La déclaration des accidents du travail est à la charge des employeurs et, à mon sens, il n'y a pas de sous-déclaration, ou très peu. En revanche, c'est aux salariés qu'il appartient de déclarer leurs maladies professionnelles, ne serait-ce que pour des raisons tenant à la protection des libertés fondamentales et du secret médical : tout salarié est libre de faire état ou non d'une pathologie. Or, il arrive qu'ils ne déclarent pas, soit par méconnaissance soit, beaucoup plus rarement, par volonté. C'est particulièrement vrai dans le cas des cancers, étant donné le décalage important entre l'exposition aux agents pathogènes et l'identification de la pathologie. Je n'ai pas les moyens de confirmer ou d'infirmer le phénomène de sous-déclaration ; sans doute les services médicaux pourraient-ils vous apporter des précisions sur ce point.
J'en viens à l'action des différents partenaires impliqués hormis l'entreprise : le service de santé au travail, les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et l'inspection du travail. La tendance actuelle est au renforcement du rôle des CARSAT – et, en Île-de-France, de la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF). Ces acteurs très compétents sont proches de l'entreprise puisqu'ils sont informés des réunions des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – les futurs comités sociaux et économiques (CSE). C'est également à eux qu'incombe la mission de prévention de la pénibilité au travail. Les ordonnances du 22 septembre 2017 et les décrets d'application de décembre renforcent le rôle des CARSAT. En matière de prévention du risque professionnel, notamment en ce qui concerne les maladies, les CARSAT ont une vision sur le temps long, ne serait-ce que parce qu'elles sont également chargées des retraites. Leur regard sur l'application du contrat de travail et la vie professionnelle du salarié est un facteur favorable à la prévention et au suivi du risque d'exposition durable aux agents pathogènes,. Ce n'est pas un hasard si la prévention de la pénibilité a été confiée aux CARSAT, dès l'origine du dispositif en 2010 puis lors de la création du compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP), devenu le compte professionnel de prévention (CPP). Par leur intitulé même, les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail couvrent l'ensemble du sujet. Elles ont également une vision à l'échelle de l'établissement, chaque établissement disposant d'un code correspondant au risque auquel il est exposé. En clair, les CARSAT connaissent bien l'entreprise.
À titre personnel, il me semble nécessaire de préserver la spécificité du médecin du travail, qui est distinct du médecin de ville – lequel a toute son importance, cela va de soi. Le médecin du travail est en principe tenu de passer un tiers de son temps dans l'entreprise. Il se heurte néanmoins à un problème de moyens : il est surchargé par d'autres tâches qui l'éloignent de l'entreprise. Au fil des dernières réformes, le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire se sont employés à le décharger de ces tâches administratives pour lui permettre de renforcer sa présence dans l'entreprise. En tant que médecin, en effet, il a une vision pertinente et percutante de ce qu'est la santé – et pour cause, c'est son métier – et de la manière dont il peut prévenir les risques. Le service de santé au travail comprend aussi des professionnels non-médecins mais spécialistes de la prévention, comme des ergonomes et d'autres personnes disposant d'un bagage scientifique leur permettant d'intervenir.