Ma politique pour le patrimoine poursuit le même grand objectif que celle pour la création que nous venons d'évoquer : il s'agit de lutter contre les inégalités qui divisent les territoires et les citoyens, et qui affaiblissent notre modèle républicain.
Faisons d'abord un point sur 2017, après quoi je m'efforcerai de répondre à l'ensemble de vos questions : 931 millions d'euros ont été dépensés en autorisations d'engagement et 878 millions d'euros en crédits de paiement pour l'exécution du programme Patrimoines.
Le taux de consommation des crédits disponibles s'est élevé à 98,5 % en crédits de paiement. Trois grands éléments sont à retenir de cet exercice. Nous avons, tout d'abord, renforcé la politique en faveur des monuments historiques : les dépenses ont augmenté de 21 millions d'euros en autorisations d'engagement par rapport à 2016, pour s'établir à 301 millions d'euros, et de 8 millions en crédits de paiement, pour atteindre 276 millions d'euros.
Elles ont permis de financer l'entretien et la restauration de projets sur l'ensemble du territoire, comme les travaux du château de Voltaire à Ferney-Voltaire, que nous inaugurerons demain avec le Président de la République. Cette semaine est d'ailleurs largement consacrée au patrimoine, puisque j'ai justement présenté ce matin, en Conseil des ministres, une communication sur ce sujet, et que nous recevrons demain l'ensemble des acteurs investis dans ce domaine.
Comme vous l'avez relevé, monsieur le rapporteur spécial, l'exercice 2017 présente un écart entre les crédits disponibles pour les monuments historiques et leur exécution. L'écart est effectivement de 30 millions d'euros, et s'explique de trois façons : d'abord par un phénomène de report de fonds de concours par roulement annuel. Ce délai est normal s'agissant de legs ou de dons dont le versement donne lieu à des procédures complexes. Il explique un tiers de l'écart, soit environ 10 millions d'euros.
Un autre tiers s'explique par les écritures comptables : des crédits d'environ 10 millions d'euros ont été inscrits à l'action Monuments historiques sans être directement destinés à des travaux. C'était par exemple le cas des subventions versées aux associations de défense du patrimoine, ou celui du financement d'événements tels que les Journées européennes du patrimoine qui rassemblent, je le rappelle, 12 millions de visiteurs.
Le troisième facteur d'explication est plus problématique. Vous l'avez évoqué, c'est la fongibilité structurelle des crédits du programme Patrimoines, qui conduit à la ponction des crédits « Monuments historiques » au profit d'autres secteurs, comme l'archéologie. Je souhaite évidemment régler ce problème – conformément aux conclusions de la mission « flash » sur le patrimoine dont vous parliez, et dont je remercie les rapporteurs, Mme Emmanuelle Anthoine et M. Raphaël Girard –, en inscrivant dans la loi de finances initiale les montants réels des dépenses aujourd'hui couvertes par fongibilité. Nous en discutons actuellement avec le ministère de l'action et des comptes publics. L'objectif est d'augmenter les dépenses effectivement consacrées aux monuments historiques.
La deuxième avancée à retenir de l'exercice 2017 est l'assainissement du marché de l'archéologie préventive. Vous le disiez, la situation financière de lINRAP s'était très fortement dégradée. Un redressement a été opéré en 2017, et la dette ancienne est intégralement apurée. Mais il faudra maintenir une absolue vigilance sur cette situation.
La troisième satisfaction de l'exercice 2017 tient aux bonnes performances de nos monuments et musées, que vous avez également évoquées. Après deux années difficiles à cause des attentats, la fréquentation a rebondi en 2017 et progressé de 11 % par rapport à 2016, avec près de 43 millions de visiteurs, dont près d'un quart de moins de vingt-cinq ans. Le soutien du ministère aux musées territoriaux a par ailleurs permis l'ouverture ou la réouverture de nombreux établissements après d'importants travaux. Je pourrais citer, par exemple, le musée d'arts de Nantes ou encore le musée Camille-Claudel à Nogent-sur-Seine, que j'ai inaugurés récemment. Dans l'ensemble, l'exercice 2017 a été très actif et très porteur.
Ma feuille de route pour le quinquennat, que j'avais présentée en novembre, s'est traduite dans le budget 2018 et commence à porter ses fruits. Je voudrais donc dire un mot de l'exercice en cours, en me concentrant sur quatre axes de ma stratégie pour le patrimoine.
Le renforcement des moyens, tout d'abord : les crédits pour l'entretien et la restauration du patrimoine ont augmenté de 5 % en 2018, atteignant 326 millions d'euros hors grands travaux. C'est leur niveau le plus élevé depuis dix ans, et ces crédits seront consommés.
J'ai décidé de le sanctuariser : la stratégie pluriannuelle que j'ai présentée prévoit que les 326 millions d'euros seront maintenus durant tout le quinquennat. C'est la première fois que le ministère de la culture prend un tel engagement.
Nous travaillons actuellement sur un dossier de restauration majeur : celle du château de Villers-Cotterêts, dont le président de la République souhaite faire un haut-lieu de la francophonie. Nous définissons les conditions de financement de sa restauration, qui se traduiront dans le projet de loi de finances pour 2019.
Deuxième axe fort de ma stratégie : des mesures nouvelles pour les territoires fragilisés. J'y tiens particulièrement, car la moitié du patrimoine jugé en péril se trouve dans des communes de moins de 2 000 habitants, qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour les prendre en charge. Nous avons donc créé un fonds de soutien spécial de 15 millions d'euros, réservé aux petites communes, à caractère partenarial et incitatif : l'État majore son taux d'intervention quand la région s'engage aussi. Un premier appel à projets, lancé en début d'année, a rencontré un franc succès, puisque onze régions ont répondu et que 8,4 millions d'euros ont d'ores et déjà été délégués pour la restauration de 92 monuments. Les 6,6 millions restant seront attribués en juin à des projets identifiés par les DRAC.
Nous soutenons aussi la valorisation du patrimoine pour la revitalisation des centres-villes anciens : 9 millions d'euros sont prévus dans le budget 2018 pour accompagner des expérimentations conduites à partir des propositions du sénateur Yves Dauge dans dix-sept collectivités territoriales – dont, entre autres, Figeac.
Ces nouvelles mesures pour les territoires s'appuient non seulement sur de nouveaux moyens, mais aussi sur de nouvelles méthodes : une relation refondée avec les collectivités et un accompagnement renforcé des DRAC. Car, vous le disiez, monsieur le rapporteur spécial, la mission « flash » sur le patrimoine a bien souligné les difficultés que peuvent rencontrer les petites communes dans la constitution des dossiers de subventions ou de travaux. Nous renforçons donc notre soutien en ingénierie, par les DRAC, dont le rôle décisif auprès des collectivités a été souligné dans le rapport récent des inspections générales de l'administration, des affaires culturelles et des finances, que je citais tout à l'heure.
Je voudrais enfin dire un mot sur les architectes des Bâtiments de France (ABF), qui jouent un rôle central dans la protection du patrimoine. Des débats ont eu lieu, vous le savez, autour du projet de loi sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). Ce texte prévoit de substituer à l'avis conforme des ABF un avis simple, mais seulement dans deux types de situations très encadrées : les opérations de lutte contre l'habitat indigne et l'installation d'antennes relais de radiotéléphonie mobile. Le Gouvernement ne souhaite pas étendre l'avis simple à d'autres situations.
Je souhaite pour ma part renforcer la concertation entre les ABF, les collectivités territoriales et les porteurs de projets en amont, afin de renforcer le rôle de conseil des ABF et d'accélérer la délivrance des avis. J'avais d'ailleurs souhaité, dès mon arrivée, créer une commission réunissant des ABF et des élus, pour étudier cette possibilité de mieux travailler en amont.
Pour les projets les plus sensibles, les avis simples seront justifiés de façon collégiale, et une médiation sera encouragée en cas de volonté de recours.
Troisième axe de ma stratégie : la transmission. Nous renforçons les dispositifs d'éducation au patrimoine qui ont fait leurs preuves en 2017. Je pense à « C'est mon patrimoine ! », qui a mobilisé près de 40 000 jeunes autour de 130 projets partout en France en 2017. Nous visons au moins 180 projets cette année.
Le dispositif « La classe, l'oeuvre ! », qui se déroule sur le temps scolaire, est également renforcé. Je voudrais enfin souligner notre soutien financier à l'association « Rempart », qui permet chaque année d'accueillir plusieurs milliers de jeunes sur des chantiers de bénévoles pour le patrimoine. Car il ne suffit pas de restaurer le patrimoine pour garantir son avenir, il faut aussi placer entre les mains de nos enfants les connaissances et les compétences nécessaires.
Quatrième acte de ma stratégie, enfin : la diversification des sources de financement complémentaires aux crédits de l'État. Le patrimoine culturel est une chance pour tout notre pays. Il est légitime que sa préservation fasse l'objet d'efforts partagés. Les mécènes privés jouent un rôle décisif, que je souhaite encourager. Vous m'interrogiez à ce sujet, monsieur le rapporteur : quinze ans après la loi de 2003, j'estime qu'il est temps de dresser un bilan du régime actuel afin d'identifier des pistes d'amélioration.
Dans le cadre de nos réflexions fiscales, je considère que nous pouvons encourager davantage le mécénat des TPE-PME qui maillent le territoire et pourraient ainsi soutenir le patrimoine local.
Je suis par ailleurs convaincue que le dispositif « Malraux » pourrait être renforcé au bénéfice des petites villes et des villes moyennes : j'ai sollicité une mission conjointe auprès des ministres de l'économie et de la cohésion des territoires pour évaluer ce dispositif.
Autre source de financements complémentaires pour l'État : l'engagement des Français. Le succès des collectes de dons par les plateformes de financement participatif prouve qu'ils sont prêts à s'engager pour la restauration des monuments en péril. Nous avons décidé d'offrir à cette mobilisation un nouvel élan en créant le « Loto du patrimoine », acté par la loi de finances rectificative fin 2017. La première édition aura lieu le 14 septembre au moment des Journées du patrimoine. Nous attendons effectivement 15 à 20 millions d'euros de gains nets par an, qui seront affectés à un fonds baptisé « Patrimoine en péril ». Il pourrait servir à la réhabilitation de 250 édifices publics et privés, répartis dans la France entière, dont 18 monuments emblématiques, un par région, 13 en métropole et 5 outre-mer.
Voilà les principaux axes de ma politique en matière de patrimoine. Je considère que l'État doit réaffirmer son engagement, mais qu'il ne doit pas être le seul à agir. C'est notre chance commune, ce doit être un engagement commun. Nous avons un devoir d'exemplarité, que nous avons assumé pleinement en 2017 et que nous prolongeons en 2018.
Quant aux crédits d'impôts consacrés au cinéma, à l'audiovisuel et à internet, ils jouent un rôle indispensable, et ont eu des résultats directs et massifs sur l'activité et sur l'emploi en France. Les crédits d'impôt ont permis de soutenir la production, de relocaliser des tournages et d'en attirer de nouveaux en France. Ils ont contribué à engendrer 600 millions d'euros d'activité supplémentaire dans ce secteur par rapport à 2015, avec, à la clé, la création de 15 000 emplois.
Ces dépenses fiscales ne présentent pas de risque de fuite en avant, puisque le coût des crédits d'impôt était stabilisé dans les prévisions transmises au Parlement. Je rappelle en outre que la concurrence fiscale est extrêmement rude puisque, au Canada, le crédit d'impôts peut atteindre des sommes très importantes ; quant au Royaume-Uni, il en fait un élément d'attractivité dans la perspective du Brexit ; idem pour la Belgique, avec le tax shelter.