Merci beaucoup pour vos questions, très nombreuses et très riches, et qui portent sur le passé, le présent et le futur…
Madame la rapporteure spéciale, vous avez d'abord abordé la question du dédoublement des classes de CP et le dispositif « Plus de maîtres que de classes ». Vous avez demandé s'il y avait eu des expérimentations préalables de ce dispositif, la réponse est oui, préalablement même à l'élection présidentielle. Précisément, si le candidat à la présidence de la République qui a été élu l'a prévu dans son programme, c'est bien parce que des études internationales et nationales montraient que centrer le dédoublement des classes sur le CP et le CE1 était apparemment le dispositif le plus efficace au monde.
Le taux d'encadrement n'est pas toujours le facteur le plus pertinent pour le progrès scolaire, mais il peut l'être dès lors qu'il est massif – c'est le cas avec le dédoublement – et qu'il est ciblé, en l'occurrence sur les territoires défavorisés et l'âge de 6 et 7 ans. Ces éléments sont très documentés, notamment par les travaux de Yann Algan sur cette question, et c'est ce qui nous a amenés à mener cette politique publique.
Symétriquement, sur le dispositif « Plus de maîtres que de classes », il y a aussi des évaluations des dispositifs comparables. Des études internationales, par exemple celles d'Esther Duflo sur les politiques prévoyant plus de maîtres que de classes, font apparaître que l'efficacité de ces politiques est beaucoup moins démontrée.
Ces deux observations auraient pu laisser imaginer que le nouveau gouvernement, en 2017, déciderait de supprimer le dispositif « Plus de maîtres que de classes » et de mettre en place le dispositif qui, au vu des études à notre disposition, avait le plus d'efficacité, en l'occurrence le dédoublement. Ce n'est pas ce que nous avons fait, parce que nous étions dans une démarche d'évaluation. Il est exact que nous avons réduit le dispositif « Plus de maîtres que de classes », mais en le recentrant, dans l'esprit de la circulaire qui l'avait institué en 2014, sur les CP et CE1. J'observe du reste sur le terrain que certains maîtres ou maîtresses qui étaient auparavant dans le dispositif « Plus de maîtres que de classes » et qui s'occupent désormais d'une classe de douze élèves sont très heureux, sur le plan personnel et professionnel, de se trouver dans cette nouvelle situation.
Le dispositif « Plus de maîtres que de classes » a donc été réduit de l'ordre de 30 % pour 2017, mais il n'a pas été supprimé. À nouveau, il y en aura moins à la rentrée prochaine, mais le dispositif n'est pas supprimé, et conformément à ce que vous souhaitez, une évaluation des deux dispositifs nous donnera de premiers éclairages à la fin de cette année scolaire, dans environ un mois. Nous aurons évidemment des éléments plus précis au fil des années, mais j'espère être en mesure dans quelques semaines de faire une première évaluation. Les premiers retours sont très encourageants, mais d'un point de vue scientifique, il va falloir attendre encore un peu pour en être bien certains.
Vous m'avez aussi interrogé sur « devoirs faits ». Comme pour tout dispositif nouveau, il nécessite un délai de mise en oeuvre. Son point de départ était en novembre 2017, et ce dispositif a immédiatement été mis en place pour tous les collèges. Vous avez raison de rappeler qu'il est fondé sur le volontariat, ce qui créé forcément une forme d'hétérogénéité, surtout dans un premier temps. L'objectif était que les professeurs soient engagés dans ce volontariat, quitte à intégrer d'autres personnes, notamment de volontaires du service civique, mais avec les professeurs en chefs d'équipe.
Nous considérons que dans plus de 70 % des cas, le dispositif s'est déployé de manière satisfaisante, et que dans un peu moins de 30 %, il a été imparfait. Nous pensons que nous arriverons à une beaucoup plus grande homogénéité à la rentrée 2018. Par rapport à d'autres politiques publiques comparables, c'est déjà un taux assez correct. Le dispositif donne satisfaction sur le terrain : j'étais avec l'un d'entre vous en visite vendredi dernier au collège Marcel-Pagnol de Caen. C'est un collège typique d'une zone REP+, qui connaît une situation sociale très difficile mais obtient sur le plan pédagogique et éducatif des résultats tout à fait remarquables, notamment à la faveur du dispositif « devoirs faits », que j'ai pu étudier : non seulement les élèves font leurs devoirs dans l'établissement, mais la relation entre parents et professeurs se noue, et la relation professeurs-élèves se modifie. On y retrouve toutes les vertus attendues de ce dispositif.
Il est encore trop tôt pour établir la sous-consommation éventuelle de « devoirs faits ». Si l'on raisonne en année budgétaire, 220 millions d'euros sont mobilisés en 2018 pour « devoirs faits » et vu ce que je viens de dire sur le volontarisme que nous aurons au mois de septembre, je ne suis pas certain qu'il y aura sous-consommation des crédits. Ce dispositif a de réels effets transformants, sociétaux et sociaux, qu'il est important de souligner.
Sur les enjeux de l'école inclusive, vous avez rappelé les 8 533 emplois créés en septembre 2017. M. le président vient de rappeler que nous avions décidé de concentrer les contrats aidés sur l'accueil des élèves en situation de handicap. La philosophie générale est de diminuer progressivement le nombre de contrats aidés, qui ne sont satisfaisants pour personne : ni pour les intéressés, car ce sont des contrats mal payés et précaires, ni pour les élèves. C'est pour cette raison que nous avons créé 8 533 contrats d'AESH dès septembre dernier, et que nous en créerons de nouveaux à la rentrée prochaine, à peu près dans les mêmes proportions.
Cette nouvelle situation doit nous permettre de recruter de nouveaux AESH. Nous avons assoupli les conditions d'expérience exigées pour les recruter, qui sont passées de deux ans à neuf mois. Cela permettra de résoudre un certain nombre de problèmes techniques. Par ailleurs, vous y avez fait allusion, une réflexion plus globale doit être engagée sur l'accueil des élèves en situation de handicap. C'est un travail que nous menons en permanence avec Sophie Cluzel. Les grandes perspectives sont dressées ; nous pensons qu'avec environ 300 000 élèves en situation de handicap et 80 000 supports budgétaires pour les accueillir, les résultats ne sont pas à la hauteur de l'effort budgétaire consenti et de ce que l'on peut souhaiter pour les enfants et leurs familles.
Il faut donc aboutir à une réorganisation qui, vous l'avez dit, doit se traduire par une meilleure formation des personnels concernés, et une vision qui dépasse le temps scolaire. Ceci suppose une collaboration plus forte avec les départements, en particulier pour avoir une vision complète des temps scolaires et périscolaires. L'enfant doit être suivi dans le temps, tout au long de la journée, mais aussi tout au long de l'année, par une même personne. Il faut parvenir à une gestion plus près du terrain, plus près de l'établissement, comme d'autres pays réussissent à le faire. Les enjeux dans cette affaire sont plus qualitatifs : qualité du contrat donné, qualité de l'information donnée aux professeurs et aux personnels concernés, qualité dans l'organisation du système, depuis l'établissement et non pas depuis l'extérieur, ce qui devrait nous permettre tout à la fois de maîtriser une certaine inflation et de réduire l'insatisfaction.
La comparaison internationale nous est utile. Si l'on regarde le verre à moitié plein, on peut constater que des progrès importants ont été accomplis depuis quinze à vingt ans, ne serait-ce qu'en termes de nombres de personnes dédiées au sujet. Si l'on regarde le verre à moitié vide, force est de reconnaître que qualitativement, nous ne sommes pas au rendez-vous ; c'est un de nos objectifs, avec Sophie Cluzel, que d'y parvenir.
Votre quatrième question porte sur les décharges de directeurs d'école. Une mission de votre commission des affaires culturelles et de l'éducation vient d'être lancée sur le sujet, conduite par Cécile Rilhac. Nous en attendons beaucoup, car les problèmes que vous mentionnez sont bien réels. Ils nous renvoient très au-delà de la question des contrats aidés, vous le savez très bien et vous l'avez dit, et vont peut-être nous conduire à des expérimentations. Je pense à ce qui peut être fait dans l'esprit de l'école du socle, entre les collèges et les écoles, pour que les écoles aient une meilleure solidité administrative grâce à cette vision d'ensemble. Tous ces sujets devront être précisés grâce à cette mission ; c'est à l'évidence un des chantiers structurels du ministère de l'éducation nationale.
Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez mis l'accent sur la question des élèves allophones, évidemment très importantes. Un rapport des deux inspections générales vient de m'être rendu, et pour être tout à fait franc, je n'en ai pas totalement pris connaissance ; ce sera chose faite dans les prochains jours. Nous avons eu hier un comité d'intégration présidé par le Premier ministre ; il y a fait allusion lors des questions au Gouvernement. Une des contributions de l'éducation nationale en la matière sera le dédoublement du dispositif « Parents à l'école », qui a une petite dizaine d'années et dont le but est d'accueillir davantage de parents sur les enjeux de parentalité, de consolidation du français, de connaissance des valeurs de la République et des enjeux de la réussite des enfants dans la scolarisation. Nous serons en mesure de donner des chiffres plus précis dans les prochains jours.
Monsieur le rapporteur général, notre politique des contrats aidés s'est en effet concentrée sur le handicap ; elle tend à substituer progressivement des contrats plus robustes aux contrats aidés.
La question de la sous-consommation des plafonds d'emplois a été soulevée dès mon arrivée, notamment pour la préparation du budget 2018. Dans le cadre de la sincérisation du budget 2018 et dans un objectif de saine gestion, nous avons considéré que nous devions prendre ce phénomène en compte. C'est en nous attachant à ne pas le surévaluer que nous avons pu gagner des postes. La surévaluation a plusieurs effets pervers : l'insincérité, bien entendu, mais aussi une forme de fausse promesse, car cela revient à annoncer des créations de postes qui ne sont pas créés à la fin – et le résultat dont a fait état la rapporteure spéciale est le produit de cette équation : la réalité est assez différente de l'affichage. Troisième effet pervers, le niveau de recrutement trop bas aux concours. Lorsque tel ou tel CAPES met la barre à 4 sur 20, il est permis de penser que l'on en est train de recruter pour quarante ans des gens dont il n'est pas certain que le niveau soit conforme à nos souhaits… Nous en avons donc tenu compte dans notre plafond d'emplois 2018.
Par ailleurs, les questions que vous avez posées renvoient à l'attractivité du métier de professeur. C'est un sujet mondial, pas seulement français, et qui renvoie à une politique structurelle d'attractivité du métier, à la fois en matière de salaires des enseignants et de qualité de leur travail. Un agenda social a été ouvert depuis deux semaines, dont j'ai confié la responsabilité au directeur général des ressources humaines : c'est un travail sur la durée avec les organisations syndicales pour définir les nouvelles conditions de travail des professeurs et avoir une vision de la profession qui permette – à moyen terme car nous n'en avons pas les moyens budgétaires à court terme – d'en améliorer la rémunération comme l'exercice.
Cette attractivité reposera aussi sur un point sur lequel j'ai eu à m'exprimer hier et qui a peut-être été interprété de manière rapide : le prérecrutement, ce qui signifie, conformément à des éléments de la loi de 2013, que l'on peut chercher à avoir de futurs professeurs dès leur troisième année d'études, voire avant, ce sera certainement une des pistes que nous explorerons. Ça ne signifie pas que nous recruterons à bac + 3, mais que nous prérecruterons à ce niveau, ce qui n'est pas du tout la même chose.