Madame la ministre, mes chers collègues, je salue l'initiative de la commission des finances de dynamiser l'examen du projet de loi de règlement en auditionnant les ministres non seulement sur l'exécution budgétaire passée, mais aussi sur les politiques publiques qu'ils mènent. Mes questions, remarques et suggestions porteront sur chacun de ces deux volets.
L'analyse brute de l'exécution budgétaire peut mettre en lumière des problèmes ou des questions parfois importantes. C'est le cas de l'exercice 2017. Deux éléments ont particulièrement retenu mon attention.
Le premier a trait à la sincérité de la programmation 2017 de la mission Outre-mer. Au moment de sa présentation devant le Parlement, à l'automne 2016, le Gouvernement avait affiché des crédits en stabilité. Cette stabilité n'a toutefois été obtenue qu'au prix d'importantes mesures de périmètre, puisque plus de 100 millions d'euros avaient été transférés en provenance d'autres ministères. Parmi ces crédits transférés, environ 90 millions d'euros en autorisation d'engagement (AE) et 80 millions d'euros en crédits de paiement (CP) provenaient de la mission Enseignement scolaire et correspondaient à des dotations de construction de collèges et lycées à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Sans ces intégrations, le Gouvernement aurait présenté aux parlementaires un budget en baisse de près de 5 % pour 2017 en crédits de paiement. En clair, on a comptabilisé dans la mission Outre-mer des crédits qui appartenaient à la mission Enseignement scolaire en le justifiant par une mise en cohérence de la maquette budgétaire. Mais on peut en douter.
En effet, à peine le budget, ainsi gonflé, était-il adopté, que le Gouvernement a décidé de rétrocéder ces crédits en gestion au ministère de l'éducation nationale… Dès le 31 janvier 2017, il a pris un décret pour transférer 85,6 millions d'euros en AE et 76,9 millions d'euros en CP au ministère de l'éducation nationale. Un autre décret est intervenu en août 2017, pour un montant bien plus faible : 2,5 millions d'euros.
Autrement dit, on a le sentiment qu'à des fins d'affichage, le Gouvernement a souhaité présenter un budget 2017 de la mission Outre-mer gonflé de plus de 80 millions d'euros devant les parlementaires en y intégrant des crédits qui appartenaient au ministère de l'éducation nationale. Une fois le budget adopté, ces crédits ont été immédiatement rétrocédés.
Madame la ministre, y a-t-il une explication technique à ces mouvements réglementaires de crédits qui sont venus annuler des mesures de périmètre intervenues en loi de finances un mois après son entrée en vigueur ?
Pour ce qui est de l'exécution 2017 à proprement parler, je constate que les crédits ont augmenté de 123,0 millions d'euros en AE et de 128,6 millions d'euros en CP. C'est la première fois depuis 2013 que les crédits consommés augmentent.
Cette croissance s'explique par des événements imprévus qui ont nécessité des financements – je fais bien sûr référence aux ouragans Irma et Maria et au Plan Guyane qui a suivi les mouvements sociaux. Au total, environ 130 millions d'euros en AE et 110 millions d'euros en CP ont été débloqués. Sans ces événements, le budget de la mission aurait stagné en consommation. On remarque que la ligne budgétaire unique et les crédits alloués aux contrats de projets ou de développement ont fait office de gage au financement de ces nouvelles dépenses dans la mesure où ces événements ont conduit le ministère à revoir ses actions et ses allocations budgétaires en cours d'exercice.
Dans quelle mesure, ces imprévus ont-ils fait l'objet de financements en provenance d'autres ministères ?
Au-delà de l'exécution budgétaire, cette commission d'évaluation des politiques publiques est l'occasion pour moi de présenter quelques réflexions issues de mes travaux sur l'aide fiscale à l'investissement outre-mer.
Pour les nourrir, j'ai procédé à une dizaine d'auditions dans l'hexagone. J'ai également effectué, en mars dernier, un déplacement d'une semaine en Nouvelle-Calédonie, durant lequel j'ai rencontré de nombreuses entreprises bénéficiant de la défiscalisation, dont j'ai pu apprécier l'intérêt sur place. J'ai également participé aux travaux des assises des outre-mer sur la refonte des aides économiques, qui associent toutes les parties prenantes de la sphère économique et se concentrent sur l'intérêt de nos territoires.
Celles-ci ont d'ailleurs pu témoigner des difficultés que causent les délais accumulés par les collectivités locales dans le paiement des sommes dues aux entreprises. Je rappelle que le tissu économique de nos territoires est constitué principalement par des petites et moyennes entreprises. Il nous incombe dès lors de trouver rapidement des solutions efficaces afin que les petits entrepreneurs ultramarins ne soient plus considérés comme des organismes de crédit par les collectivités locales.
Nos territoires connaissent des contraintes structurelles liées à l'éloignement, à l'étroitesse des marchés et, comme on le voit régulièrement, à des événements climatiques exceptionnels. Des aides de l'État en faveur des économies ultramarines compensent partiellement ces handicaps ; elles prennent différentes formes, en particulier celle de réductions et de crédits d'impôt en faveur de l'investissement productif ou du logement.
L'évaluation que j'ai menée s'est centrée sur ces aides. Il ne s'agit absolument pas de s'arc-bouter sur ces dispositifs, mais bien plutôt de dessiner des pistes d'amélioration pour que ces derniers gagnent en efficience. Leur objectif est de dynamiser les économies ultramarines et de participer à la résorption du manque d'offre de logements. Je souhaite qu'elles profitent le plus possible aux entrepreneurs locaux, afin de maximiser l'effet de levier.
Avant de livrer les orientations que je promeus, je veux rappeler que les montants octroyés au titre de l'ensemble des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement outre-mer ont chuté de 40 % depuis 2011, c'est-à-dire en six ans. Cette tendance est directement liée aux différentes mesures d'encadrement qui ont été prises. Il faut donc se départir des idées reçues selon lesquelles ces dispositifs d'aide, dont l'objectif est pourtant le développement économique de nos territoires, constitueraient une charge injustifiée pour la Nation et qu'ils seraient au surplus générateur de fraudes – pas plus que les autres dispositifs de crédit ou de déduction d'impôts.
S'agissant des dispositifs d'aide fiscale en faveur de l'investissement productif, leur utilité plaide pour qu'ils soient maintenus et prolongés.
Trois arguments semblent plaider pour cette évolution.
Premier argument, les investissements dont le montant excède 250 000 euros ou 1 million d'euros selon les cas doivent être agréés par l'administration afin d'éviter tout effet d'aubaine. De ce fait, pour les projets les plus importants, le contrôle a priori de l'administration permet le ciblage des aides. Transformer les aides fiscales en subvention réduirait drastiquement le montant total des aides accordées, dans la mesure où l'administration n'aurait pas les moyens d'instruire dans des délais satisfaisants et de façon efficace tous les dossiers. À l'inverse, elle a développé une expertise impressionnante dans l'analyse des dossiers sur agrément, comme je l'ai constaté.
Deuxième argument : la subvention permet de mieux piloter la dépense publique en gestion. C'est vrai et je crains justement que des projets importants ne puissent se faire à cause de raisonnements comptables plus qu'économiques. Je crois préférable d'encadrer les dispositifs de soutien à l'investissement en fixant des règles législatives claires ex ante, plutôt que de réguler en gestion l'octroi de subventions. L'exercice 2017 l'a montré sur d'autres sujets : les subventions pilotables sont souvent les variables d'ajustement des aléas de gestion à financer ; c'est le cas notamment de la ligne budgétaire unique (LBU) ou encore des financements dédiés aux contrats de développement.
Troisième argument : la définition d'investissement productif pourrait être précisée dans la loi, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et cause des difficultés à l'administration. La loi pourrait également préciser la notion européenne d'investissement initial qui s'applique à ces dépenses fiscales. De même, serait-il possible de renforcer la sécurité juridique offerte par ces dispositifs à travers la définition des notions d'investissement de renouvellement ou encore, pour le logement social, de réhabilitation ?
Quatrième argument : je pense que la défiscalisation traditionnelle doit être prolongée dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) pour pallier les difficultés de préfinancement que les entreprises rencontreraient au moment de recourir au crédit d'impôt censé la remplacer. On pourrait laisser aux entreprises le choix entre ces deux dispositifs, comme c'est le cas actuellement pour celles dont le chiffre d'affaires est inférieur à un certain seuil : si le crédit d'impôt apparaît finalement plus efficace que la défiscalisation traditionnelle, y compris pour les petites entreprises, alors cette dernière s'éteindra progressivement.
Je veux insister aussi sur le fait que l'ensemble de ces dispositifs ne comportent pas davantage de risques de fraude que les mécanismes de dépense fiscale nationaux – crédit ou réduction d'impôt : c'est en tout cas ce que m'a assuré la sous-direction du contrôle fiscal de la DGFIP.
J'en viens enfin très rapidement au secteur du logement social en saluant l'efficacité du dispositif. Le crédit d'impôt est aujourd'hui un outil de plus en plus utilisé. Mais il ne peut pas être appliqué dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, qui ne peuvent recourir qu'à la défiscalisation traditionnelle ; cela pose un certain nombre de problèmes, notamment concernant la réhabilitation. Je propose donc que les travaux de réhabilitation soient éligibles à la réduction d'impôt.
Au-delà de cette proposition, je souhaite instamment que les factures des entreprises ultramarines puissent être réglées dans des délais raisonnables. Il y a là un dispositif à créer avec les collectivités territoriales, l'État et l'administration hospitalière. Nous pourrions imaginer un fonds de garantie, piloté par l'État ou par un organisme public, qui aurait pour rôle d'assurer le paiement des factures des entreprises dans les délais légaux.