Intervention de Gilles Carrez

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, rapporteur spécial sur les patrimoines :

Avec 932 millions d'euros en autorisations d'engagement et 878 millions en crédits de paiement, l'exécution du programme 175 Patrimoines en 2017 respecte l'enveloppe votée dans la loi de finances. Il marque même une augmentation sensible par rapport à l'exécution de 2016.

Malgré cette augmentation, les crédits sont inférieurs à ceux de 2012. C'est là un des rares exemples de maîtrise de la dépense publique dans le budget de l'État ! Les crédits du patrimoine connaissent une nouvelle fois, cher collègue Person, une évolution moins favorable que les deux autres programmes de la mission Culture. Autre disparité, le programme 175 contribue pour 28 millions d'euros à la régulation budgétaire, contre seulement 11 millions pour le programme 224 et 1,2 million pour le programme 131.

L'action la plus importante du programme 175 est celle qui regroupe les crédits destinés aux monuments historiques. C'est d'ailleurs la seule pour laquelle les crédits de paiement stagnent par rapport à 2016. Une fois de plus, c'est elle qui connaît l'écart le plus important entre les crédits que nous avons votés dans la loi de finances et les crédits exécutés. Les crédits consacrés à l'entretien et à la restauration des monuments historiques, se sont élevés à 301 millions d'euros en autorisations d'engagement et 276 millions en crédits de paiement, en hausse par rapport à 2016. Mais leur exécution a été très inférieure à la prévision : de 16 % en autorisations d'engagement, soit 58 millions, et de 13 % en crédits de paiement, soit 42 millions. À titre de comparaison, le fameux « Loto du patrimoine » est censé rapporter 20 millions d'euros. C'est évidemment un sujet plus valorisant que les annulations de crédits… À l'un le Loto, à vous, madame la ministre, les annulations de crédits…

Cet écart est systématique depuis des années. Je me pose donc la question suivante : soit ces crédits font l'objet chaque année d'annulations importantes parce que cela est facile pour des crédits discrétionnaires, destinés à des investissements dont l'annulation n'a pas d'effet immédiatement visible, bref, parce qu'ils servent de variable d'ajustement ; soit, madame la ministre, parce que l'exécution de ces crédits rencontre de vraies difficultés.

Je souhaiterais que vous puissiez nous répondre sur ce point, d'autant que nos collègues de la commission des affaires culturelles ont accompli un travail remarquable, pour une mission « flash » sur le soutien au patrimoine immobilier protégé, et ils insistent, et moi avec eux, sur l'importance de la continuité de l'engagement l'État pour l'entretien et la conservation des monuments historiques. À ce sujet, d'ailleurs, des précisions sont nécessaires : nous ne connaissons pas précisément, par exemple, la ventilation de ces crédits par destinataire, entre l'État, les collectivités territoriales et les propriétaires privés.

Parmi ces crédits d'entretien et de restauration, il faut attacher une importance particulière à ceux destinés à ce que j'appellerais la conservation préventive. Vous indiquez, dans le rapport annuel de performances, qu'ils ont représenté, en 2017, 18,3 % des crédits de restauration, la cible étant à 15 %. Mais je partage l'analyse de la Cour des comptes, selon laquelle ce niveau est insuffisant. Si l'on n'entretient pas régulièrement, il faut ensuite s'engager dans d'énormes travaux de restauration. Au risque de donner le vertige à M. Person, qui nous parlait du Limousin, je rappelle que ceux du Grand Palais coûteront plus de 400 millions d'euros ; ceux du château de Fontainebleau – je ne vous donne pas le chiffre – sont déjà bien engagés ; restera le Centre Pompidou où, faute d'entretien régulier, nous serons obligés d'engager, je crois, un programme de près de 200 millions d'euros de rénovation. Les crédits d'entretien préventif doivent donc être préservés. Est-ce pour vous, madame la ministre, une priorité ? Comment pouvez-vous nous en assurer ?

Pour terminer sur les monuments historiques, le bon critère d'évaluation de l'efficacité de la dépense publique serait justement un indicateur de l'état de conservation des monuments classés ou inscrits. Or les informations dont nous disposons à ce sujet sont partielles, et ne sont mises à jour que tous les cinq ans. Les DRAC ont-elles les moyens de mettre en place un suivi plus fin et plus régulier de notre patrimoine historique ?

Comme chaque année, le rapport annuel de performances indique que les crédits des monuments historiques ont fait l'objet de mesures de fongibilité, ce qui explique leur sous-exécution. Le contexte sécuritaire a heureusement été moins défavorable qu'en 2016, où il avait fallu réorienter une partie des crédits vers des mesures de sécurisation, notamment dans les musées. La fréquentation s'est d'ailleurs bien redressée en 2017, ce qui est une très bonne nouvelle : elle a atteint 42,8 millions de visiteurs, soit 10 % de plus qu'en 2016, pour l'ensemble de notre patrimoine, de nos monuments et de nos musées. Même si l'on ne retrouve pas le record de 2014, plus la fréquentation est élevée, plus le taux de ressources propres des établissements augmente. Il a ainsi progressé de 4 points, ce qui est une bonne chose. Les subventions de fonctionnement aux grands opérateurs ont ainsi pu être réduites.

Sur l'ensemble des opérateurs, la baisse est peu visible en 2017, parce qu'il a fallu apporter à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) une dotation en fonds propres de plus de 15 millions d'euros, pour rembourser à l'Agence France Trésor les prêts consentis depuis une quinzaine d'années pour faire face aux difficultés de trésorerie de l'établissement.

De même que la Cour des comptes, nous continuons, madame la ministre, à être inquiets sur l'équilibre de l'INRAP. Si son déficit de 2017 – un peu plus d'un million d'euros – semble modeste par rapport à celui des années précédentes, c'est parce que la dépense fiscale est venue au secours des crédits budgétaires : l'INRAP boucle son budget de 2017 grâce à 12 millions d'euros de crédit d'impôt recherche. Une question se pose donc, madame la ministre : comment le ministère veille-t-il à la poursuite des réformes structurelles nécessaires à l'INRAP ? La budgétisation de la redevance d'archéologie préventive a été une très bonne chose, mais il faut aller plus loin.

Je voudrais terminer en insistant sur la question des dépenses fiscales. Ces dispositifs, qui contribuent au déficit public au même titre que les crédits budgétaires, ne sont absolument pas maîtrisés. Ils ne sont même pas contrôlés. Prenons l'exemple de votre ministère : 22 dispositifs fiscaux sont rattachés à la mission Culture, pour environ 300 millions d'euros en 2017, et 9 à la mission Médias, pour 500 millions.

Certains dispositifs ne sont pratiquement pas utilisés. D'autres ne le sont que par un très petit nombre de contribuables, pour chacun desquels la dépense fiscale est énorme : les 49 entreprises qui ont participé à l'achat de trésors nationaux ont reçu chacune une aide fiscale de près de 2 millions d'euros, sans parler de celles qui ont bénéficié du « crédit d'impôt international »…

Il existe par ailleurs des dispositifs généraux dont le coût s'envole, comme celui créé par la « loi Aillagon » de 2003. Curieusement, il n'est pas rattaché à la mission Culture, mais à la mission Sport, jeunesse et vie associative. Le mécénat culturel encouragé par la « loi Aillagon » est certes d'une grande importance, mais son coût atteint aujourd'hui le milliard d'euros, pour une loi qui n'existait pas avant 2003 ! C'est le coût du mécénat des entreprises, qui ont multiplié les créations de fondations : son augmentation a été, tenez-vous bien, de 40 % entre 2015 et 2016 ! Or nous manquons cruellement d'informations à ce sujet.

Je remercie donc le rapporteur général qui, comme moi, souhaite s'y intéresser de près, ainsi que le président de notre commission : nous avons demandé, au titre du 2° de l'article 58 de la LOLF, une enquête à la Cour des comptes sur ces quinze ans d'application de la loi « mécénat ». Nous devrions disposer à l'automne d'éléments importants.

Je manque de temps pour évoquer le sujet – parfois exaspérant – de l'envolée de près de 200 %, entre 2013 et 2017, des trois crédits d'impôts de soutien au cinéma. Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) nous répond en substance : « En contrepartie, nous avons relocalisé des tournages, et créé pour 600 millions d'euros d'activités supplémentaires. » J'ai lu attentivement les documents fournis, mais nous devons en général, sur ces dépenses fiscales, nous efforcer à un travail de contrôle et d'évaluation beaucoup plus rigoureux qu'aujourd'hui. Non seulement c'est possible, mais nous devons absolument en faire une priorité. Je ne remets pas en cause la dépense fiscale dans le domaine culturel, où elle encourage un mécénat indispensable, mais je souhaiterais que l'on sache quelle part d'argent public est investie dans ces opérations. J'ai notamment vu, il y a un peu plus d'un an, l'exposition de la collection Chtchoukine, certes remarquable, mais dont je me demandais, tout en la visitant – à cause peut-être de mes préoccupations financières habituelles – combien d'argent public elle avait pu coûter, alors qu'elle était présentée comme une exposition privée. J'espère qu'à la fin de l'année, grâce aux travaux du rapporteur général et de la Cour des comptes, nous parviendrons à un peu plus de clarté à ce sujet.

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