Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 13h45
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Je dirai tout d'abord quelques mots des conditions de l'exercice 2017 de la mission Santé, solidarité, insertion et égalité des chances. La priorité du Gouvernement, à son arrivée, a été de remédier à des sous-budgétisations manifestes en loi de finances initiale 2017. C'était notamment le cas de deux grands dispositifs d'intervention de la mission : d'une part la prime d'activité sur le programme 304, d'autre part l'allocation aux adultes handicapés (AAH) sur le programme 157. Comme l'a noté la Cour des comptes dans son rapport d'exécution budgétaire sur la mission, la sous-budgétisation en loi de finances initiale était de l'ordre de 850 millions d'euros pour la prime d'activité et de 330 millions d'euros pour l'AAH. Pour y faire face, des ouvertures de crédits en fin de gestion sur ces deux programmes se sont élevées à un peu plus de 2 milliards d'euros en crédits de paiement.

J'aborderai à présent ces différents dispositifs, aides et prestations.

Commençons par l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens travailleurs migrants. Après un démarrage effectif du dispositif il y a deux ans, cette prestation est un échec. Alors que la population cible avait été évaluée à 35 000 personnes, vous avez évoqué 17 dossiers, madame la rapporteure, tandis que j'ai connaissance de 37 demandes reçues par la Caisse des dépôts au 9 mai 2018, et que l'on dénombre seulement 21 bénéficiaires.

Plusieurs éléments peuvent expliquer cette situation, au premier chef desquels des conditions d'attribution probablement inadaptées. Il faut ainsi être hébergé en foyer de travailleur migrant ou en résidence sociale pour bénéficier de la prestation, y compris lors du renouvellement. Ceci est parfaitement aberrant, j'en conviens, puisque l'objectif était justement de permettre aux personnes de quitter ces structures.

Par ailleurs, le montant de l'aide est peut-être en cause. Certains bénéficiaires potentiels préfèrent effectivement continuer à percevoir l'ASPA ou les aides au logement.

D'autres facteurs peuvent intervenir, comme la crainte de ne plus pouvoir obtenir facilement un titre de séjour pour revenir en France. Enfin, la communication sur le dispositif a probablement été insuffisante.

Il est inenvisageable de maintenir le statu quo. Derrière cette prestation, il y a évidemment des personnes qui souhaiteraient retourner dans leur pays. Il s'agit de travailleurs migrants, âgés, qui ont des ressources faibles et pourraient jouir d'une qualité de vie supérieure dans leur pays d'origine. Ils se trouvent bloqués et vieillissent dans des foyers, des hébergements ou des résidences qui ne sont pas absolument pas adaptés pour accueillir des personnes de leur âge.

Je vous remercie donc, madame la rapporteure spéciale, d'avoir fait la lumière sur ce dispositif. Nous devons impérativement le réinterroger collectivement pour préserver son objectif initial, qui était vertueux. Nous devons répondre à la réalité sociale que vivent ces personnes. Il nous faut tirer les conséquences de toutes ces observations pour adapter nos actions.

Je ne saurais me prononcer dès aujourd'hui sur les recommandations que vous me soumettez, et que je découvre ici. Je prendrai connaissance de votre rapport avec grand intérêt, et demanderai à mes services d'instruire vos propositions et de mener des travaux de refonte de cette prestation.

Concernant l'absence de signature, à ce jour, de la convention avec la Caisse des dépôts – chargée d'instruire les demandes et de liquider les prestations pour l'État –, sachez que les discussions ont avancé. La signature devrait intervenir au mois de juin, sous réserve de la confirmation de l'accord du ministère de l'action et des comptes publics. Une fois signée, cette convention contribuera effectivement à une meilleure gestion par la Caisse des dépôts des demandes en cours. Cependant, je doute que nous passions des 37 demandes actuelles à la cible de 35 000 par cette seule convention. Aussi avons-nous intérêt à repenser cette prestation dans son intégralité.

Vous m'avez par ailleurs interrogée sur l'aide financière à l'insertion sociale et professionnelle des femmes sortant de la prostitution. Cette question relève des compétences de Mme Schiappa, qui vous présente ses excuses pour ne pas être parmi nous. Ce sujet a été débattu lors du vote de la loi de finances 2018. Vous avez souhaité y revenir. Il me semble en effet intéressant de mettre en lumière cette politique.

La loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées date du 13 avril 2016, et la mise en oeuvre du dispositif a été assez lente. Les causes de ce délai sont diverses. Elles tiennent d'une part au temps d'élaboration des textes, dont le dernier date du 29 novembre 2017. D'autre part, elles sont inhérente s au dispositif lui-même, notamment au regard de l'installation des commissions départementales et de l'agrément des associations devant accompagner la sortie de la prostitution. Enfin, le choix de l'opérateur gestionnaire de l'aide a ajouté un délai supplémentaire. Il est maintenant identifié : il s'agira de la caisse centrale de la Mutuelle sociale agricole.

En 2017 ont été installées 32 commissions départementales, sous l'autorité des préfets, et il est prévu d'en créer 26 autres en 2018, ce qui représentera au total 58 commissions départementales à la fin de l'année. Par ailleurs, 78 associations ont été agréées pour la mise en oeuvre du parcours de sortie de la prostitution, dans 62 départements. À ce jour, seules 64 personnes sont inscrites dans un parcours de sortie de la prostitution et ont été autorisées à le suivre par décision préfectorale, et ce dans 16 départements. Enfin, 37 personnes bénéficiaient de l'aide financière à l'insertion sociale et professionnelle au 30 avril 2018.

Concernant les crédits, la consommation a été limitée à 50 000 euros en 2017. En 2018, elle atteint déjà 47 000 euros pour la période du 1er janvier au 30 avril. Ce dispositif semble donc monter en charge, certes doucement.

D'un point de vue prospectif, nous sommes prudents quant à l'appréciation du dispositif, compte tenu du caractère très récent de sa mise en oeuvre, et dans l'attente d'une évaluation plus précise. Une circulaire interministérielle, en lien avec le ministère de l'Intérieur, doit prochainement préciser les conditions d'ouverture des droits dans le cadre du parcours de sortie de la prostitution. À cet égard, nous partageons votre attention, madame la rapporteure, aux conditions de délivrance de l'autorisation provisoire de séjour. Elles sont actuellement hétérogènes. Alors que les personnes bénéficiaires de ces parcours doivent avoir accès à cette autorisation. La circulaire devrait contribuer à favoriser la poursuite du déploiement du dispositif. Elle sera de surcroît l'occasion de soutenir, auprès des préfets, le déploiement des commissions départementales sur tous les territoires non encore couverts.

La loi du 13 avril 2016 a prévu une évaluation du dispositif en 2018. Elle permettra de disposer d'un premier état des lieux, notamment sur son volet social. Cette évaluation sera menée tout à la fois par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l'Inspection générale de l'administration (IGA) et l'Inspection générale de la justice (IGJ). Les conclusions devraient en être rendues en octobre 2018, à temps pour le futur projet de loi de finances. Elles s'inscriront en complémentarité avec votre travail, madame la rapporteure spéciale. Sur la base de ce rapport d'inspection et de votre propre rapport, nous devrions pouvoir proposer une modification des procédures dans le projet de loi de finances 2019.

S'agissant des aides aux associations accompagnant les personnes sortant de la prostitution, nous avons prévu en 2018 une augmentation des crédits de 2,1 millions d'euros.

J'en viens à la prime d'activité. Nous avons mené avec le ministre de l'action et des comptes publics, M. Gérald Darmanin, un travail approfondi visant à mettre fin à la sous-budgétisation de cette prime. Cet effort a été récemment salué par la Cour des comptes. La situation actuelle est liée à une conjoncture économique favorable et au caractère récent de ce dispositif, dont le public cible s'est emparé en deux ans. Nous n'avons pas le recul nécessaire pour affiner les prévisions avec autant de précision que pour d'autres prestations. Dans un objectif de sincérité, nous avons retenu pour cette prime, en loi de finances initiale 2018, un montant fondé sur les prévisions les plus récentes dont nous disposions en provenance des caisses d'allocations familiales (CAF). En conséquence, le Gouvernement a majoré la ligne de la prime d'activité au cours de la discussion du projet de loi de finances initial, afin de tenir compte d'une augmentation du nombre prévisionnel de bénéficiaires. Il est encore trop tôt pour anticiper de façon fiable l'exécution de l'année. Nos dernières données montrent un risque d'insuffisance budgétaire de l'ordre de 200 millions d'euros. Il nous semble prématuré de nous prononcer dès à présent et attendons l'automne. Nous respecterons cependant les engagements présidentiels, puisque nous avons prévu d'augmenter la base forfaitaire de 20 euros au 1er octobre 2018. Nous sommes bien entendu très attentifs à la dynamique de cette dépense.

Pour finir, j'aborderai plus largement la question des aides sociales. Aujourd'hui, nous cherchons à rendre nos dispositifs d'aide les plus vertueux possible en termes d'accompagnement des personnes et de retour vers l'emploi. Nous avons en effet la conviction que l'emploi est la meilleure façon pour les personnes en difficulté de gagner en liberté, en autonomie et en émancipation.

Le débat actuel n'est donc pas budgétaire, mais porte sur l'efficience de l'action publique. Il s'agit de mettre en oeuvre des politiques publiques à destination des personnes les plus démunies afin qu'elles accèdent à des mécanismes de réinsertion – lesquels ont été négligés ces dernières années, pour des raisons que nous comprenons, dans les collectivités. Les dépenses de guichet, dispositifs monétaires, ont trop souvent été privilégiées au détriment de l'accompagnement des personnes.

La politique du Gouvernement consistera donc à réinterroger les aides existantes pour favoriser leur lisibilité et leur accessibilité. Nous savons en effet que le non-recours aux droits atteint 30 % pour certaines prestations. Nous devons clarifier ce maquis et nous assurer que l'argent que nous accordons aux aides aboutit réellement à un gain en autonomie et à un retour vers l'emploi.

Je souhaite que nous prenions de la distance, collectivement, face au débat permanent sur la proportion la plus opportune des aides monétaires et sur ce que certains qualifient d'« assistanat ». Les personnes qui se trouvent dans la grande pauvreté ne l'ont pas choisi. Ce sont majoritairement des femmes et des enfants, notamment des familles monoparentales. Elles n'ont guère accès, autour d'elles, à des dispositifs d'accompagnement propices à un retour vers l'emploi – crèches, transports… – et se voient parfois proposer des horaires de travail incompatibles avec leurs contraintes familiales. C'est donc toute la politique publique que nous devons revoir pour mieux accompagner les personnes les plus vulnérables. Ce n'est en rien une question purement budgétaire, quoi qu'ait pu en dire la presse.

Nous avons effectivement augmenté les crédits de l'action 17 du programme 304 destiné au fonds de soutien aux départements pour la prise en charge des mineurs non accompagnés. En 2017, les crédits consacrés par l'État au financement de la mise à l'abri de ces mineurs atteignaient 20 millions d'euros, montant de toute évidence insuffisant. Nous les avons portés à 132,1 millions d'euros dans la loi de finances 2018, en intégrant un financement exceptionnel de l'État au profit des conseils départementaux au titre de la « prise en charge partielle » – à savoir 30 % de la dépense réalisée par les départements pour la prise en charge de ces jeunes. Il s'agit là de dépenses d'aide sociale à l'enfance (ASE) que nous couvrons.

L'effort du gouvernement est donc notable, et les crédits destinés aux départements au titre de la prise en charge partielle de l'aide sociale à l'enfance pourront prochainement faire l'objet d'une délégation aux départements pour un montant total de 95 millions d'euros. Madame la rapporteure, vous me demandez si cet effort est suffisant. Il est, en tout état de cause, sept fois supérieur à celui qu'avait consenti l'État en 2017. Un travail de contractualisation est en cours entre l'État et les départements dans le cadre de la Conférence nationale des territoires. Tous ces sujets sont en discussion avec les départements. À ce stade, je ne peux pas aller plus loin sur les engagements que nous prenons.

Quant aux dépenses fiscales sur lesquelles vous m'interrogez, monsieur le président, elles se montent à 13,7 milliards d'euros, pour 19 milliards d'euros de crédits budgétaires. Dans sa note d'exécution budgétaire (NEB) 2017 relative à la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, la Cour des comptes formule quatre recommandations. Trois d'entre elles concernent des questions fiscales, leurs objectifs ou leurs performances, leur cohérence avec les dépenses d'intervention de l'État, des collectivités locales et des régimes sociaux, et enfin leur efficience. C'est donc nécessairement un sujet d'attention, qui devra donner lieu à des travaux interministériels entre mes services et ceux de Bercy.

De la même façon que nous sommes autorisés à questionner l'efficience des aides sociales au regard de l'objectif que nous nous sommes fixé, nous devons questionner en parallèle, et systématiquement, les aides fiscales. Ainsi, la Cour des comptes demande une évaluation de l'efficacité et de l'efficience des trois plus importantes dépenses fiscales de la mission, dont le coût représente 55 % du montant total des dépenses fiscales de la mission, à savoir 7,6 milliards d'euros. C'est une dépense qui concerne l'abattement de 10 % sur les pensions, notamment de retraite, pour l'impôt sur le revenu, l'exonération d'impôt sur le revenu des prestations sociales – allocations familiales, AAH, prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) – et l'exonération de taxe d'habitation en faveur des personnes âgées ou handicapées et de condition modeste. Nous l'évaluerons bien évidemment. Une réflexion sera menée sur l'articulation de l'exonération de la taxe d'habitation susmentionnée avec la mesure présidentielle de suppression progressive puis totale de cette imposition.

Toutes ces questions sont actuellement traitées conjointement entre Bercy et le ministère des solidarités et de la santé.

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