Intervention de François Mariotti

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 11h15
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

François Mariotti, professeur à AgroTechParis (UFR de biologie et nutrition humaine), président du comité d'experts spécialisé Nutrition humaine auprès de l'ANSES :

C'est une question majeure. Les gens qui n'ont pas de liens d'intérêts ne sont pas très nombreux. Il y en a et c'est heureux, mais ils sont rares ; cela est dû au système de financement public défaillant de la recherche sur la nutrition en France. Nos organismes de recherche nous donnent le gîte et le couvert, c'est tout. Nous devons trouver l'argent ailleurs, si bien que nous proposons dix projets pour obtenir le financement d'un seul et nous y passons notre temps, au point que, en pratique, nous sommes plutôt chercheurs en fonds que chercheur en sciences. J'ajoute que nous sommes incités par nos organismes et par nos évaluateurs à avoir des relations avec l'industrie agroalimentaire. Si l'on veut faire de l'expertise publique, cela devient rapidement incompatible ou, du moins, on se trouve en situation de tension au regard des liens d'intérêts.

Tous ceux qui travaillent à l'ANSES sont tenus de faire des déclarations d'intérêt et, systématiquement, en fonction des sujets à l'ordre du jour, ceux pour lesquels on a identifié un risque de conflit d'intérêts sont écartés des débats. La question est délicate parce que, évidemment, un expert à qui l'on dit qu'il doit se déporter parce qu'il a eu un contrat avec un industriel sur le sujet en discussion le prend mal : il a le sentiment que son intégrité est remise en cause. Ce n'est pas le cas ; c'est simplement que, pour le public et pour le citoyen, il doit y avoir traçabilité des risques que la pensée soit distordue.

Pour ce qui me concerne, j'ai des liens d'intérêt assez distendus : je n'ai jamais reçu un centime de fonds privés à titre personnel et je refuse systématiquement l'argent qui m'est proposé pour donner des conférences. Je peux décider de faire des conférences si je suis invité, mais je ne prends pas un centime et je fais régler mes frais de déplacement par ma structure, précisément parce que je ne veux pas ajouter de liens d'intérêt à ceux que j'ai déjà. Je suis très attentif à ce qu'il en soit ainsi et je sais que beaucoup de mes collègues le sont aussi, mais nous sommes placés de facto en situation de conflit puisque l'on nous demande d'avoir le moins de liens d'intérêt possibles pour pouvoir faire de l'expertise publique et que les chercheurs ont besoin d'argent pour faire de la recherche. Tel est le paradoxe.

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