Comment, alors, définir votre projet ? Rien qui relève du bon sens : vous édifiez l'État libéral, avec la puissance publique comme accélérateur de la dérégulation en tous domaines et de la marchandisation de tout ce qui peut l'être. Vous croyez au marché comme au grand ordonnateur du système économique et vous pensez que la formation initiale et professionnelle a pour rôle de mettre en adéquation l'offre et la demande sur le marché de l'emploi. La conséquence est une individualisation exacerbée, qui viendra alimenter les inégalités. Les failles sont pourtant connues d'un système qui peine à permettre aux moins qualifiés de se former, et votre réponse à cet enjeu n'est pas la bonne.
Vous réduisez la part des acteurs sociaux et des élus locaux dans la gestion du système. Vous marginalisez les accompagnements pour ouvrir un grand supermarché des formations, qui seront disponibles d'un simple clic sur un téléphone portable ou une plateforme. Vous instituez une sorte de chèque formation, en transformant une dotation horaire en une dotation monétaire qui, au passage, divise le droit par deux. Vous incitez à la prise en charge de la formation par l'individu, sur ses deniers et son temps propres. Vous diminuez le volume de richesses qui pourront, au bout du compte, y être consacrées globalement dans notre pays. Vous laissez de côté l'ambition de qualification pour la nébuleuse des compétences, prenant le risque de favoriser des formations low cost. Vous affaiblissez, ce faisant, les outils publics existants. Nous n'y voyons aucune ambition réelle pour la formation professionnelle, mais une vision court-termiste et utilitariste. Les personnels et les acteurs du monde de la formation s'inquiètent de ces bouleversements impréparés et de leurs conséquences, et vous ne leur avez adressé aucun signe.
Au passage, vous sacrifiez notre service public d'information et d'orientation, poussant à la suppression des lieux utiles que sont les centres d'information et d'orientation – CIO – et coupant l'ONISEP de son enracinement de terrain. C'est cohérent avec votre logique.
L'apprentissage est mangé à la même sauce : vous présentez un projet de dérégulation et de privatisation, mal copié sur le modèle allemand, et le détachez de la formation initiale. Vous êtes, là aussi, dans une logique adéquationniste, qui est moins justifiée encore dans le cas de l'apprentissage. Plutôt que de travailler sur un statut protecteur permettant de garantir la qualité de la formation en apprentissage, vous en abaissez les garde-fous avec l'allongement du temps de travail et la facilitation des ruptures, qui atteignent déjà 28 %. Dans la logique des ordonnances, vous abaissez désormais les droits pour les plus jeunes. Dans le même ordre d'idées, la dérégulation va mettre en difficulté des filières et des établissements utiles – en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, 33 centres de formation d'apprentis – CFA – ont déjà été comptabilisés comme menacés.
La réforme de l'assurance-chômage découle des décisions lourdes prises à l'occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui viennent entériner la fin du financement de la protection sociale par la cotisation salariale, ce que vous nous avez bien abusivement présenté comme une augmentation de pouvoir d'achat. On se trouve, là encore, dans l'édification de l'État libéral, puisque vous prenez en main une gestion qui était assumée de façon paritaire, et que l'État pourra décider de la somme qu'il affecte chaque année à l'assurance chômage.
La promesse d'universalisation du droit à l'assurance chômage se fracasse sur la réalité de vos décisions : 3 % des démissionnaires bénéficieront de votre nouveau dispositif, et 1 % des travailleurs indépendants, dont certains sont des salariés déguisés. Nous vous mettons en garde contre l'instauration de ce qui pourrait s'apparenter à un statut de sous-salarié. Il faut ajouter à cela les 55 % de demandeurs d'emplois qui ne sont pas indemnisés, dont les jeunes de moins de vingt-cinq ans.
Non contents de cela, vous ajoutez votre pierre aux dispositifs de contrôle des chômeurs, dont certains confinent à la culpabilisation, et même à l'humiliation, …