Mes chers collègues, il me revient de vous présenter un protocole que nous avons signé en 2014 avec la Bosnie-Herzégovine, qui porte sur l'accord de réadmission des personnes en situation irrégulière, conclu en 2007 entre l'Union européenne et la Bosnie-Herzégovine.
Depuis le traité d'Amsterdam, l'Union européenne a la compétence pour négocier et conclure des accords de réadmission avec des pays tiers pour le compte des Etats membres. Elle en a déjà adopté une quinzaine, et en négocie d'autres. Ces accords de réadmission européens peuvent avoir une vraie valeur ajoutée lorsque l'Union dispose d'un levier politique important dans les négociations avec les pays tiers.
C'est assurément le cas avec les pays des Balkans occidentaux qui sont, de par leur position géographique, une cible prioritaire de la politique de réadmission de l'Union. Avec ces pays, le volet migratoire est intégré dans une négociation globale qui a pour horizon leur potentielle adhésion à l'Union européenne. Cet horizon est plus ou moins lointain selon les pays. Récemment, la Commission a formulé la possibilité que le Monténégro et la Serbie intègrent l'Union européenne vers 2025. Néanmoins, elle n'a donné aucun horizon temporel pour la Bosnie-Herzégovine, dont les perspectives semblent piétiner un peu.
Pourtant, l'avenir européen de la Bosnie ne fait pas débat dans le pays. C'est même l'un des rares sujets de consensus entre les trois communautés bosniaque, serbe et croate, encore très marquées par la guerre des années 1990. A l'heure actuelle, la Bosnie se trouve dans une situation politique, économique et sociale difficile. La perspective européenne est un sujet qui permet de continuer à mobiliser les autorités bosniennes autour des nécessaires réformes à accomplir. Si cette perspective devenait trop lointaine ou trop abstraite, ce ne serait bon ni pour la Bosnie ni pour les pays de l'Union européenne.
La réforme de la politique de migration et d'asile est un bon exemple de ce que la Bosnie est prête à accomplir pour se rapprocher de l'Union européenne. Elle a récemment restructuré sa police aux frontières et ses services en charge des migrations, ainsi que son système d'asile. Fin 2017, la Commission européenne a jugé que la Bosnie continuait à remplir les critères pour la levée de l'obligation des visas de court séjour. Les services de la Commission font état d'un bon niveau de coopération avec les autorités bosniennes sur ces questions, et les Etats membres se disent satisfaits de la mise en oeuvre de l'accord de réadmission de 2007 avec ce pays.
Il est donc incontestable que la Bosnie fait des efforts et coopère sur un sujet qui est loin d'être anodin, dans une région où les enjeux migratoires sont particulièrement sensibles. La Bosnie a été moins confrontée que ses voisins à la crise migratoire de 2015 : les principales routes migratoires passaient plutôt par la Serbie et la Croatie. Mais depuis la fermeture de la route des Balkans en 2016, on observe un accroissement rapide et continu des entrées irrégulières sur le territoire bosnien, principalement via la frontière verte avec le Monténégro, qui est difficile à contrôler. Les chiffres officieux font état d'environ 60 à 80 entrées irrégulières quotidiennes sur le territoire bosnien. Ces migrants cherchent ensuite à franchir la frontière croate, avec plus de difficultés. On est loin des plusieurs milliers d'entrées quotidiennes en Serbie au plus fort de la crise, mais la tendance est préoccupante.
La Bosnie est par ailleurs un pays d'émigration massive. Cette émigration peut être légale, lorsque les diplômés bosniens partent massivement travailler dans des pays où les perspectives sont meilleures, à l'image de l'Allemagne ou de l'Autriche. Jusqu'à récemment, c'était aussi, assez massivement, un pays d'origine des demandeurs d'asile, mais la demande d'asile bosnienne adressée à l'Union européenne a été divisée par 4 en trois ans, passant de plus de 10.700 en 2014 à 2.700 en 2017. L'Allemagne et la Suède étaient les destinations privilégiées de ces demandeurs, qui bénéficiaient d'un taux de protection moyen très faible, inférieur à 5%.
En France, la Bosnie n'est pas considérée comme un pays à risque migratoire élevé. Les chiffres des interpellations et mesures d'éloignement prononcées à l'encontre de Bosniens en situation irrégulière sont faibles et en diminution ; vous les trouverez dans mon rapport. Néanmoins, on observe récemment une augmentation du nombre de demandeurs d'asile bosniens en France : 780 demandes ont été déposées en 2017 contre 480 en 2016. D'après le ministère de l'intérieur, ces chiffres n'ont pourtant rien d'exceptionnel et sont sans commune mesure avec les 8351 demandes d'asile albanaises déposées en 2017.
Au total, les problématiques migratoires ne sont pas un point sensible de notre relation bilatérale avec la Bosnie, qui est au demeurant assez peu développée. La coopération consulaire avec les autorités bosniennes est jugée très bonne, avec un taux de délivrance des laissez-passer consulaires en temps utile de 72%, nettement supérieur à la moyenne, et une proportion très importante de retours volontaires aidés parmi les ressortissants bosniens ayant fait l'objet d'une mesure d'éloignement.
Le protocole que nous examinons aujourd'hui s'inscrit donc dans le contexte de cette coopération plutôt fonctionnelle avec la Bosnie-Herzégovine en matière de réadmissions, dans une situation de faibles flux. Quel est donc l'intérêt de ce texte ? Il a en réalité une portée essentiellement technique ; il vient préciser certains éléments utiles pour une application fluide de l'accord européen dans nos relations bilatérales avec la Bosnie-Herzégovine : points de passage frontaliers, autorités compétentes, organisation des auditions pour déterminer la nationalité des migrants, formes des demandes de transit, modalités des transferts, etc.
Que changera le protocole, dans la mesure où le Gouvernement fait état d'une coopération déjà satisfaisante en la matière ? En formalisant cette coopération, le protocole permet de mieux l'ancrer dans la durée, et ainsi de faire face à une éventuelle hausse des flux irréguliers en France, qui pourrait résulter de la pression migratoire pesant sur la Bosnie-Herzégovine. Le ministère de l'intérieur note que la qualité de la coopération consulaire avec la Bosnie a pu être un peu inégale selon les années ; il s'agit donc de la stabiliser, au-delà des relations interpersonnelles nouées, actuellement particulièrement propices.
Il me semble donc que ce protocole est un texte utile, qui donne des outils pour améliorer notre coopération avec la Bosnie-Herzégovine et mettre en oeuvre efficacement l'accord européen de 2007. La Bosnie a ratifié ce protocole dès 2015. Nous avons pour notre part un peu attendu ; l'ancienneté des éléments livrés dans l'étude d'impact (statistiques de début 2014) s'en ressentait, et je dois dire que j'ai eu beaucoup de mal à obtenir des informations fiables et actualisées sur ce sujet.
Je terminerai en rappelant qu'à l'évidence, l'angle migratoire ne peut pas constituer l'alpha et l'oméga de notre politique à l'égard de la Bosnie-Herzégovine. Je pense que les pays de l'Union européenne, et la France en particulier, doivent impérativement apporter un soutien fort à notre partenaire bosnien, pour qu'il mène à bien les réformes nécessaires et voie sa perspective d'adhésion à l'Union européenne se préciser. Je vous remercie.