Intervention de Stella Dupont

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 13h45
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStella Dupont, rapporteure spéciale :

La mission Solidarité, insertion et égalité des chances est essentielle à la cohésion sociale de notre pays. Elle comprend quatre programmes, dont les trois premiers sont consacrés à l'insertion et à la lutte contre la pauvreté, au handicap ainsi qu'à l'égalité entre les femmes et les hommes. Le quatrième couvre, en support, le champ de tous les ministères sociaux.

Comme l'avait relevé la Cour des comptes dans son audit de juin 2016, nous pouvons constater des sous-budgétisations conséquentes au sein de cette mission. La plus importante concerne la prime d'activité. Tandis que le projet de loi de finances pour 2017 prévoyait 3,34 milliards d'euros pour le financement de celle-ci, la consommation des crédits a atteint 5,3 milliards d'euros, nécessitant une ouverture de 840 millions d'euros en loi de finances rectificative.

Cette montée en charge est essentiellement causée par l'amélioration du marché du travail. Avec la décrue du chômage, le nombre de travailleurs à temps partiel augmente, tout comme le nombre de bénéficiaires de la prime d'activité. Cette dépense reste difficile à modéliser et à anticiper finement. Au vu de l'exécution 2017, la prévision pour 2018 me semble toutefois insuffisante, d'autant que le gouvernement prévoit une revalorisation de la prime à compter de l'automne prochain. Cette revalorisation constitue un engagement présidentiel fort, afin que « toute reprise d'emploi se traduise par un supplément de revenu conséquent ».

Madame la ministre, je suis très attachée à ce dispositif qui vise à apporter un complément de revenu aux travailleurs dits pauvres. Afin de dissiper nos doutes, pourriez-vous nous confirmer que la revalorisation de 20 euros du montant forfaitaire de la prime d'activité aura bien lieu à compter du mois de novembre ? Pourriez-vous également nous éclairer sur les prévisions de dépenses relatives à cette prime pour 2018 ?

La deuxième dépense à contrôler réside dans l'allocation aux adultes handicapés (AAH), pour laquelle la loi de finances prévoyait 9,05 milliards d'euros. Or, il manquait 330 millions d'euros. Après une sous-budgétisation chronique, la Cour des comptes considère que la programmation 2018 est sincère.

Je terminerai, pour la partie exécution, par quelques mots sur le programme 124, support de plusieurs ministères, qui contribue depuis plusieurs années aux efforts de maîtrise de la dépense publique. Cette année encore, la subvention aux 17 agences régionales de santé diminue, conduisant à une réduction d'effectifs de 187 ETP travaillés. La trésorerie des ARS ne permet plus de faire face qu'à 14 jours de dépenses de fonctionnement, soit une durée inférieure au seuil prudentiel de 20 jours déterminé par la direction des finances, des achats et des services. Je tenais à vous faire part de mon inquiétude à ce sujet, madame la ministre.

Je ne poursuivrai pas d'avantage sur l'exécution 2017, pour vous faire plutôt part des conclusions auxquelles j'ai abouti sur deux thèmes d'évaluation. J'ai ainsi travaillé sur deux aides récentes ayant fait débat lors de l'examen du projet de loi de finances.

Je me suis penchée tout d'abord sur le parcours de sortie de la prostitution, volet social de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

Grâce à cette loi très largement partagée sur tous les bancs des hémicycles, la honte a changé de camp. Le délit de racolage a été supprimé, et les clients de prostituées sont verbalisés. Rappelons que la prostitution en France concerne à 90 % des femmes étrangères, généralement entravées dans des réseaux de traite d'êtres humains. L'un des piliers de la loi vise à créer un parcours d'accompagnement et d'insertion pour celles et ceux qui souhaitent sortir du système prostitutionnel. Ce parcours de sortie de la prostitution comprend un accompagnement par une institution agréée ainsi que l'obtention d'une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois, et d'une aide financière pour l'insertion sociale et professionnelle de 330 euros par mois.

Pour examiner les demandes, la loi prévoit la mise en place de commissions départementales rassemblant les associations et les services de l'État concernés. Là où ces commissions sont créées, il semble que la coordination fonctionne bien. Elle permet d'impliquer, sous l'impulsion des délégués départementaux aux droits des femmes, les services de la préfecture en charge des titres de séjour, la police, la gendarmerie, mais aussi les acteurs de l'insertion : directions départementales de la cohésion sociale (DDCS), directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), éducation nationale, etc.

Cependant, fin 2017, le compte n'y est pas, puisque seules 18 commissions départementales sont installées. Elles sont chargées d'examiner les demandes soumises par des associations agréées. Si, dans la plupart des commissions, les demandes aboutissent, l'on observe néanmoins de fortes disparités d'appréciation entre les territoires. Dans certains départements, tous les dossiers ont été refusés. Les questions du droit au séjour sont le plus souvent sources de blocages, notamment lorsque la candidate ou le candidat est sous l'effet d'une obligation de reconduite à la frontière ou de la procédure dite « Dublin » de transfert du demandeur d'asile vers l'État membre qui l'a reçu en premier sur son sol.

Sur les questions budgétaires, les crédits prévus à l'action 15 du programme 137, qui finance la prévention ainsi que la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains, ont diminué entre 2017 et 2018, alors même que la loi se met doucement en place et que le nombre de parcours de sortie accordés est voué à augmenter. Cette diminution de la prévision budgétaire se justifie au regard du très faible nombre de parcours de sortie autorisés fin 2017. Seules 29 personnes en bénéficient. C'est bien moins qu'initialement prévu, notamment parce que la mise en oeuvre de cette loi demande du temps – temps de parution des décrets, d'attribution des agréments aux associations, de mise en place des commissions départementales, d'instruction des demandes, etc.

D'après les auditions que j'ai menées, les associations pourraient présenter davantage de dossiers aux commissions départementales. Cependant, elles s'autorégulent, faute de moyens suffisants. Le dispositif est en effet assez lourd. Il faut s'assurer que la personne a bien cessé toute activité prostitutionnelle, constituer un dossier de demande, le défendre en commission, renouveler cette demande tous les six mois pendant deux ans, et prouver à chaque étape les progrès réalisés en matière d'insertion. Entre deux passages en commission départementale, il s'agit d'accompagner les bénéficiaires dans l'ensemble de leur parcours, que ce soit en matière de logement, d'apprentissage du français, de scolarisation des enfants, d'emploi, d'insertion et de formation.

Dans ce « parcours du combattant » – ou, devrait-on dire, « de la combattante », car il concerne surtout des femmes –, deux points ont retenu mon attention, la mise à l'abri et le logement.

Dans les zones tendues, le dispositif d'hébergement d'urgence est saturé. Les pouvoirs publics recourent trop souvent aux nuitées hôtelières, solution inappropriée pour ce public particulièrement vulnérable. Plusieurs cas de disparitions de personnes, probablement rattrapées par leur réseau, m'ont été rapportés.

Une autre difficulté réside dans la durée trop courte de l'autorisation provisoire de séjour. La loi prévoit une durée minimale de six mois, malheureusement interprétée comme une durée ferme. Or, un titre de séjour de six mois ne permet pas d'accéder à un logement ni à une formation professionnalisante ou un emploi durable.

À cet égard, j'aurais souhaité entendre sur plusieurs points les réponses de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes. Je tiens d'ailleurs à vous présenter mes excuses pour la sollicitation très tardive qui lui a été adressée, qui ne lui a pas permis d'être présente aujourd'hui. C'est donc à vous, madame la ministre, que je soumettrai mes questions. Pouvez-vous vous assurer que l'ensemble des commissions départementales seront bien mises en place en 2018 ? J'ai conscience qu'elles nécessitent l'impulsion des préfets, et partant du ministère de l'Intérieur. Une relance pourrait être bienvenue à cet égard, par exemple par le biais d'une circulaire interministérielle.

Par ailleurs, est-il envisageable, madame la ministre, d'élaborer un socle commun pour les décisions des commissions, afin de résoudre les questions de droit au séjour, souvent sources de blocage ? Si une sorte de jurisprudence était établie, elle permettrait aux commissions de s'appuyer sur les décisions déjà prises dans des cas similaires, et faciliterait une équité dans le traitement des situations.

Madame la ministre, est-il prévu de doter les associations de moyens budgétaires suffisants pour que toutes celles et tous ceux qui font la démarche de sortir de la prostitution puissent être accompagnés – ce qui ne semble pas le cas aujourd'hui ? Enfin, peut-on veiller à ce que les associations agréées disposent de places suffisantes et suffisamment financées, en centres d'hébergement et de réinsertion sociale notamment ?

J'en viens à mon deuxième thème d'évaluation, l'aide à la réinsertion des migrants dans leur pays d'origine. Elle vise à permettre à des émigrés âgés, notamment ceux que l'on nomme les « Chibanis », de retourner vivre dans leur pays d'origine tout en bénéficiant d'une aide financière lorsque leur pension de retraite est particulièrement faible. Ce dispositif a un impact positif sur les dépenses publiques. Car, en s'engageant à vivre plus de six mois par an dans leur pays d'origine, ces personnes perdent le bénéfice des aides au logement et de l'allocation de solidarité pour les personnes âgées, dont le montant est bien supérieur à celui de l'aide à la réinsertion familiale et sociale (ARFS).

Le projet de loi de finances pour 2016 était particulièrement optimiste quant au nombre de bénéficiaires de l'ARFS, prévoyant un financement de 60 millions d'euros. Or, aucune dépense n'a été enregistrée en exécution en 2016 comme en 2017. Au cours de mes auditions, j'ai appris que la convention de gestion liant l'État et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), chargée d'examiner les demandes et de verser l'allocation, n'était toujours pas signée. Cela explique l'absence totale de dépense de l'État, puisque les frais ont été avancés par la Caisse des dépôts. Aujourd'hui, cette dernière n'avance plus les sommes. Certaines aides octroyées sont donc en attente de versement. Les dépenses ne sont cependant guère élevées, car seules 16 personnes ont pu bénéficier de l'ARFS.

Comment comprendre cet échec ? Tout d'abord, le nombre de demandes s'est avéré extrêmement faible, soit 32 au total. Nous pouvons y voir un manque d'information sur le dispositif, ou la crainte des personnes éligibles de perdre le bénéfice de la couverture maladie universelle. Le faible montant de l'ARFS joue également. L'aide atteint au maximum 6 600 euros par an, les autres ressources du demandeur étant déduites de ce montant maximal. Comparativement, une personne âgée sans ressource peut bénéficier de 9 600 euros par an avec l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), soit 45 % de plus que l'ARFS.

S'ajoutent à cela des conditions d'octroi drastiques, qui avaient déjà été critiquées par le défenseur des droits en 2016. Ainsi, l'aide est réservée aux personnes de plus de 65 ans vivant seules en foyer de travailleurs migrants ou en résidence sociale.

Enfin, les conditions de deuxième renouvellement de l'aide sont incongrues, demandant notamment une attestation de logement en foyer ou en résidence sociale, alors qu'il est impossible de réserver des places pour des durées courtes dans ces structures déjà saturées. Il semble d'ailleurs qu'aucune demande de deuxième renouvellement n'ait abouti. D'après les données transmises par Adoma, qui gère ces foyers, on dénombre, hors places réservées, 7 500 demandes d'hébergement par an pour 7 000 entrées.

Madame la ministre, le dispositif de l'ARFS a du sens. Il répond aux aspirations d'immigrés qui ont passé une partie importante de leur vie en France et souhaitent retourner dans leur pays d'origine pour leur retraite. Il répond de surcroît à l'enjeu de saturation des foyers et des résidences sociales en France. Qu'envisagez-vous pour que ce dispositif fonctionne ?

J'émets à ce titre plusieurs recommandations dans mon rapport : l'élargissement du champ des bénéficiaires aux personnes ne vivant pas en foyer, la simplification des conditions de deuxième renouvellement, ou encore un rapprochement du montant de l'aide avec celui de l'ASPA. Le dispositif pourrait également être rendu plus attractif si, au lieu d'une allocation mensuelle, un capital était versé en une ou plusieurs fois.

Enfin, madame la ministre, je vous interroge sur la date à laquelle la convention entre l'État et la Caisse des dépôts pourrait être signée.

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