Intervention de Françoise Nyssen

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Françoise Nyssen, ministre de la culture :

Je suis très heureuse d'être la première à me présenter devant vous dans le cadre de ce « printemps de l'évaluation ». Quel joli nom pour un exercice inédit ! Je le trouve effectivement salutaire, parce que cette initiative conforte notre démocratie en renforçant le rôle de contrôle du Parlement, et parce qu'elle nous donne l'occasion d'un échange approfondi sur le sens et l'impact des dépenses engagées pour nos concitoyens.

Au sujet des crédits des programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture, je voudrais insister sur trois éléments : la forte mobilisation du ministère sur ces programmes en 2017, le rééquilibrage de nos efforts au profit des territoires, et l'attention accrue portée à la jeunesse.

L'activité de 2017 a été intense : 99,9 % des crédits disponibles pour la mission Culture ont été dépensés, soit 2,8 milliards d'euros en crédits de paiement, sans compter les taxes affectées et les dépenses fiscales. C'est un taux de consommation record.

Pour le programme Création, 100 % des crédits disponibles ont été dépensés, soit, comme vous le disiez, 784 millions d'euros pour le soutien à une création artistique forte, diverse, qui se renouvelle et rayonne dans le monde entier.

Pour le programme Transmission des savoirs et démocratisation de la culture, 1,2 milliard d'euros ont été dépensés, soit 99,2 % des crédits disponibles.

En responsabilité, par ailleurs, le ministère de la culture a contribué à l'effort collectif de réduction des déficits publics, en 2017, à hauteur de 114 millions d'euros.

Vous m'avez interrogée plus spécifiquement, monsieur le rapporteur, sur la sous-exécution du FONPEPS. Sur les 10 millions d'euros versés au titre du FONPEPS à l'Agence de service des paiements, 3 millions ont bénéficié directement, en 2017, aux dispositifs de soutien à l'emploi dans le secteur du spectacle. La sous-exécution s'explique simplement par la nouveauté du dispositif, installé début 2017, et dont les mesures sont entrées en vigueur progressivement tout au long de l'année.

Je rappelle notamment que la mesure d'aide à la garde des enfants des intermittents a été mise en place en avril 2018, et je vous annonce que la dernière aide, très attendue par les professionnels parce qu'elle soutiendra l'emploi dans les petites salles, sera en place avant le festival d'Avignon. Le décret est en cours de finalisation.

Il faut du temps aux professionnels pour s'approprier le FONPEPS. Nous avons donc renforcé la communication, et nous encourageons sa mobilisation dans nos échanges avec le secteur. Aujourd'hui, le dispositif monte en puissance comme prévu. Il s'agit de l'inscrire dans la durée et d'améliorer les mesures qui nous paraissent peu efficientes.

Pour en revenir au taux de consommation des crédits Création et Transmission sur 2017, il indique deux choses. D'abord, l'engagement des équipes, qui se sont mobilisées pour traduire chaque euro disponible en service public, en soutien, en accompagnement, en projets. Ces chiffres traduisent aussi les besoins des acteurs culturels sur le terrain et la nécessité de chacun des soutiens apportés par le ministère.

Vous parliez des dégels. Un dégel des crédits de la réserve de précaution a été consenti en cours d'exercice pour permettre au ministère de remplir ses engagements jusqu'au bout : maintenir l'activité artistique dans les établissements que nous soutenons, et maintenir les emplois qui y sont liés. La quasi-totalité de la réserve du programme Création et une partie de celle du programme Transmission ont ainsi été dégelées, ce qui représentait 69 millions d'euros.

Vous m'avez interrogée, monsieur le rapporteur, sur l'impact de la minoration du taux de mise en réserve de 8 % à 3 % en 2018. Je souscris pleinement à cette réforme qui renforce la responsabilité des acteurs et la sincérité des comptes. Pour autant, elle ne rend pas le dégel des crédits moins nécessaire pour les acteurs culturels cette année, car il est très difficile à absorber pour des compagnies ou des lieux de spectacles qui ont prévu la saison plus de dix-huit mois à l'avance. Et le gel impacte le plus souvent l'emploi artistique. J'ai donc demandé le dégel des crédits Création mis en réserve afin de maintenir l'activité artistique et culturelle, ce qui représente 17 millions d'euros, et d'une partie du programme Transmission, à hauteur de 7 millions d'euros.

L'exercice 2017 et l'excellent niveau de consommation des crédits démontreraient, s'il le fallait, toute l'importance des soutiens du ministère.

Je souhaite souligner, en deuxième lieu, le rééquilibrage budgétaire au profit des territoires. Vous avez choisi, monsieur le rapporteur, d'aborder cet exercice à partir d'un exemple très concret – et je m'en réjouis –, celui du Limousin. Je vous en remercie car il me donne l'occasion de présenter les mesures que j'ai choisi de prendre pour les territoires, notamment les territoires ruraux.

Dans les trois départements correspondant à l'ancienne région Limousin, les dépenses du ministère se sont élevées à 17,5 millions d'euros en 2017, dont 6,4 millions pour la création, et 4,8 millions pour l'accès à la culture.

Je connais le Limousin, j'y suis allée à la rencontre des acteurs culturels et des équipes du ministère dans la région. Je m'en souviens parfaitement, car nous avons fait un voyage extraordinaire, sur un territoire emblématique des défis auxquels nous sommes confrontés à l'échelle nationale.

Son offre culturelle est riche, grâce à un tissu d'acteurs qui font preuve d'une mobilisation exemplaire. J'ai notamment visité l'Académie de l'Union, qui est l'école supérieure de théâtre du Limousin, la seule école supérieure de théâtre implantée en milieu rural. Je me suis également rendue à la Ferme de Villefavard en Limousin, un centre de rencontres artistiques qui propose des résidences, des spectacles, des projets éducatifs, ainsi qu'au fonds régional d'art contemporain (FRAC). Je connais aussi les initiatives prises en faveur de la francophonie, pour laquelle le Limousin est très actif, comme les activités de la Bibliothèque francophone multimédias de Limoges et le festival « Francophonies en Limousin », où je me suis également rendue.

Malgré le dynamisme et la diversité de ses acteurs, le Limousin reste marqué par de fortes inégalités en matière culturelle. Elles divisent la région elle-même, puisque les habitants de ses zones les plus rurales doivent parcourir des kilomètres pour accéder à l'offre culturelle. Mais ces inégalités sont également notables entre les régions : en Nouvelle-Aquitaine, par exemple, il y a davantage de lieux d'exposition publics – Musées de France, centres d'art contemporain, FRAC – dans le seul département de Charente-Maritime que dans les trois départements du Limousin réunis, alors qu'il y a moins d'habitants.

De telles inégalités restent fortes en France, malgré les efforts déployés par les acteurs. On n'a pas les mêmes chances culturelles selon que l'on vit à Paris ou en province, en ville ou à la campagne, dans une métropole ou dans un quartier périphérique. Aujourd'hui, par exemple, le ministère de la culture dépense près de sept fois plus pour un Francilien que pour un habitant du Limousin : 139 euros par an pour l'un, contre 20 euros en moyenne pour le second. C'est le fruit de notre histoire, d'un héritage jacobin. Même si cela s'explique aussi par la présence en Île-de-France de beaucoup d'opérateurs nationaux, c'est une rupture d'égalité profonde.

J'ai décidé de m'y attaquer, d'en faire plus, partout où le ministère de la culture a historiquement donné moins : dans les territoires ruraux, les villes intermédiaires, les zones périurbaines, l'outre-mer, les quartiers prioritaires…

En 2017, nos actions se sont inscrites dans le cadre de la loi de finances votée sous la précédente mandature. Nous avions peu de marges de manoeuvre. J'ai néanmoins souhaité amorcer ce rééquilibrage. Dans le Limousin, cela s'est traduit de façon très concrète, par des augmentations significatives de dotations, en particulier pour les labels structurants : 30 000 euros supplémentaires pour le Centre dramatique national de Limoges, 50 000 euros pour l'Opéra de Limoges, 15 000 euros pour le FRAC.

Sur l'exercice 2018, nous marquons clairement cette réorientation. Nous avons augmenté les crédits déconcentrés de 6 % dans le budget 2018, ce qui porte les moyens des DRAC à 860 millions d'euros en autorisations d'engagement. L'importance de ces directions régionales a d'ailleurs été soulignée par un rapport récent, préparé conjointement par l'Inspection générale des finances (IGF), l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), et l'Inspection générale de l'administration (IGA).

Deuxième mesure pour les territoires : le plan « Culture près de chez vous », présenté il y a quelques semaines, qui dégage dès cette année 6,5 millions d'euros pour lutter contre les zones blanches du service public culturel.

Une troisième mesure complète ces efforts pour les territoires : le plan visant à étendre les horaires et à renforcer les services des bibliothèques, qui forment le premier réseau culturel de proximité. Pour y parvenir, l'État a augmenté son soutien aux bibliothèques de 10 % en 2018, pour porter les aides qui leur sont réservées à 88 millions d'euros. Deux cents bibliothèques en bénéficieront dès cette année, dont deux en Limousin : la bibliothèque de Meuzac, qui devrait être accompagnée pour ouvrir en soirée, et la bibliothèque d'Oradour-sur-Glane, pour ouvrir certains soirs et entre midi et quatorze heures, lorsque les habitants peuvent s'y rendre.

Pour compléter mes réponses à vos interrogations, je voudrais évoquer un troisième axe structurant : la politique pour la jeunesse. La ségrégation culturelle doit se combattre à la racine. J'ai donc décidé de renforcer de 35 millions d'euros les moyens consacrés par le ministère à l'éducation artistique et culturelle, ce qui porte le budget total à 114 millions d'euros en 2018. Il sert deux politiques prioritaires : la généralisation de la pratique artistique des enfants, et le « Pass Culture », que vous évoquiez, pour ceux qui atteignent 18 ans.

Quant à la pratique artistique des enfants, l'objectif est de la généraliser, en renforçant le soutien aux initiatives mises en oeuvre à l'école et au dehors, comme le « Plan mercredi ». Un exemple très concret dans le Limousin : nous allons apporter un soutien supplémentaire de 10 000 euros à l'École nationale supérieure d'art de Limoges, pour une série d'initiatives prévues à partir de septembre, comme des cours périscolaires, des ateliers de pratiques d'amateurs, des actions éducatives à destination des enfants et des adolescents.

Pour le « Plan mercredi », nous y travaillons actuellement. Tous les plans que nous développons pour l'éducation culturelle ont vocation à nourrir ces activités du mercredi, que ce soit le plan pour la généralisation des chorales, auquel nous consacrons 3 millions d'euros cette année, ou le plan pour le développement de la pratique orchestrale des jeunes, que j'ai amorcé la semaine dernière en doublant les subventions de deux structures qui en sont des têtes de pont : Démos et Orchestre à l'école. S'y ajoutent bien d'autres dispositifs de musique, comme les Concerts de poche.

En dehors de la pratique artistique, le plan pour l'éducation à l'information et aux médias, qui s'avère de plus en plus nécessaire, peut s'intégrer aux activités du mercredi. Il en va de même du plan pour les bibliothèques, qui comprend un volet pour l'accueil des groupes scolaires.

Chaque enfant doit bénéficier d'actions d'ouverture à la culture et d'enseignements artistiques tout au long de sa scolarité. Nous proposons donc le « Pass Culture » comme point d'aboutissement de cette formation : un outil d'autonomie et d'émancipation qui accompagne l'entrée dans l'âge adulte. Vous avez, monsieur le rapporteur, posé plusieurs questions à son sujet.

La politique d'éducation culturelle que je viens d'évoquer, de la petite enfance jusqu'à 18 ans, doit permettre à tous les jeunes de développer leur goût pour la culture, jusqu'au jour où ils reçoivent ce « Pass ». J'ai choisi de développer, en complément, une application pour smartphone, doublée d'un site internet.

J'ai également choisi de dessiner le « Pass » avec eux. Depuis l'automne dernier, nous interrogeons des jeunes de 18 ans sur leurs attentes et leurs besoins. Nous testons l'application auprès d'eux en ce moment même, et nous l'expérimenterons auprès de 10 000 jeunes à partir de la rentrée scolaire pour l'améliorer. L'expérimentation est vraiment nécessaire : on connaît toutes les difficultés qu'un projet d'une telle ampleur peut rencontrer s'il n'est pas suffisamment testé avant sa généralisation. 5 millions d'euros sont prévus dans le budget 2018 pour financer ces différentes étapes.

Ces deux politiques du « Pass Culture » et de la pratique artistique sont pensées et conduites comme des politiques d'égalité des chances et d'émancipation par la culture.

Voilà donc les grandes lignes de l'exécution des crédits des programmes Création et Transmission pour l'exercice 2017 et le début de 2018. Notre travail, au cours de ces douze premiers mois, a été guidé par une double ambition : combattre la ségrégation culturelle sur l'ensemble du territoire, en accordant une attention particulière aux générations qui feront l'avenir.

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