Intervention de Véronique Louwagie

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 13h45
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Louwagie, rapporteure spéciale :

J'ai choisi de concentrer mes travaux d'évaluation, dans le cadre du projet de loi de règlement, sur l'aide médicale de l'État (AME), et plus précisément sur les conséquences induites par la politique migratoire sur les territoires. Je m'arrêterai d'abord sur les variations du nombre de bénéficiaires de l'AME, puis dresserai le bilan de la gestion par le gouvernement de l'exécution des crédits correspondants. Je ferai ensuite part de mes hypothèses d'explication de la stagnation du nombre de bénéficiaires. Enfin, je vous proposerai quelques pistes d'action pour améliorer l'évaluation de cette politique publique.

Pour commencer, j'ai cherché à comprendre la raison pour laquelle le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État avait diminué, comme l'indiquaient les informations alors disponibles, en partant du rôle supposé de la politique migratoire.

Le nombre total de bénéficiaires de l'aide médicale de l'État est passé de 316 314 au 31 décembre 2015 à 311 310 au 31 décembre 2016. Prenant acte de cette diminution et des premiers chiffres observés en 2017, le gouvernement a anticipé une trajectoire baissière continue au cours de cette même année. Cependant, il s'est avéré que si le nombre de bénéficiaires avait reculé entre mars 2016 et mars 2017, passant de 318 619 à 309 890, il avait en revanche augmenté à partir de mars 2017, pour s'établir à 315 185 au 31 décembre 2017. Cela correspond à une hausse de seulement 1,5 % par rapport à 2016, mais constitue une rupture avec la dynamique observée entre 2002 et 2015. Nous retrouvons ainsi, fin 2017, un nombre total de bénéficiaires assez proche de celui qui avait été établi au 31 décembre 2015.

La gestion par le Gouvernement de l'exécution des crédits destinés à l'AME paraît peu opportune. L'augmentation du nombre de bénéficiaires ayant été connue tardivement par l'administration, du fait d'un décalage de la remontée d'informations issues de l'assurance maladie, les hypothèses d'exécution pour l'année 2017 se sont fondées sur une diminution constante du nombre de bénéficiaires. Les services de la direction de la Sécurité sociale annonçaient d'ailleurs, lors de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2018, un nombre probable de 306 000 bénéficiaires au 31 décembre 2017. Cet écart de 10 000 bénéficiaires entre les prévisions communiquées en octobre 2017 et la réalité à fin 2017 est symptomatique d'une carence d'information et de connaissance sur le profil des demandeurs de l'AME et les facteurs de variation du nombre de bénéficiaires.

En effet, nous savons uniquement que les bénéficiaires de l'AME sont des étrangers en situation irrégulière, résidant en France de façon ininterrompue depuis plus de trois mois et dont les ressources sont inférieures au plafond établi pour la couverture maladie universelle complémentaire. Nous ne disposons, en revanche, d'aucune information sur leur âge, leur sexe, leur pays d'origine et les pathologies qu'ils présentent.

En s'appuyant sur des hypothèses datées et peu fiables, le gouvernement a choisi d'annuler des crédits destinés à l'aide médicale d'État à hauteur de 9,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 9,1 millions d'euros en crédits de paiement, par un décret d'avance du 30 novembre 2017. Cette annulation a entraîné une consommation de crédits inférieure à la prévision, à rebours de la tendance de ces dernières années. Elle permet au gouvernement d'afficher une diminution de 2,5 % des crédits dépensés au titre de l'AME de droit commun. Or cette baisse de la dépense est dépourvue de signification, puisque le remboursement par l'État des dépenses d'aide médicale d'État de droit commun n'a pas couvert l'ensemble des dépenses enregistrées par la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) en 2017.

Ces dépenses ont finalement crû de 4,9 % par rapport à 2016, hausse n'ayant aucunement été anticipée par l'État, pour les raisons évoquées plus haut. Si la croissance du nombre de bénéficiaires n'a légitimement pas pu être anticipée, il reste qu'une forte hausse du coût moyen par bénéficiaire a néanmoins été observée au premier semestre 2017. Ceci aurait dû inciter le gouvernement à faire preuve de prudence quant à ses hypothèses de réduction de la dépense totale.

La dette de l'État envers la CNAM a donc augmenté de 38,3 millions d'euros, pour s'établir à 49,8 millions d'euros. À cette dette croissante s'ajoute le différentiel supporté par l'assurance maladie entre la contribution forfaitaire de l'État, qui s'établit à 40 millions d'euros, et les dépenses prises en charge par l'assurance maladie, lesquelles représentent 65,1 millions d'euros en 2017 au titre des soins urgents de l'AME.

Si cette dette reste supportable – notamment en comparaison avec le montant de 1,2 milliard d'euros atteint en 2007 avant la mise en place d'un plan d'apurement –, je souhaite néanmoins vous alerter, madame la ministre, sur la dynamique négative que nous connaissons actuellement. J'insiste sur la nécessité de rompre avec la logique faisant porter à la CNAM le coût des sous-budgétisations et des mauvaises appréciations de gestion. L'assurance maladie ne peut plus servir de variable d'ajustement pour afficher une maîtrise de la dépense publique.

Dans une même logique, il paraît pertinent d'introduire une réflexion sur les modalités de remboursement de l'assurance maladie au titre de la prise en charge des soins urgents. La dotation forfaitaire actuelle, de 40 millions d'euros, ne permet pas de couvrir l'ensemble des coûts supportés par l'assurance maladie, ce qui interroge sur la prise en charge réelle de cette politique par l'État.

Au cours des différentes auditions menées pour préparer cette commission, plusieurs hypothèses pouvant expliquer le ralentissement de la hausse du nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État ont retenu mon attention. Précisons que ces hypothèses ne peuvent être vérifiées, les informations faisant défaut sur cette politique publique.

Mon hypothèse initiale, selon laquelle la politique de répartition des migrants sur le territoire pouvait avoir une influence sur le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État, peut être en partie écartée. En effet, cette politique migratoire a principalement concerné les demandeurs d'asile ne relevant pas de l'AME mais de la protection universelle maladie (PUMa) gérée par l'assurance maladie.

En revanche, la forte hausse du nombre de demandeurs d'asile en 2017 pourrait être un facteur d'explication, notamment lorsqu'elle concerne des nationalités qui n'ont pas l'habitude de demander l'asile et qui ne l'obtiennent que très rarement. En effet, en 2017, 100 412 demandes d'asiles ont été déposées, d'après les chiffres de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Parmi ces demandes, 7 630 provenaient par exemple d'étrangers de nationalité albanaise, soit une hausse de 4 000 demandes par rapport à 2016. En tant que demandeurs d'asile, les personnes concernées relèvent de la protection universelle maladie et non du régime de l'aide médicale d'État. Un phénomène de « trou d'air » pourrait donc être à l'oeuvre, renforçant une dynamique dans laquelle les demandeurs d'asile, une fois déboutés, basculeront probablement dans le régime de l'AME.

Ce phénomène de « trou d'air » semble par ailleurs accentué par l'élargissement aux régimes complémentaires d'assurance maladie du maintien des droits pendant 12 mois dans le régime de la protection universelle maladie, après l'expiration des titres de séjour ou la décision de déboutement d'une demande d'asile. Cette modification pourrait en partie expliquer la stagnation du nombre de bénéficiaires au cours de l'année 2017.

Enfin, les associations et les chercheurs que j'ai rencontrés ont pointé l'importance de la problématique des barrières à l'accès. Ainsi les caisses primaires d'assurance maladie tendent-elles à réclamer toujours davantage de pièces complémentaires, ce qui allonge le temps de traitement des dossiers et contribue à décourager les demandeurs. Les chercheurs pointent également une absence d'harmonisation des preuves de résidence acceptées par les différents départements, malgré les exigences réglementaires fixées par le décret du 28 juillet 2005 relatif aux modalités d'admission des demandes d'aide médicale de l'État.

Nous ne pouvons cependant évaluer la réalité de cette hypothèse, puisque nous n'avons pas en notre possession d'indicateur sur l'évolution du rapport entre le nombre de demandes déposées et le nombre de bénéficiaires. A minima, nous savons que le nombre de demandes déposées a augmenté de 2,5 % en 2017, d'après la CNAM. Nous ignorons toutefois si cette évolution est habituelle.

Finalement, aucune de ces hypothèses ne peut aujourd'hui être vérifiée. Aussi ai-je fait le constat d'un manque structurel d'information sur cette politique publique, empêchant de réaliser une évaluation réelle du dispositif. Je vous interpelle donc, madame la ministre, et vous interroge sur la possibilité de fournir de telles informations.

J'en viens à la dernière partie de mon intervention, détaillant les propositions que je souhaite vous soumettre.

Plusieurs données chiffrées seraient indispensables pour assurer un meilleur contrôle de cette politique par le parlement et les chercheurs. Il serait par exemple utile de mieux connaître le profil des bénéficiaires de l'aide médicale d'État : sexe, âge, pays d'origine et pathologies éventuellement identifiées dès leur arrivée. De même, il est nécessaire de recueillir davantage de données sur les habitudes de consommation des bénéficiaires de l'AME, notamment sur la répartition des dépenses entre ceux-ci. Nous pourrions ainsi mieux appréhender le pourcentage de personnes concernées par des dépenses médicales lourdes, ou encore la répartition des dépenses par pathologie.

Nous avons également besoin d'informations approfondies sur le traitement des demandes : évolution du nombre de demandes déposées, taux de refus ou d'obtention par rapport au nombre de demandes déposées et de personnes éligibles, délai de traitement d'un dossier avant réponse définitive, au-delà du seul temps d'instruction fourni actuellement, qui ne tient pas compte des demandes de pièces complémentaires allongeant les délais d'obtention.

En outre, nous avons besoin de connaître la répartition entre les bénéficiaires de l'aide médicale d'État entrant dans le dispositif et les bénéficiaires au titre d'une demande de renouvellement, puisque cette demande doit être réitérée chaque année.

Une attention particulière doit être portée au nombre de bénéficiaires au titre des soins urgents. Cette donnée est aujourd'hui inconnue, ce qui s'avère éminemment problématique en termes de suivi.

Alors que les informations font défaut de façon aussi flagrante, madame la ministre, pouvez-vous nous expliquer comment sont construites les hypothèses de prévision qui nous sont présentées comme fiables ? Peut-on accepter de voter des crédits sur lesquels il n'existe aucune visibilité ? Comment évaluer une politique publique qui ne repose sur aucune donnée sûre ? Ne pourrait-on pas améliorer ces dispositifs d'évaluation en enrichissant la récolte des données et en communiquant ces dernières aux acteurs concernés ?

Une telle évaluation permettrait également de mieux connaître le phénomène souvent décrié du « tourisme médical », certes marginal au regard de l'ensemble des bénéficiaires de l'aide médicale d'État. Un certain nombre de personnes viennent en effet en France pour traiter des pathologies chroniques coûteuses. Ce phénomène est marginal, mais il existe. En l'appréhendant plus finement, nous combattrions les préjugés qui courent à son sujet et réduirions le nombre de personnes qui bénéficient indûment de la gratuité des soins, notamment lorsqu'elles ont la possibilité de se soigner dans leur pays. Nous devons faire preuve de discernement entre les personnes qui migrent pour se faire soigner et celles qui sont soignées parce qu'elles ont migré.

Pour toutes ces raisons, je propose, madame la ministre, la mise en place d'une évaluation basée sur des données chiffrées et étayées de cette politique, contribuant à un meilleur contrôle du Parlement. Cette évaluation devrait être suivie d'une campagne d'information sur la réalité des situations des bénéficiaires de l'AME. Je proposerai d'ailleurs un projet de résolution en ce sens.

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