Intervention de Marie-Ange Magne

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Ange Magne, rapporteure spéciale :

J'ai choisi de concentrer mes travaux d'évaluation dans le cadre du projet de loi de règlement sur les aides à la presse. Elles sont indispensables pour garantir le pluralisme de la presse, qui est une condition de la démocratie. Alors que ce secteur doit s'adapter aux changements induits par le développement du numérique et connaît de fortes mutations, il me paraît primordial d'établir le bilan d'un dispositif nécessaire pour soutenir une presse indépendante et un accès élargi à l'information.

L'avenir de notre système de distribution fait par ailleurs l'objet d'une réflexion menée à votre demande, madame la ministre, par M. Marc Schwartz, qui envisage une réforme du cadre juridique issu de la loi Bichet d'avril 1947.

Les aides directes à la presse représentent 108,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et 101,2 millions d'euros en crédits de paiement consommés en 2017. Elles sont regroupées au sein de l'action n° 2 Aides à la presse du programme 180 Presse et médias. Ces aides directes se répartissent en trois grandes familles. La première est celle des aides à la diffusion, dont fait partie l'aide au portage, qui représente 47,7 millions d'euros consommés en 2017. En second lieu, les aides au pluralisme, qui soutiennent les publications d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires, ont consommé 17,3 millions d'euros de crédits en 2017. Les aides à la modernisation, enfin, ont représenté 43,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et 36 millions d'euros en crédits de paiement.

À ces aides directes recensées dans la mission Médias, livre et industries culturelles, il faut ajouter l'aide au transport postal à hauteur de 121 millions d'euros pour 2017, que l'on retrouve dans le programme 134 de la mission Économie. Il existe enfin des aides fiscales indirectes en faveur de la presse, dont la principale est le taux de TVA réduit à 2,1 % pour les publications de presse. Son coût pour l'État est estimé à 160 millions d'euros pour 2017.

À ce stade, j'attire d'abord votre attention sur l'incohérence de l'absence, dans le périmètre de la mission Médias, livre et industries culturelles, de l'aide au transport postal, alors que ces 121 millions d'euros représentent près de la moitié des aides directes mentionnées.

Le coût des aides directes, en dehors des dotations à l'Agence France-Presse (AFP), a été divisé par deux depuis 2009, conformément aux engagements pris lors des États généraux de la presse, qui ont instauré des aides exceptionnelles temporaires. Le niveau de ces aides est passé, selon votre ministère et selon la Cour des comptes, de 495 millions d'euros en 2009 à 395 millions d'euros en 2013, puis 245 millions d'euros en 2017. Cette baisse est liée à la diminution de la compensation versée à La Poste, à la diminution mécanique des aides sociales au départ en retraite des salariés de l'imprimerie, et à la baisse de l'aide au portage, passée de 70 millions d'euros en 2009 à 36 millions d'euros en 2017.

Je regrette cependant l'absence, dans le rapport annuel de performances, d'un document budgétaire unique qui donnerait une estimation chiffrée de tous les dispositifs d'aides directes et indirectes, ainsi que de leur évolution pluriannuelle. Je relève donc avec intérêt la réponse du ministère à la Cour des comptes, selon laquelle ce document unique pourra être publié dès le projet de loi de finances pour 2019. Cette mesure renforcera le contrôle du Parlement sur les politiques publiques et facilitera leur évaluation, ce que nous ne pouvons qu'approuver.

Les auditions que j'ai menées avec des acteurs du secteur ont fait apparaître deux caractéristiques principales de sa situation. La presse connaît, d'abord, une transformation profonde du fait du développement du numérique. Loin d'annoncer la fin des entreprises de presse, il a permis d'augmenter le lectorat et a favorisé la multiplication des publications. Il s'agit désormais de développer des modèles économiques soutenables pour les acteurs, dont les situations sont très variées : certains n'existent qu'en ligne, d'autres s'adossent à un support papier.

Si la presse imprimée supporte des coûts logistiques et financiers plus élevés que ceux de la presse en ligne, ce qui justifie que certaines aides lui soient réservées, notre dispositif peut être amélioré de façon à mieux prendre en compte les évolutions actuelles. Les seules aides directes dont peuvent aujourd'hui bénéficier les services de presse en ligne sont celle du fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) et la bourse à l'émergence décernée par le fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation, créé en 2016. Ils bénéficient également de certaines aides indirectes, telles que la TVA réduite depuis 2014, ou l'exonération de la contribution économique territoriale. Les aides au pluralisme sont en revanche réservées à la presse imprimée, ce qui semble peu conforme à l'objectif même de pluralisme. Leur extension aux journaux en ligne me paraîtrait donc pertinente.

En revanche, la proposition de la Cour des comptes, inscrite dans son rapport public annuel de février 2018, d'instaurer une aide unique à l'exemplaire payant – quelles qu'en soient les modalités de diffusion et d'achat – qui se substituerait aux différentes aides à la diffusion, ne me paraît pas la plus adéquate : la presse imprimée supportant des coûts logistiques plus importants que la presse en ligne, il me semble qu'elle doit recevoir des aides spécifiques.

En outre, le rapport de M. Emmanuel Giannesini a montré qu'une telle aide entraînerait des effets distributifs importants en faveur de la presse déjà portée et risquerait de déstabiliser La Poste, qui assumerait seule les coûts de distribution dans les zones les moins denses. L'importance de la mission de service public assumée par La Poste justifie une aide proportionnellement plus importante.

La situation de la presse se caractérise, en second lieu, par les difficultés majeures que connaissent les entreprises de distribution. Elles sont dues à des problèmes structurels, notamment le développement du numérique et la baisse de la vente au numéro de la presse imprimée. L'entreprise Presstalis concentre les inquiétudes : elle a connu en 2012 une crise importante, qui a conduit l'État à lui verser 15 millions d'euros sur la période 2012-2013, en plus des 18 millions d'aide annuelle à la modernisation de la distribution, et à lui accorder deux prêts, de 14 millions d'euros en 2012 et 30 millions en 2014. Malgré ces aides et le plan de réforme adopté, Presstalis s'est trouvée au bord de la cessation de paiement à la fin de 2017, avec un besoin de trésorerie non couvert de 70 millions d'euros pour 2018.

Si les décisions stratégiques prises par la direction sont régulièrement mises en cause, il ne faut pas négliger les causes structurelles de cette situation. Une réflexion sur la réforme du système de distribution issu de la loi Bichet de 1947 est d'ailleurs en cours, je le disais. Un nouveau plan de financement a été homologué le 14 mars 2018 : en contrepartie d'économies importantes demandées à l'entreprise, 52 millions d'euros lui seront versés grâce à un apport des éditeurs et à un nouveau prêt du Fonds de développement économique et social.

Les économies attendues résulteront principalement du licenciement de 230 personnes. J'attire votre attention, madame la ministre, sur les difficultés des salariés de cette entreprise, où les plans successifs de sauvegarde de l'emploi se traduisent par de nombreux licenciements et par la fermeture de certains sites. Vous parliez du Limousin. À Limoges, justement, 15 emplois sont menacés par la fermeture du site de Presstalis.

Ces travaux me conduisent à vous poser plusieurs questions, madame la ministre. La première porte sur la prise en compte, par notre système d'aides, de la transformation numérique de la presse. L'extension des aides au pluralisme aux journaux en ligne ne serait-elle pas justifiée, notamment pour ceux qui ne sont pas adossés à un journal imprimé et dont les ressources sont limitées ? Il serait en effet intéressant d'adapter notre notion du pluralisme de la presse d'information générale et politique à la presse en ligne.

Ma deuxième question porte sur la soutenabilité de notre système de distribution. J'espère que la situation de Presstalis s'améliorera grâce au nouveau plan de sauvegarde homologué en mars, mais je m'interroge sur les difficultés récurrentes et structurelles de l'entreprise. Votre ministère conduit-il une réflexion propre à anticiper la réforme de ce modèle, si jamais Presstalis venait encore à connaître une situation de cessation de paiement ? Notre modèle de distribution paraissant peu soutenable, sera-t-il remis en cause ?

Ma troisième question porte sur les orientations du rapport, encore non publié, de M. Marc Schwartz, au sujet notamment de la modification de la régulation du secteur de la distribution. Le dispositif actuel est placé sous le contrôle de deux autorités de régulation, le Conseil supérieur des messageries de la presse (CSMP), dont font partie les éditeurs, et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), qui dispose de peu de moyens humains et financiers pour mener à bien la mission qui lui a été confiée.

Le rapport de M. Schwartz recommanderait de confier cette mission à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Pouvez-vous nous donner de plus amples informations sur cette perspective ? Des coûts budgétaires supplémentaires sont-ils à prévoir ?

Je m'interroge également sur les réflexions du ministère concernant une éventuelle fusion entre l'ARCEP et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dans le cadre du projet de loi de réforme de l'audiovisuel public. Cette fusion est-elle à l'ordre du jour ?

Ma dernière question, enfin, porte sur l'absence des aides au transport postal de la presse dans le périmètre de la mission Médias, livres et industries culturelles. L'intention de la LOLF étant de regrouper les dépenses par finalité pour faciliter le contrôle des finances publiques par le Parlement, pourquoi ne serait-il pas possible d'intégrer ces crédits à cette mission, alors que cette subvention à La Poste répond justement à la finalité de soutenir la presse ? L'expérimentation menée en 2013 a permis de transférer la subvention destinée au transport postal de la presse dans le programme 180 de la mission Médias, livres et industries culturelles. Elle en a donc montré la faisabilité et l'intérêt pour l'autorisation budgétaire donnée par le Parlement, ainsi que pour le contrôle de l'exécution des dépenses que nous menons au cours de ce « printemps de l'évaluation ».

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