Une évaluation du Nutri-Score sera en effet utile, et il y a bien des chances que ses répercussions soient positives, parce qu'il est associé à la qualité nutritionnelle de l'alimentation ; à mon avis il ne la décrit pas bien, mais il la décrit quand même – on peut donc voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. On s'attend à ce que l'application du dispositif soit assortie d'effets favorables, et peut-être aussi d'effets pernicieux. Il est logique d'évaluer les politiques publiques et il faudra étudier celle-là.
Je crois savoir que vous avez prévu d'auditionner mes collègues de l'ANSES spécialisés en nutrivigilance ; ils pourront peut-être vous en dire plus que moi en cette matière. Ce que j'en sais, c'est que l'on est capable de récolter l'information sur des effets indésirables liés à la consommation des compléments alimentaires, des aliments enrichis et des aliments qui répondent à la définition du règlement européen relatif aux novel foods, les aliments et les ingrédients nouveaux. Le dispositif national de nutrivigilance a déjà fait ses preuves : il permet d'examiner avec une grande rigueur, par un bon processus scientifique, des cas que l'on a pu interpréter, ce qui a permis de faire des mises en garde au sujet de compléments alimentaires, notamment des compléments alimentaires à base de plantes – il y a là un marché incroyable ! Force est de constater que l'on n'a guère d'informations ou de connaissances sur les effets, principaux et secondaires, de bien des plantes qui se trouvent dans ces composés.
On peut porter un regard un peu critique non sur le dispositif lui-même mais sur la complétude d'un dispositif d'épidémiosurveillance ou d'évaluation de la dangerosité ou du risque lié à la présence de certains aliments sur le marché, parce que la nutrivigilance ne détecte que les cas d'effets indésirables aigus. Si vous absorbez un complément alimentaire et qu'ensuite vous avez un malaise ou une éruption cutanée, vous le signalerez – un des critères retenus est d'ailleurs celui de la cohérence chronologique entre l'absorption du produit et la manifestation des effets secondaires. Mais l'on est incapable, par ce dispositif, de juger des effets à moyen et long terme de la consommation d'aliments. Pour cela, on recourt à la toxicologie classique : dans le dispositif novel food, par exemple, on fait ingérer la substance à des rats, généralement pendant 90 jours, et on observe ce qui se passe. Seulement, cette toxicologie grossière montrera si le foie explose mais pas si la substance augmente le risque de cancer à long terme. C'est donc un instrument très fruste d'évaluation des aspects toxicologiques de ces ingrédients et de ces aliments.
Il y a donc un vide dans l'appréciation du risque que présentent certaines substances et certains aliments, notamment les compléments alimentaires ou les nouveaux ingrédients proposés. Il ne faudrait pas se dire que, puisqu'il existe un dispositif de nutrivigilance, tout est sous contrôle. Ce n'est pas le cas : on ne détectera pas par ce biais les pathologies chroniques qui vous intéressent mais seulement les effets aigus constatés après une consommation d'un jour ou d'un mois.