discussions sur le paquet énergie-climat, mais il est clair que nous devrons ouvrir une nouvelle étape ». Or, si elles demeurent en l'état, les propositions de la Commission européenne ne permettront pas à l'Union européenne de participer à cette nouvelle étape que le Président de la République a appelée de ses voeux.

En effet, pour le troisième texte, la proposition de règlement sur les émissions de CO2, la Commission reprend l'architecture précédente sans innovations majeures. Voilà quelques exemples frappants : le choix d'objectifs dont l'étude d'impact elle-même note le caractère insuffisant au regard des ambitions climatiques ; l'absence de signal fort donné aux industriels, avec l'absence d'objectif de long terme, le maintien du paramètre d'utilité de masse, des méthodes qui prolongent les « mauvais comportements » passés et ne récompensent pas assez les comportements vertueux, un système de bonus qui s'apparente à un permis de polluer, etc. Je vous propose d'aller au bout de la logique de ce que propose la Commission européenne, en demandant : premièrement, une trajectoire claire et ambitieuse, avec un objectif 2025 obligatoire et l'ajout d'un objectif 2040, seuls à même de déclencher dès à présent les investissements indispensables et considérables, car il faut de la visibilité pour les industriels ; deuxièmement, l'instauration simultanée de systèmes incitatifs positifs, la « carotte », et négatifs, le « bâton » : le bonus proposé pour les constructeurs qui font beaucoup de véhicules propres doit être complété d'un malus pour ceux qui ne remplissent pas l'objectif ; troisièmement, la suppression du paramètre d'utilité de masse, car on ne peut plus conserver des méthodes qui prolongent les « mauvais comportements » passés, compte tenu de l'urgence climatique !

Mes déplacements en Allemagne et aux Pays-Bas ont été très éclairants : si un accord sur les objectifs visés est largement partagé, deux attitudes coexistent aujourd'hui quant au rythme de la transition : d'une part, une volonté d'avancer pas à pas pour préserver l'équilibre socio-économique de l'industrie automobile européenne, clairement exprimée en Allemagne ; d'autre part, un complet renversement de paradigme, la voiture allant jusqu'à n'être plus qu'« une batterie sur quatre roues », en Hollande, où mes interlocuteurs considèrent que la proposition de la Commission suit simplement le rythme que veulent les industriels, et n'impose pas le rythme qui correspond aux accords de Paris. Ces Accords nous obligent à agir car nous n'avons pas de plan B. C'est pourquoi j'appelle l'Union européenne à plus d'ambition, ambition clairement exprimée par le Ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, lors de la présentation du plan Climat.

Pour autant, il convient de maintenir un équilibre. Il faut tirer parti des atouts déjà développés ou en cours de développement par l'industrie européenne, l'industrie automobile bien sûr, mais aussi d'autres secteurs, le numérique ou l'énergie, car sinon ce sont d'autres constructeurs, notamment d'Asie, qui, demain, fourniront le marché européen. Le risque est réel. Il faut aussi que ce texte soit adopté par les co-législateurs avant la fin du mandat du Parlement européen. On ne peut pas en effet perdre de temps. Il faudra donc calibrer finement une trajectoire plus ambitieuse, avec des objectifs, y compris de long terme, revus à la hausse mais de manière différenciée, avec un rééquilibrage des mécanismes incitatifs pour en accroître l'efficacité, avec une surveillance ex post réelle et des sanctions dissuasives, pour garantir les investissements des constructeurs vertueux.

Quant au dernier texte, la révision de la directive sur les achats publics de véhicules propres, la Commission européenne reconnaît que le double objectif environnemental et industriel poursuivi depuis 2009 n'a pas été atteint. Elle conserve cependant le même modèle : inciter les acheteurs publics à l'acquisition de véhicules propres et économes, afin de stimuler indirectement la demande privée. Mais elle en renforce les modalités, notamment en prenant en compte l'ensemble des émissions liées aux véhicules routiers, avec toutefois trois bémols : des objectifs souvent moins ambitieux que ce que les États membres ont décidé pour eux-mêmes, c'est le cas, entre autres, de la France ; la suppression de l'obligation générale de prise en compte de préoccupations environnementales et énergétiques, pour les achats hors quota ; la fin de la méthodologie unique pour le calcul des coûts liés au cycle d'utilisation du véhicule pour toute sa durée de vie.

La France place l'amélioration de l'efficacité énergétique des transports routiers au premier rang de ses priorités. Le Gouvernement soutient donc la révision des modalités de la commande publique pour l'achat de véhicules propres et je vous propose de partager cette ambition, en complétant les propositions de la Commission avec, pour les véhicules légers, un seuil à long terme harmonisé à l'échelle de l'Union européenne de véhicules zéro émission dans la commande publique et une action complémentaire sur les véhicules hors quotas d'achats obligatoires. Mais je suis également attaché à une approche pragmatique : le zéro émission comporte un discret biais en faveur des véhicules électriques, dont les avantages sont indéniables. Néanmoins, ils impliquent aussi le déploiement d'une infrastructure aux mailles serrées, plus facilement déployée dans les agglomérations et le long des axes structurants que dans des territoires plus éloignés. Or la mobilité propre doit être inclusive, c'est là une très forte attente qui s'est exprimée lors des Assises de la Mobilité. Je m'inquiète également de l'impact sur les acheteurs publics, dont nombre d'entre eux ont déjà élaboré leur stratégie d'acquisition, et qui réclament de la visibilité. À mon sens, nous devons raisonner en termes de « mix » selon les usages et les situations. Il n'y a pas un seul type de véhicule qu'il faut pouvoir produire dans les années à venir, et les solutions zéro émission, en particulier pour ce qui concerne les achats publics, sont multiples.

À cet égard, il faut saluer le plan de déploiement de l'hydrogène pour la transition énergétique présenté le 1er juin dernier. Il prévoit en particulier de déployer des écosystèmes territoriaux de mobilité hydrogène sur la base notamment de flottes de véhicules professionnels, en deux étapes, 2023 et 2028 : 5 000 véhicules utilitaires légers et 200 véhicules lourds, ainsi que la construction de 100 stations, alimentées en hydrogène produit localement à l'horizon 2023, et 20 000 à 50 000 véhicules utilitaires légers, 800 à 2 000 véhicules lourds et de 400 à 1 000 stations à l'horizon 2028.

Je ne dirai que quelques mots sur le plan d'action sur les infrastructures. La Commission a deux cibles prioritaires : les grands axes de transports - la Commission européenne souhaite qu'ils soient couverts d'ici 2025 - et les zones urbaines. Là encore, ce plan d'action et les choix français interagissent, j'ai déjà évoqué les Assises de la Mobilité, mais on pourrait également rappeler l'engagement franco-allemand en matière de mobilité portée à notre niveau par la résolution du 24 janvier dernier.

Pour conclure, il nous faut avoir une vision globale, et répondre à nos préoccupations environnementales de lutte contre le changement climatique, et en même temps, à nos préoccupations en matière de santé publique. Pour les polluants atmosphériques, notamment les NOx, ce « paquet » le fait directement en ce qui concerne les achats de véhicules propres et indirectement en matière d'émissions de CO2 des véhicules légers ; il faut donc prolonger l'ambition en travaillant aussi sur la révision des normes Euro. Le Gouvernement a d'ailleurs annoncé en juillet dernier vouloir prendre l'initiative de proposer au niveau européen une norme Euro 7 ambitieuse. Au niveau national, la future loi sur les mobilités devrait accompagner le déploiement de zones à faibles émissions dans les territoires les plus pollués, et soutenir les mobilités moins polluantes, comme le vélo, et les mobilités partagées, comme le covoiturage. Il y a urgence à agir : à la mi-mai, la Commission européenne a décidé de saisir la Cour de justice contre la France pour non-respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d'azote (NO2) et pour manquement à l'obligation de prendre des mesures appropriées pour écourter le plus possible les périodes de dépassement de ces valeurs limites. Au-delà du risque de condamnation de la France c'est avant tout la protection de la santé des Français qui nous oblige à accélérer et à renforcer l'action en faveur de la qualité de l'air. Cela est difficile car il faut faire avec des choix du passé en matière d'aménagement du territoire, de politique énergétique ou de transports, mais tant pour le Gouvernement que dans nos territoires, la profonde transformation nécessaire est déjà entamée.

Voilà les différents éléments qui m'ont conduit à vous proposer d'adopter ces conclusions.

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