Intervention de Philippe Vigier

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 15h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vigier, rapporteur spécial :

Avec le vote de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, le Président de la République a souhaité apporter une réponse forte à l'exigence de transparence qu'expriment chaque jour les Françaises et les Français avec force. Cette exigence concerne en premier lieu les élus du peuple que nous sommes, mais, pour que nous parvenions ensemble à une transformation en profondeur de notre société, elle doit s'appliquer à toute la sphère publique, à toutes celles et ceux qui représentent le peuple ou les institutions qui oeuvrent en son nom. À cet égard, il appartient au rapporteur de la mission Pouvoirs publics de s'assurer que ces derniers se conforment à cette approche en rendant compte de façon détaillée et sincère de l'utilisation de leur budget. C'est pourquoi, avec ma collègue Lise Magnier, députée de la Marne, qui me succédera l'année prochaine et avec qui j'ai travaillé en étroite liaison, nous prenons tout particulièrement à coeur notre mission de rapporteurs spéciaux et avons exercé pleinement les pouvoirs qui nous sont reconnus par la loi organique. Nous avons commencé ensemble ce travail de contrôle et d'évaluation au début de la législature. Partout, nous avons rencontré des interlocuteurs soucieux de répondre à nos questions, attentifs aux remarques ou critiques que nous avons pu formuler, jamais réticents à nous apporter des précisions complémentaires. Partout sauf à l'Assemblée nationale, où nous nous sommes heurtés pour ainsi dire, à un mur ! Il ne s'agit pourtant pas d'une démarche inquisitoire ou opportune, mais simplement de participer à retisser le lien de confiance entre les institutions et les citoyennes et les citoyens de ce pays. Étant, par nature, peu enclin à renoncer, je consacrerai donc la plus grande partie de mon propos à cette situation pour le moins paradoxale.

Je procéderai auparavant à une brève analyse de l'exécution budgétaire des autres dotations de la mission – Présidence de la République, Conseil constitutionnel, Cour de justice de la République, Sénat et chaînes parlementaires. Les trois élections de l'année 2017 ont évidemment eu une incidence sur le fonctionnement et les dépenses des institutions concernées. Le Conseil constitutionnel, par exemple, avait fait passer sa dotation de 9,9 millions d'euros en 2016 à 13,7 millions en 2017, en prévision de surcoûts. Un budget annexe de l'ordre de 2 millions d'euros avait été prévu à cette fin. Il n'a été exécuté qu'à hauteur de 1,5 million d'euros. D'autres postes de dépenses, pourtant beaucoup plus prévisibles, ont été largement sous-exécutés, notamment les dépenses de personnel, sensiblement inférieures aux prévisions avec 780 000 euros de moins, et les dépenses d'investissement, inférieures de 850 000 euros au budget initial. Le Conseil explique qu'en raison du contrôle électoral, un certain nombre de travaux n'a pas pu être réalisé. L'exécution fait apparaître un solde global de 2,1 millions d'euros, soit 15 % de la dotation initiale. J'appelle votre attention sur le fait que la dotation du Conseil votée pour 2018 s'élève à 11,7 millions d'euros, soit 1 million de plus que l'exécution 2016 qui doit être notre point de comparaison puisque, chacun l'a compris, l'année 2017 avait un caractère exceptionnel. De plus, les dépenses prévisionnelles d'investissement pour cette même année 2018 sont en hausse de 15 % par rapport à la prévision 2017. Dans ces conditions, il me paraîtrait légitime, et nullement pénalisant pour le bon fonctionnement du Conseil constitutionnel, que l'excédent constaté en 2017 soit reversé au budget de l'État.

La Cour de justice de la République, pour sa part, procède systématiquement à un tel reversement. Sa dotation, inchangée depuis 2015, s'établit à 861 500 euros. Plus de la moitié de ce montant est consacrée au loyer de l'immeuble occupé par les services de la Cour. Il est prévu que celle-ci s'installe dans les anciens locaux du tribunal de grande instance (TGI) de Paris après l'emménagement de ce dernier dans la cité judiciaire des Batignolles. Monsieur le ministre, où en est la réalisation de ce projet ? Quand sera-t-il mis fin au bail du bâtiment de la rue de Constantine ? Enfin, il faudra anticiper la suppression de la Cour, prévue par la réforme constitutionnelle, en veillant à l'extinction de son budget.

Les trois autres institutions ont, en revanche, prélevé dans leurs réserves pour équilibrer leur budget de 2017. L'on pourrait se rassurer en observant que ces prélèvements n'atteignent pas les montants programmés dans les budgets initiaux. Mais le dispositif lui-même pose un réel problème de sincérité. Le gel des dotations, depuis plusieurs années, est un gel d'affichage. L'on peut tolérer que les disponibilités permettent des ajustements à la marge. Il n'est pas normal qu'elles deviennent un moyen de s'exonérer des règles budgétaires qui contraignent l'administration dans son ensemble.

Je voudrais saluer l'opération vérité menée par le Président de la République peu après son entrée en fonction. Porter à 103 millions d'euros la dotation de la présidence, contre 100 millions depuis 2014, n'est pas forcément populaire. C'est un acte de transparence, cohérent d'ailleurs avec ce qu'avait fait Nicolas Sarkozy en demandant la certification par la Cour des comptes et avec la décision de François Hollande de rendre 10 millions d'euros au budget de l'État. Je veux également souligner les efforts accomplis sur les logements de fonction à l'Élysée et le fait que mes recommandations aient été suivies sur les frais de maquillage. Enfin, dans un souci de transparence, je suggère que l'Élysée publie son budget en ligne.

Comme je l'ai souligné lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, l'augmentation de la dotation de la présidence se justifie essentiellement par le relèvement des mesures de sécurité. Je vous demande de nous dire, monsieur le ministre, lesquelles de ces mesures ont été mises en oeuvre dès 2017.

J'évoquerai rapidement La Chaîne parlementaire, dont les deux entités, Public Sénat et LCP-AN, ont reçu pour 2017 des dotations s'élevant à 18,2 et 16,6 millions d'euros. Je salue l'effort fourni par LCP-AN en matière de dépenses de fonctionnement. Mais il faudrait s'attacher à mutualiser notamment les coûts de maintenance entre ces deux chaînes et, à brève échéance j'espère, les fusionner. Le président-directeur général de Public Sénat a récemment été reconduit et un successeur à Mme Marie-Ève Malouines a été désigné. Je les invite très vivement à établir un unique contrat d'objectifs et de moyens pour les années 2019-2021, de façon à apporter l'information la plus large avec des moyens contenus.

J'en viens, enfin, au sujet de l'Assemblée nationale, où nous nous heurtons à une volonté d'obstruction parfaitement scandaleuse. Après les recommandations formulées dans mon rapport spécial sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2018, j'ai effectué le 17 janvier un contrôle sur pièces et sur place dans les locaux du 233 boulevard Saint Germain. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'une démarche insolite, mais d'une démarche normale. J'ai fait de tels contrôles à maintes reprises sous la précédente mandature. Je l'ai fait au Conseil économique, social et environnemental (CESE) à la Cour des comptes. Mes demandes étaient simples. Elles concernaient la liste des 40 premiers traitements de fonctionnaires ou de contractuels, la liste des logements de fonction, les modalités de calcul des primes des fonctionnaires, leur régime de congés, leur temps de travail, la rémunération du déontologue de l'Assemblée nationale, la liste des dix voyages ou déplacements les plus coûteux, la liste des dix réceptions et événements les plus coûteux, la liste détaillée des appartements accordés aux questeurs et les modes de fonctionnement, la liste des dix premiers contrats de prestataires et, naturellement, des éléments sur l'Hôtel de Broglie – des éléments sur la négociation du prix d'achat et sur l'évaluation du prix des travaux. Il n'est pas normal que les parlementaires ne puissent pas avoir ces documents alors que ceux-ci se retrouvent bien souvent dans la presse.

Les réponses, si l'on peut parler de réponses, ne nous sont parvenues que plus d'un mois après, accompagnées d'une lettre des questeurs datée du 22 février dernier, avec une grande imprécision. J'ai envoyé le 13 mars au premier questeur, qui a systématiquement eu une oreille très attentive aux demandes que nous avons formulées, une nouvelle liste de questions plus détaillées. Notre demande, à ce jour, n'a pas reçu de réponse malgré une relance le 17 avril. Cela signifie, mes chers collègues, que notre commission se heurte à une obstruction délibérée. Que les responsables administratifs de l'Assemblée violent sciemment le texte organique, la LOLF, qui définit les pouvoirs du Parlement en matière budgétaire, est me semblait inimaginable ! J'ai donc fait part de mon indignation à notre président Éric Woerth, qui a souligné dans sa réponse la faiblesse des moyens de contrainte effectifs dont nous disposons. J'attends toujours des explications de la part du président de Rugy, à qui j'ai écrit.

Je tiens à préciser que je ne rencontre aucune difficulté à obtenir les informations demandées aux autres institutions ou structures de la mission Pouvoirs publics. Ce sont d'ailleurs des documents communiqués par le Sénat qui nous offrent, je crois, des pistes d'amélioration concernant l'Assemblée. Depuis 2008, la Haute Assemblée s'est engagée dans des réformes profondes et dans une politique d'économies substantielles dont l'Assemblée nationale ferait bien de s'inspirer. Ainsi s'agissant du personnel, le Sénat a ramené le nombre de ses directions de 21 à 12, quand l'Assemblée nationale en compte 18, et le grade de directeur a été transformé en fonction qui peut être retirée à tout moment. Les postes d'agents ont été mutualisés, la mobilité est généralisée et le temps de travail est comptabilisé de façon rigoureuse. La masse salariale des fonctionnaires a diminué de 10 % entre 2010 et 2017 sous l'effet de la réforme du congé spécial, de la diminution des effectifs et de la mise en extinction de plusieurs primes. Je rappelle que le Sénat avait supprimé dès 2008 le statut des anciens présidents et abaissé en 2009 l'indemnité de fonction particulière du président et celle des questeurs. L'Assemblée nationale possède encore douze appartements de fonction, contre deux au Sénat, pour une surface totale de plus de 1 000 mètres carrés. Le Sénat a vendu plus de 400 mètres carrés de locaux dès 2017. Il faut souligner, enfin, que les actifs des caisses de retraite du Sénat permettent de ne pas recourir à l'argent public pour assurer l'équilibre du régime de retraite des parlementaires et des fonctionnaires. À l'inverse, l'Assemblée nationale a dû avoir recours à une subvention d'équilibre de plus de 43 millions d'euros à la Caisse de pensions des députés, contre 36 millions en 2016. Je salue d'ailleurs l'initiative prise par notre président François de Rugy pour aligner le régime de retraites des députés sur le régime commun, demande que j'avais formulée dès 2010 avec mes collègues Charles de Courson et Thierry Benoît.

Je veux enfin évoquer l'achat de l'Hôtel de Broglie, qui est la parfaite illustration du caractère erratique de la gouvernance. Pourquoi le Bureau de la précédente Assemblée a-t-il procédé à cette acquisition en toute fin de législature, pour un montant de 63 millions d'euros pris – là encore pris sur les réserves ? A-t-il seulement pris le temps d'effectuer le recensement préalable des espaces susceptibles d'être libérés dans les locaux existants ?

Mes chers collègues, pour conclure mon propos, je voudrais simplement interpeller le président de l'Assemblée nationale qui a annoncé qu'il prendrait des premières mesures pour réformer la fonction publique parlementaire d'ici un mois, notamment en favorisant un recours plus important aux contractuels. Ce n'est pas un bon chemin. D'autres tâches annexes peuvent sans doute être confiées à des contractuels ou déléguées au privé, mais cela ne peut en aucun cas concerner travail parlementaire, qui est au coeur de l'activité de l'Assemblée nationale. Nous mesurons chaque jour – et tous les week-ends, actuellement, monsieur le ministre – combien ces fonctionnaires sont indispensables. Ils sont la neutralité et l'indépendance. Il est indispensable qu'ils restent, pour cette maison, dans ce statut de fonctionnaire. C'est grâce à cela que notre assemblée sera plus forte et prouvera sa pleine utilité à nos concitoyens.

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, monsieur le président, en dépit de l'obstruction à laquelle je suis confronté, nous continuerons, avec ma collègue Lise Magnier qui me relaiera l'année prochaine, à poser ces questions et à nous battre pour l'indispensable mutation de notre Assemblée vers une gouvernance plus transparente et plus soucieuse de l'argent public, mais aussi plus utile aux Français.

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