L'examen de l'exécution de la mission Outre-mer interpelle en premier lieu sur des lignes budgétaires, qui, de l'avis de la Cour des comptes elle-même, ont subi des baisses substantielles pour financer des dépenses imprévues. Ces baisses sont importantes, mais surtout, elles affectent des budgets cruciaux.
En effet, celui du logement social a été amputé de 52,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 32,5 millions en crédits de paiement ; soit une diminution de 21,4 % en AE et de 14 % en CP. Autrement dit, les moyens réellement affectés à la politique du logement social sont passés sous le seuil de 200 millions d'euros en AE ou en CP, alors qu'en 2017 nous avions adopté un budget de 246 millions d'euros en AE et de 231 millions d'euros en CP.
Ce fossé interroge au moins à deux titres.
Est-il normal que pour faire face à la crise guyanaise et aux cyclones Irma et Maria, le logement social, dont on connaît l'acuité des besoins dans tous les outre-mer, soit ainsi mis à contribution ? Cette ponction inédite signifie-t-elle que la sanctuarisation constamment proclamée de la ligne budgétaire unique (LBU) a vécu ?
Ensuite, au moment où les besoins en formation professionnelle de nos jeunes et les aspirations à la mobilité sont incontestables, à l'heure où de nouvelles perspectives se dessinent vers nos environnements régionaux, nous souhaiterions vous entendre, madame la ministre, sur l'agence de l'outre-mer (LADOM) et son avenir.
Le risque de créances irrécouvrables est évalué à près de 30 millions d'euros en 2017, en dépit de la vente du siège de la rue Brissac, qui a rapporté près de 12 millions d'euros. En dépit des efforts réalisés au cours de ses dernières années, l'agence bute sur des difficultés financières et budgétaires. Pourquoi ?
Premièrement parce que la subvention pour charge de service public, qui s'élevait à 7, 3 millions d'euros en 2017, est structurellement insuffisante et s'inscrit dans une tendance durable à la baisse. Elle ne permet même pas de financer la totalité de la masse salariale qui est de 9 millions d'euros ni, a fortiori, la totalité des dépenses de fonctionnement, de 14 millions d'euros en 2017 ; ce qui explique en grande partie le retard pour payer les fournisseurs. Il a été aussi avancé que le Fonds social européen (FSE) pouvait compenser cette différence ; or, à ma connaissance, le rôle du FSE n'est pas de compenser un tel déficit.
La deuxième cause de cette situation, est que des investissements indispensables ne sont pas réalisés faute de financement. Il est pourtant nécessaire de renouveler le parc informatique obsolète, ainsi que le système d'information, qui est dans le même cas ; par ailleurs, LADOM étant géographiquement répartie sur plusieurs sites, elle doit s'équiper en matériel de vidéoconférence pour limiter les déplacements onéreux. Rien de tout cela n'est fait !
Quant aux effectifs, ils sont clairement insuffisants. LADOM avait reçu deux nouvelles missions en 2010 : la continuité territoriale et la mobilité. Il avait été prévu de lui octroyer pour ce faire 25 postes permanents ; il n'en a rien été et le recours à des contrats aidés ne permet pas de sécuriser l'activité ni en qualité, ni en quantité – quand on est soi-même en situation précaire, on ne peut pas s'occuper de personnes en situation précaire. Plus inquiétant, de nouvelles missions ont été confiées par la loi relative à l'égalité réelle outre-mer à LADOM, encore une fois sans moyens humains supplémentaires : le dispositif cadre pour Mayotte, qui doit débuter en septembre 2018, mais aussi la continuité funéraire sur l'ensemble des outre-mer. Comment faire mieux avec moins ? C'est une mission impossible, et cela au moment où les besoins en formation professionnelle de nos jeunes et leurs aspirations à se former et à s'épanouir par la formation professionnelle sont de plus en plus prégnants.
Je souhaiterais encore vous interpeller, madame la ministre, sur le traitement des sargasses, même si je sais que ce sujet ne concerne pas que la seule mission Outre-mer. Le ministère, via les différentes actions du programme 123 Conditions de vie outre-mer, se retrouve à gérer pratiquement une dizaine de fonds – le fonds régional d'aménagement foncier urbain, le fonds mahorais de développement économique, social et culturel, le fonds intercommunal de péréquation en Polynésie française, le fonds de continuité territoriale, fonds d'échanges éducatifs, culturels et sportifs, le fonds d'aide aux échanges artistiques et culturels pour l'outre-mer, le fonds de secours outre-mer, le fonds de coopération régionale, fonds exceptionnel d'investissement et le fonds vert… –, qui disposent théoriquement de financements d'État et de l'Union européenne et des collectivités locales ; ils mériteraient, à notre sens, d'être mieux structurés pour être optimisés. La gestion des sargasses en particulier n'a pu bénéficier que de 3 millions d'euros pour gérer l'épisode 2017, alors que l'échouage ponctuel d'algues vertes en Bretagne, il y a quelques années, a mobilisé un effort de plus de 50 millions d'euros. Vous me direz que comparaison n'est pas raison, mais tout de même : le phénomène « sargasses » aux Antilles est massif, récurrent et s'amplifie d'année en année. Reconnaissons objectivement qu'en l'espèce l'État n'a pas pris la mesure de cette crise majeure, qui a des effets dévastateurs sur le plan écologique et économique, sur la santé publique ainsi que sur le plan social. Ses effets ravageurs méritent d'autres réponses que des opérations de ramassage d'algues sur nos plages par des soldats du régiment du service militaire adapté (RSMA) munis seulement de râteaux et de pelles…
Nous souhaitons qu'à défaut d'inscription à la rubrique « catastrophes naturelles », la lutte contre cette prolifération fasse l'objet d'un fonds et d'une agence dédiée et que ce phénomène soit inscrit dans la liste des risques naturels majeurs au même titre que les cyclones, les tremblements de terre ou autres cataclysme.