Étant donné le nombre de moyennes et de petites entreprises en France, je ne vous présenterai pas la CPME : vous connaissez sa représentativité et son utilité.
Je suis médecin du travail, je dirige un service de médecine du travail en Île-de-France depuis plus de trente-cinq ans. À ce titre, la CPME m'a confié la plupart des mandats relatifs à l'hygiène, la sécurité et la santé au travail.
J'ai cru comprendre, par le document que vous nous avez envoyé, que les questions susceptibles d'être posées relèvent essentiellement de la réparation et de la prévention – et, par conséquent, de la médecine du travail.
Je commencerai par la question de la réparation, qui fait l'objet des enjeux les plus importants. Le PST 3, comme cela vient d'être dit, a su rétablir la primauté de la prévention sur la réparation.
La réparation est une juste mesure, fondée, en France, sur un compromis social qui associe une réparation forfaitaire à une présomption d'origine. La réparation est cependant un double échec : d'une part, elle acte un défaut de prévention ; d'autre part, il s'agit d'un échec masqué qui résulte des grandes difficultés rencontrées dans l'élaboration des tableaux des maladies professionnelles, de sorte que cette réparation est quelque peu dévoyée.
Le compromis social n'ouvre pas un droit à un complément de revenus : c'est une juste réparation. Ce n'est pas non plus un droit dérogatoire à l'accès à la retraite ; c'est une juste réparation. Depuis maintenant plusieurs années, nous nous heurtons à une déviance de ce système, qui relève de la difficulté d'élaborer des tableaux de maladies professionnelles.
En matière de pathologies professionnelles, deux cas de figure se présentent. Lorsque le lien entre le travail et la maladie est évident, il est très simple, pour les partenaires sociaux, avec des éléments statistiques convaincants, de rédiger un tableau de maladies professionnelles. Il en va tout autrement depuis vingt-cinq ans, avec l'émergence d'une volonté de réparation pour un certain nombre de maladies, relevant de trois catégories.
La première concerne les néoplasies, qui regroupent les cancers malins et les tumeurs bégnines. La deuxième résulte de la sphère psychopathologique. Enfin, la troisième se réfère au groupe de maladies qui tiennent à la dégénérescence du corps humain – maladies ostéo-articulaires, troubles musculo-squelettiques (TMS), lombalgies, etc.
Je siège depuis 1982 à la commission des maladies professionnelles et, dès 1990, nous nous sommes questionnés sur cette dernière catégorie – des maladies dont la relation avec le travail n'est pas évidente et qui peuvent être caractérisées par leur caractère ubiquitaire, c'est-à-dire qui relève tout autant de la personne que de son milieu et de son travail. De sorte que nous étions démunis pour établir un tableau de maladies professionnelles qui soit juste.
Les solutions, nous les connaissons. Mais aucune démarche politique, depuis vingt-cinq ans, n'a été entreprise pour mettre en place ces mesures.
Un tableau de maladies professionnelles contient trois colonnes : la désignation de maladie, le délai de prise en charge et la liste des activités concernées qui est, soit limitative, soit indicative. Il suffirait d'ajouter deux colonnes : une pour les examens complémentaires nécessaires pour établir le diagnostic, et une pour établir la liste des diagnostics différentiels – risques d'erreur d'attribution – qui pourraient permettre d'accéder à cette juste réparation.
Il se trouve que, depuis quinze ans, le Conseil d'État retoque systématiquement cette proposition, au motif que ces deux indicateurs ne relèvent pas de la construction d'un tableau de maladies professionnelles. Il vous sera aisé de retrouver les arrêts du Conseil d'État rejetant des tableaux établis de façon consensuelle par les partenaires sociaux au sein de la commission spécialisée n° 4 du COCT, au motif que nous n'aurions pas le droit de préciser les conditions de réparation au titre d'une maladie professionnelle particulière.
C'est un vrai problème. Car dans le même temps, nous avons vu émerger des systèmes dérogatoires pour certains risques professionnels, l'amiante en étant un exemple patent. L'amiante est un vrai problème de santé publique. Pour autant, les conditions de sa réparation posent elles aussi des problèmes.
Le premier, c'est le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA). Nous avons réussi là à construire un dispositif qui établit l'exposition à un risque sur la seule adresse de la raison sociale de l'entreprise ; c'est exorbitant et ne correspond à aucune mesure de juste réparation. Cela nous ayant été imposé dans des conditions assez rocambolesques, nous avons proposé, une dizaine d'années après la création de ce fonds, de faire procéder à une analyse de mortalité pour déterminer si les décès des salariés qui avaient bénéficié de ce fonds, au titre de l'exposition « topographique » au risque amiante, pouvaient effectivement être attribués à l'amiante. Cette analyse épidémiologique nous a toujours été refusée, au motif que nous ne pouvions connaître le suivi des gens qui, une fois passés de la retraite anticipée à la retraite normale, étaient perdus de vue – ce qui est incompréhensible, puisque si ces gens ont été exposés à l'amiante, ils doivent bénéficier d'un suivi post-professionnel. Au contraire, ils ont été lâchés dans la nature sans suivi. Donc deux choses l'une : soit c'est de la désinvolture, soit c'est de la négligence.
Le second point concerne le tableau 30 des maladies professionnelles, qui corrige les effets morbides de l'amiante. Nous sommes les seuls, dans le monde, à accepter qu'une seule plaque pleurale permette d'accéder au tableau des maladies professionnelles. Dans tous les autres pays, seules les plaques pleurales bilatérales ouvrent l'accès à la réparation. Or nous savons bien qu'une unique plaque pleurale peut résulter d'autres événements morbides qui n'ont rien à avoir avec l'amiante.
Très récemment, la direction générale du travail (DGT) a sollicité le groupe permanent d'orientation (GPO) du COCT, qui associe les partenaires sociaux, pour mener une réflexion portant sur la confection des tableaux de maladies professionnelles, en rejetant d'emblée notre proposition de colonnes supplémentaires. Il a finalement été décidé, avec bien des difficultés, et parfois des sueurs froides pour les partenaires sociaux quant à leur autonomie au sein du GPO – inquiétudes qui ont, depuis, été apaisées après de nombreuses interventions –, de confier à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), sinon l'exclusivité, du moins la normalisation des enquêtes préliminaires à l'élaboration d'un tableau de maladies professionnelles. Il lui a été confié dernièrement l'analyse des effets des pesticides au regard des maladies professionnelles. Or l'ANSES va devenir l'enquêteur principal pour l'évaluation du risque professionnel des pesticides, alors même qu'elle a pour mission de délivrer des autorisations de mises sur le marché de ces mêmes pesticides. Ce conflit d'intérêts – ou cette situation dialectique compliquée – n'a effleuré personne.
Il faut donc pousser plus avant la régularisation du mode de confection des tableaux de maladies professionnelles.