Comme vous le savez, monsieur le ministre, j'avais souligné dans mon rapport un manque de visibilité sur l'articulation des programmes 110 et 209, et avais appelé à un meilleur pilotage de notre aide publique au développement. J'ai lu avec attention la note d'analyse de la Cour des comptes sur la mission Aide publique au développement, qui ne tient pas un autre propos en ce qui concerne la spécialisation des deux programmes. Elle rappelle en effet que les dépenses portées par ces derniers sont parfois très proches, voire similaires, quant aux thématiques abordées et aux instruments utilisés. En d'autres termes, nous ne sommes pas dans une situation où un programme se chargerait du multilatéral et l'autre du bilatéral, l'un des prêts et l'autre des dons, l'un des pays les moins avancés et l'autre des pays émergents, l'un du soutien aux services de base et l'autre de l'appui au développement des infrastructures. Cette confusion n'aide certainement pas au pilotage de notre aide au développement. La faiblesse de ce pilotage a d'ailleurs souvent été pointée.
Cela explique-t-il que l'aide bilatérale ait longtemps été la variable d'ajustement budgétaire de notre aide publique au développement ? Quoi qu'il en soit, je salue les conclusions du CICID accordant une prépondérance aux dons, aux pays prioritaires dont la liste a été actualisée, ainsi qu'au soutien aux services de base – en particulier l'éducation et la santé. Cependant, ceci ne doit pas nous exonérer d'assurer une meilleure lisibilité et une spécialisation des programmes 209 et 110. Cela contribuerait, du reste, à la mise en oeuvre des conclusions du CICID.
En vertu des règles de l'OCDE, l'aide pilotable – si l'on y inclut les recettes affectées du Fonds de solidarité pour le développement (FSD) – représente 40 % de notre aide publique au développement. Rappelons que le FSD regroupe les taxes affectées au développement, à savoir la taxe sur les transactions financières et le taxe sur les billets d'avion. J'ai noté avec attention que la Cour des comptes pointait l'opacité de ce fonds. Il importe en effet d'oeuvrer à sa transparence. Je suis plus circonspect quant à la suggestion de la Cour des comptes de rebudgétiser le FSD. Cela représenterait un risque pour le financement de notre aide au développement, alors que ces taxes affectées répondent à des enjeux de santé mondiale et de climat, qui sont autant de priorités pour le gouvernement. Il existe d'autres moyens de lutter contre l'opacité du FSD, tout en maintenant l'affectation des recettes. Son comité de pilotage pourrait ainsi être élargi aux parlementaires, ou son bilan comptable être publié annuellement.
Les taxes affectées financent des actions relevant de la santé mondiale et du climat ainsi que notre aide multilatérale. Il est important de rappeler que l'aide bilatérale a constitué une variable d'ajustement budgétaire, et qu'elle doit être privilégiée. Pour autant, il ne s'agit pas de montrer du doigt l'aide multilatérale. Souvent, du reste, l'aide bilatérale répond à des objectifs multilatéraux, la France jouant son rôle dans la communauté internationale. Il ne s'agit pas de revenir à une politique où la France poserait son drapeau sur les équipements qu'elle construirait à l'étranger, espérant ainsi faire rayonner son influence. Nous devons plutôt faire en sorte que notre aide bilatérale, qui est amenée à croître, réponde aux conclusions du CICID et à des objectifs multilatéraux que nous devons contribuer à orienter.
Ceci ne jouera pas au détriment de l'aide multilatérale, qui porte également ses fruits, en particulier en matière de santé mondiale. J'ai pu constater, en Éthiopie, l'efficacité du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et de l'organisation UNITAID, dont la France a largement contribué à la création. En revanche, cela pose la question du rôle de la France dans la gouvernance des organisations internationales – Banque mondiale, Fonds monétaire international (FMI), mais aussi Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Il est d'ailleurs souvent reproché à la France de ne pas jouer son rôle dans la gouvernance de ce dernier, alors qu'elle en est le deuxième contributeur.
Il existe naturellement un lien entre l'aide publique au développement et les grands défis mondiaux, ou « biens publics mondiaux », que sont la sécurité internationale, les pandémies, le climat ou les migrations. Or l'aide publique au développement ne doit pas être un instrument de lutte contre l'immigration. Certaines études montrent d'ailleurs que l'augmentation moyenne du pouvoir d'achat dans les pays en développement ne peut que contribuer à accentuer la mobilité et l'émigration. En revanche, si l'aide au développement contribue à des créations d'emplois dans certaines régions du monde, en particulier dans les pays prioritaires que nous ciblons, elle aura alors une influence positive sur l'émigration.