Mon intervention portera sur des propositions de réforme pour partie issues de constats effectués dans différents postes diplomatiques et consulaires d'Afrique de l'Ouest.
J'aborderai en premier lieu les ressources humaines de notre réseau diplomatique. Dans l'ensemble, les effectifs diminuent à périmètre constant. Cette baisse n'empêche pas des redéploiements entre zones géographiques en fonction de nos priorités.
J'ai relevé une surexécution de la masse salariale pour des raisons assez structurelles. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères redéploie ses effectifs dans les zones émergentes qui correspondent le plus souvent à des postes où les personnels expatriés perçoivent les montants d'indemnités de résidence à l'étranger les plus élevés. Ce phénomène risque de nous contraindre à diminuer les effectifs de manière excessive.
Je vous propose donc, monsieur le ministre, de rechercher des marges de manoeuvre dans une gestion plus fine de la masse salariale, en ajustant les montants des indemnités de résidence à l'étranger (IRE), qui représentent près de 40 % des crédits de titre 2 du ministère. Ces indemnités sont nécessaires pour les agents du Quai d'Orsay, qui assument les nombreux surcoûts liés à l'expatriation. Il en existe d'équivalentes chez tous nos homologues européens. Cependant, les montants de nos IRE peuvent varier très fortement selon les affectations et atteindre des niveaux considérables, tout en étant exonérées d'impôts. Cet aspect entre parfois en ligne de compte dans les demandes d'affectation des personnels, ce qui n'apporte pas les meilleures garanties quant à la pertinence des nominations. Il me paraît également essentiel de veiller à ce que les montants les plus importants correspondent bien, dans tous les postes, à des niveaux de sujétion et de responsabilité effectifs. C'est là une garantie d'équité et d'acceptabilité. Monsieur le ministre, je souhaiterais recueillir vos suggestions à cet égard.
En matière de rémunération, des marges de manoeuvre pourraient également provenir d'un recours plus large à des agents recrutés localement. C'est déjà le cas pour certaines fonctions correspondant à la catégorie C. Cependant, l'effort de substitution à des agents expatriés n'est pas toujours poussé suffisamment loin. Il pourrait s'étendre à des fonctions d'expertise ou d'encadrement. Certains de nos partenaires européens y ont bien davantage recours que nous, sans perte de qualification, bien au contraire. Les services des chancelleries pourraient par exemple bénéficier de nouvelles compétences pour analyser plus finement les enjeux politiques locaux, et mieux percevoir les mouvements de fond des sociétés civiles qui nous sont parfois plus opaques que ne nous le pensons. Le Mali en est un exemple. Dans les pays confrontés à la fraude documentaire – sujet d'importance –, les services d'instruction des visas gagneraient à bénéficier de compétences locales, de manière encadrée. Le Sénégal pourrait être un poste pilote sur ces deux aspects dans le cadre du programme « Action publique 2022 ». Monsieur le ministre, j'aimerais que vous nous apportiez quelques éclaircissements à ce sujet.
Nos diplomates sont la véritable richesse du Quai d'Orsay. L'effectivité de notre action à l'étranger repose en grande partie sur la qualité des chefs de postes diplomatiques. Tout l'enjeu est de nommer les bonnes personnes au bon endroit, de leur assigner des objectifs clairs figurant dans une lettre de mission ministérielle, et, surtout, de leur donner les moyens de mobiliser l'ensemble des services français sur place. Dans les pays d'Afrique de l'Ouest où je me suis rendu, les chefs de poste ont ainsi établi des plans d'action comportant des objectifs cohérents, des échéances, des points d'avancement précis et des indicateurs permettant d'évaluer les résultats.
Cependant, derrière le fronton commun de l'ambassade, il persiste une multitude de réseaux de l'État à l'étranger, ce qui peut nuire à la cohérence des actions de la « maison France », et par conséquent à la qualité de notre diplomatie. Certains personnels présents dans les ambassades relèvent par exemple des ministères de l'économie et des finances, des solidarités et de la santé, de l'intérieur ou de la justice, et sont financés par des crédits budgétaires attachés à leur ministère respectif. Cela atténue, dans les faits, les prérogatives du chef de poste, auquel le décret du 1er juin 1979 relatif au pouvoir des ambassadeurs et à l'organisation des services de l'État à l'étranger accorde pourtant l'entière autorité sur les services de la mission diplomatique.
Une approche globale pourrait consister à transférer ces postes budgétaires vers la mission Action extérieure de l'État et à détacher les personnels concernés au Quai d'Orsay pendant la durée de leur mission à l'étranger. C'est ce qui est mis en oeuvre avec succès en matière de coopération de sécurité et de défense – les crédits de la mission rémunérant dans ce cas les personnels coopérants issus des ministères des Armées ou de l'Intérieur.
Cette mise en cohérence permettrait également d'optimiser la dépense publique, en améliorant la mutualisation des fonctions de support, qui est parfois, aujourd'hui, délicate à mener. Nous disposerions aussi d'une plus juste image de notre présence dans le monde. Nous pourrions dès lors mieux adapter la répartition des emplois à nos priorités. À titre d'exemple, le service économique à Dakar compte seulement quatre personnes, autant qu'au Pérou – pays où les enjeux économiques pour la France sont beaucoup moins élevés. Cette réforme me paraît devoir concerner en priorité les effectifs du réseau du Trésor, indispensables à la conduite de notre diplomatie économique.
Dans les postes d'Afrique de l'Ouest que j'ai visités, le service économique régional relevant de Bercy s'insère sans difficulté dans le plan d'action de l'ambassade, grâce à la qualité des personnes en place. Il nous revient cependant d'apporter des garanties plus que tangibles, en mettant le cadre budgétaire en cohérence avec nos objectifs de rationalisation et de redéploiement des réseaux à l'étranger. Nous savons qu'il existe à Bercy la crainte diffuse qu'une mutualisation sous l'égide du Quai d'Orsay ne se fasse au détriment de la prise en compte des enjeux économiques. Je peux attester, au vu des trois postes diplomatiques que j'ai visités, que cette crainte est infondée. La mission d'influence économique occupe aujourd'hui, de manière générale, environ 40 % de l'activité des ambassadeurs. En Afrique de l'Ouest, cette proportion atteint 60 %. Une part considérable du rôle de représentation vise à valoriser l'offre française et à mettre en relation nos entrepreneurs avec leurs homologues africains. Les chefs de poste entretiennent un dialogue constant avec les entreprises françaises. Ils utilisent l'ensemble des leviers politiques d'influence pour appuyer leurs projets et les aider à débloquer des situations parfois très sensibles. La réalisation par les entreprises françaises de nouvelles infrastructures de type transport express régional, qui vont désengorger les agglomérations d'Abidjan et de Dakar, fait ainsi l'objet d'un suivi personnel des chefs de poste. J'ai pu constater que ces derniers étaient particulièrement attentifs au respect, dans ce cadre, des meilleurs standards techniques, environnementaux, sociaux et déontologiques.
De même, il revient à l'ambassadeur de définir une politique des visas favorable aux échanges économiques, mais aussi d'appuyer les dispositifs de migration professionnelle circulaire mis en oeuvre par les antennes de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). J'en ai vu un modèle à Dakar qu'il serait sans doute intéressant de développer. Nous répondrions alors à la préoccupation du rapporteur général concernant les « repatriés », ces personnes qui reviennent au pays et sont accompagnées « clés en mains », avec un suivi individualisé. Cette expérience en est à ses prémisses et manque encore de public. Elle mérite d'être examinée de très près.
La vigilance de l'ambassadeur est également essentielle pour s'assurer que les financements de l'aide publique au développement opérés par l'AFD sont cohérents avec nos objectifs de diplomatie économique.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer comment vous envisagez de parachever la réforme de nos réseaux à l'étranger ? Le périmètre des emplois budgétaires de la mission pourra-t-il évoluer dès le projet de loi de finances pour 2019 ?
Je conclurai avec quelques propositions visant à sécuriser les recettes procurées par l'action du réseau du Quai d'Orsay.
Dans le réseau consulaire, la question se pose de façon récurrente du périmètre des services, très importants, rendus à nos compatriotes établis à l'étranger. Même si la palette de ces services est extrêmement large, toute restriction de leur périmètre devrait être envisagée avec la plus grande prudence. Gardons-nous de penser, par exemple, que nous gagnerions à ne plus rendre de services notariés. Certaines expériences prouvent le contraire. Nos compatriotes se satisfont de la sécurité juridique fort appréciable apportée ces services qui, me dit-on, ne prennent pas davantage de temps que d'autres.
L'étendue du réseau de consulats français constitue un atout que nous pouvons valoriser, particulièrement auprès des ressortissants européens qui s'adressent à lui pour de l'assistance consulaire ou en cas de perte de passeport. Dans les nombreux pays où seuls la France et le Royaume-Uni disposent d'une représentation, le Brexit achèvera d'orienter vers notre réseau l'ensemble des Européens. Monsieur le ministre, je vous propose donc de fixer de nouveaux tarifs spécifiques pour les ressortissants européens qui sollicitent le réseau français, en faisant payer ces services au coût complet et non pas au simple tarif de la chancellerie. Cette mesure contribuerait à amortir les frais fixes des consulats et conforterait l'universalité du réseau, en cohérence avec la feuille de route du Président de la République.
Venons-en aux établissements à autonomie financière (EAF) rattachés aux services culturels des ambassades, qui ont le plus souvent la dénomination d'instituts français. Les EAF n'ont pas la personnalité morale mais perçoivent des dotations publiques et, surtout, des ressources propres, tirées notamment des cours de français, des certifications de langue, des activités culturelles et du mécénat. Leur taux d'autofinancement atteignait 72 % en 2017, soit une hausse de 5 points en deux ans. Leurs dotations sur fonds publics sont très inférieures aux ressources propres, lesquelles dépassent 141 millions d'euros. Par dérogation au principe d'unité et d'universalité budgétaires, les EAF peuvent conserver leurs recettes extrabudgétaires sans qu'elles ne soient rattachées au budget général, par attribution de produits ou fonds de concours. Ces particularités offrent une souplesse indispensable pour continuer de mobiliser des financements externes. Cependant, la Cour des comptes a relevé que ce statut était contraire à la loi organique relative aux lois de finances.
J'attire donc votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité de sauvegarder la spécificité des EAF, lesquels sont une source de recettes. Pouvez-vous nous indiquer quelles adaptations juridiques sont envisagées pour se conformer à la régularité budgétaire sans nuire à la souplesse de gestion actuelle ? À défaut, ne pourrait-on pas expertiser la piste d'une modification du texte de la LOLF afin d'y définir et d'y encadrer le statut financier des établissements à autonomie financière, et de prévoir des dérogations expresses les concernant ?