Sans refaire le débat budgétaire, je me contenterai d'apporter quelques observations sur l'exécution du budget.
Nous avons bien noté, madame la ministre, que 97 % du budget ont été exécutés en crédits de paiement pour les programmes 138 Emploi outre-mer et 123 Conditions de vie outre-mer. Toutefois, nous avons deux gros problèmes : premièrement, la non-exécution d'environ 55 millions d'euros du programme 123, dont vous nous donnerez peut-être la raison ; deuxièmement, la sous-utilisation de certains crédits, le plus alarmant – et je sais que nous partageons la même analyse – touchant aux crédits consacrés au logement.
Notre collègue, Olivier Serva nous a expliqué, et je partage son analyse, la différence entre crédit d'impôt et défiscalisation. Nous sommes collectivement très déterminés, vous comme nous, opposition comme majorité, à soutenir la politique du logement, mais comment expliquer que 32 millions d'euros sur 230 n'aient pas été consommés en 2017 ? Où sont les points de blocage ? Comment en venir à bout ?
De son côté, le budget pour 2018 baisse de 20 millions d'euros ; autrement dit, si l'on ajoute les 32 millions non consommés, ce sont 52 millions d'euros qui manquent. C'est pourtant un enjeu considérable pour le bâtiment et travaux publics (BTP), mais aussi en termes de réponse aux besoins des familles.
En ce qui concerne l'aménagement du territoire, ce sont 40 millions d'euros qui sont sous-utilisés, même si je peux comprendre que d'autres secteurs ont bénéficié d'un surplus d'exécution, et qu'un effet de vases communicants a joué compte tenu des besoins créés par les ouragans Irma et autres, notamment à Saint-Martin et en Guadeloupe. Par ailleurs, le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) connaît une sous-utilisation de 9 millions d'euros ; et cela est pour moi important.
Je précise que les 20 millions d'euros en moins pour 2018 correspondent à des AE ; en crédits de paiement, la baisse est 4 millions d'euros pour le logement, ce qui est certes moindre ; c'est moins, mais ce n'est pas négligeable. Le niveau d'exécution est supérieur de 23 millions d'euros pour l'action 6 Solidarité des territoires – il était louable d'aider Saint-Martin et tous ceux qui étaient en difficulté. Peut-être nous donnerez-vous des détails afin que nous sachions comment tout cela a été organisé.
S'agissant de la défiscalisation, comme notre collègue Serva, je considère qu'il faut rester très prudent sur la question de son évolution et ne pas provoquer une rupture entre les dynamiques installées et les dynamiques nouvelles créées par les crédits d'impôt ; il convient d'être très précis dans la transition. Nous avons présente à l'esprit l'expérience de l'allocation logement accession, qui a été mise à mal, ce qui a eu des conséquences extrêmement graves pour les montages opérationnels, et a mis en panne l'accession sociale à la propriété.
Nous savons pourtant que l'accession sociale à la propriété est fondamentale pour les familles très démunies : je rappelle que 70 % des demandeurs de logement de la Martinique, et certainement de la Guadeloupe, relèvent de la demande sociale, et à l'intérieur des terres, d'une demande très sociale. Ce système de logements locatifs très sociaux (LLTS) est l'équivalent du prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) en métropole. Lorsque vous mettez ce type de dispositif en oeuvre, vous réalisez aussi des logements évolutifs sociaux (LES), qui permettent d'accueillir des familles délogées de quartiers insalubres ou dégradés ; et je ne parle pas des réhabilitations.
L'exécution des crédits dévolus à la jeunesse est intéressante, à ceci près que les crédits de l'Agence de l'outre-mer (LADOM) sont en constante diminution, passant de 68 à 59 millions d'euros. Je considère que les crédits ne sont pas à la hauteur, même s'il ne s'agit pas seulement de faire venir les jeunes à ce qu'on persiste à appeler abusivement « la métropole, » et que j'appelle l'hexagone, car cela revient à continuer de ponctionner une population au détriment de son renouvellement démographique et à laisser se poursuivre la fuite des cerveaux : certains jeunes, qui sont au travail et pas au chômage, quittent la Martinique simplement parce qu'ils n'y ont ni structure ni espérance. Notre population va perdre 70 000 personnes en trente ans, et il en sera de même en Guadeloupe. Un travail de migration en retour doit être engagé ; il ne s'agit pas simplement de faire partir les gens, il faut aussi les faire revenir. On se souvient que le BUMIDOM avait provoqué en 1960 une chute catastrophique de la démographie ; or nous sommes en train de créer un BUMIDOM bis alors que nous ne sommes plus capables de renouveler la population. Je pense même que le passeport mobilité va dans le sens contraire de ce qu'il aurait fallu faire pour fixer la population sur place.
Nous devons réinventer un nouveau modèle économique pour nos pays, ce qui exige beaucoup de courage et de détermination. Car si nous ne réussissons cette grande mutation, nous ne pourrons pas lutter contre la précarité sociale et économique, ni installer une nouvelle démocratie économique, pour nous permettre, quelles que soient nos origines historiques et notre couleur de peau, de répondre présents au rendez-vous de l'initiative et de l'innovation.