Les critiques que le comité des experts spécialisés de l'ANSES que je préside avait formulées dans un avis paru il y a peu traduisaient l'approche que j'ai rappelée, soulignant qu'il est en partie illusoire, en partie faux et en partie inadapté de décrire des aliments en termes réductionnistes ; cette manière de faire pose des questions infernales en termes nutritionnels. Mais je ne suis pas rigoriste ; il faut voir. Le CES « Nutrition humaine » fait de l'évaluation scientifique, non de la gestion. Nous ne proposons pas des mesures de santé publique, nous évaluons la réalité des choses, et notre évaluation des systèmes d'information nutritionnelle en général était assez critique, peut-être un peu plus critique des systèmes dits interprétatifs ou agrégatifs qui résument un ensemble de choses à une dimension, parce qu'il nous semble que cela masque une analyse réelle de la qualité nutritionnelle des produits. Nutritionnellement, un aliment « vert » ne compense pas un aliment « rouge », parce qu'ils n'ont ni les mêmes défauts ni les mêmes qualités. Cette manière de faire nous semble purger la compréhension nutritionnelle que peuvent avoir les gens. En revanche, c'est efficace parce que c'est ce qu'on apporte aux consommateurs. Je ne veux pas opposer les deux approches. D'ailleurs, Serge Hercberg en est d'accord : dans son rapport figurait une série de suggestions dont l'éducation nutritionnelle formait une bonne part, et il y évoquait aussi ce système d'information nutritionnelle.
Je veux mettre en garde, parce que l'on nous dit qu'il est très important de faire les deux, d'avoir une approche facilitant le choix des individus entre les aliments proposés. Cela est vrai et je suis évidemment sensible à cet aspect des choses, mais je crains que, chemin faisant, on ne parvienne pas à mener de front les deux approches, même si on ne les oppose pas. Déjà, la qualité nutritionnelle d'un aliment, c'est devenu son Nutri-Score. Mais souvenez-vous que quand on demandait à l'inventeur de la notion de quotient intellectuel ce qu'était l'intelligence, il répondait : « C'est ce que mesure mon test ». De même, je crains qu'en misant sur le Nutri-Score on ne liquide le reste. Idéalement, il faudrait faire de l'éducation nutritionnelle telle que je la propose et que la proposent tous les nutritionnistes, expliquer aux gens ce qu'ils doivent manger en termes de pyramide alimentaire et de repères de consommation larges, mais j'ai peur que cela ne soit pas ou plus audible si on fait le reste.