Intervention de Olivier Gaillard

Réunion du lundi 4 juin 2018 à 16h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur le rapport Défense : Budget opérationnel de la défense :

En matière de défense, l'exécution budgétaire doit être mesurée à l'aune de l'engagement de nos forces. Cet engagement, on le sait, est resté particulièrement intense en 2017. L'opération Barkhane, au Sahel et au Sahara, vise à parer à des menaces terroristes toujours aussi vives. Au Levant, l'opération Chammal a multiplié les frappes contre Daech malgré l'interruption de la projection du groupe aéronaval. Sur le plan intérieur enfin, la menace terroriste exige un niveau de vigilance particulièrement élevé. Il faut ajouter à ce tableau des cyberattaques d'un niveau jamais observé.

Dans ce contexte, la continuité de l'action de l'État était une priorité. Cette priorité, le président de la République et vous-même, madame la ministre, avez tenu à la préserver rigoureusement, y compris lorsque des choix budgétaires difficiles ont dû être faits pour sortir notre pays de la procédure pour déficit excessif.

Au total, et en excluant les surcoûts des opérations extérieures et des missions intérieures, sur lesquels je reviendrai, le taux de consommation des crédits approche les 100 %. Les crédits ouverts en loi de finances initiale s'élevaient en effet à 42,34 milliards d'euros, tandis que la consommation atteint 42,26 milliards.

Cette exécution s'est néanmoins accompagnée de nombreuses tensions en cours de gestion. Ainsi, le décret du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance a annulé 850 millions d'euros de crédits de paiement sur le programme 146 Équipement des forces. Il a ouvert parallèlement, au titre du financement interministériel des surcoûts OPEX et MISSINT, 643 millions d'euros sur le programme 178 Préparation et emploi des forces.

Le dégel, au cours de l'été, des crédits mis en réserve sur les programmes 144, 178 et 212, a permis de fluidifier la gestion. Je salue à cet égard la décision du ministère de l'action et des comptes publics de ramener le taux de la réserve de précaution hors titre 2 de 8 à 3 % à partir de 2018. Cet effort de sincérisation du budget est particulièrement appréciable concernant la mission Défense, qui connaît trop souvent d'importants soubresauts en fin de gestion.

La fin de l'exécution 2016 avait été particulièrement acrobatique, avec 672 millions de crédits annulés par décret d'avance sur le programme 146 début décembre, puis rétablis intégralement dans la loi de finances rectificative de fin d'année. En 2017, la fin de gestion aura été marquée par le dégel de 700 millions d'euros du programme 146. Grâce à votre ténacité, madame la ministre, mais aussi grâce à l'amélioration des recettes de l'État dans les derniers mois de 2017, il n'y aura pas eu de rupture grave dans la conduite des programmes d'armement et de hausse brutale du report de charges et des pénalités de retard.

Je relève aussi que 75 millions d'euros ont été ouverts en loi de finances rectificative de fin d'année au profit du programme 178. C'est la première fois qu'une telle ouverture fléchée vers les OPEX se fait en LFR.

Cependant, à 3,15 milliards d'euros, le report de charges reste trop élevé. Un effort doit être consenti dès l'exécution 2018 pour le faire baisser significativement afin de s'engager dans la nouvelle loi de programmation militaire de la manière la plus sincère possible.

J'en viens maintenant à la traduction opérationnelle de l'exécution budgétaire, telle que la traduisent les objectifs et les indicateurs du programme 178.

Le niveau de préparation opérationnelle et d'entraînement des forces est globalement en hausse par rapport à la réalisation 2016 : de 13 % pour l'activité terrestre, de 9 % pour l'activité aéroterrestre. En revanche, l'activité des bâtiments de surface est inférieure à la prévision, de – 6,3 %. Le bilan 2017 illustre les difficultés de la marine à régénérer ses matériels, avec des taux de disponibilité constatés généralement inférieurs aux prévisions. Pourriez-vous, madame la ministre, préciser quelles sont les difficultés rencontrées dans ce domaine et quelles mesures sont prises pour y remédier ?

De même, le taux de disponibilité des hélicoptères dans les trois armées reste un sujet de préoccupation majeur. Pourriez-vous nous en dire plus sur la nature des problèmes rencontrés, sur leur impact sur les opérations, ainsi que sur les mesures que vous prenez dans le cadre de la réforme du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique que vous avez engagée ?

Plus généralement, les coûts du MCO tels qu'ils sont calculés par l'indicateur 6.2 sont très sensiblement supérieurs aux cibles fixées dans le PLF : + 15 % pour le MCO terrestre, + 12 % pour le MCO naval et + 11 % pour le MCO aéronautique. Comment s'expliquent de tels écarts ? Qu'entendez-vous faire pour les réduire ?

Je veux maintenant aborder deux sujets d'analyse plus précis. Le premier a trait à la trajectoire des effectifs, le second à l'articulation des surcoûts OPEX et MISSINT avec les trajectoires pluriannuelles fixées par les lois de programmation des finances publiques et les lois de programmation militaires.

La LFI pour 2017 a ouvert 328 millions d'euros de crédits de titre II supplémentaires hors CAS Pensions par rapport à la LFI pour 2016. Cette augmentation résultait principalement de la création de 400 postes dans les domaines prioritaires, des mesures de consolidation de la condition du personnel et de l'augmentation de la rémunération des réservistes. En exécution, les dépenses de personnel hors CAS Pensions et OPEX-MISSINT ont finalement dégagé un excédent de 8,88 millions d'euros. Elles s'élèvent à 11,59 milliards d'euros, contre 11,42 milliards en exécution 2016.

La Cour des comptes souligne ici une réelle difficulté d'exécution. Après l'actualisation de la LPM en 2015 et les décisions du Conseil de défense du 6 avril 2016, la trajectoire des effectifs financés en titre 2 s'est inversée. Le plafond d'emplois a ainsi été rehaussé de 2 433 ETPT en prévision 2017 par rapport à 2016. Pourtant, souligne la Cour, « Cette nouvelle trajectoire peine […] à être réalisée, l'écart entre le plafond en LFI et l'exécution se creuse, – 6 017 ETPT en 2017 contre – 5 746 ETPT en 2016. » Ce sont les personnels militaires qui sont le plus touchés par cette sous-exécution, notamment les sous-officiers.

Cette situation appelle plusieurs questions. Tout d'abord, si, en 2017, la différence entre la prévision et l'exécution représente 2,2 % de l'effectif total prévu, la sous-exécution était déjà manifeste les années précédentes. Comment expliquez-vous cette tendance ? Quelles sont les pistes pour améliorer la sincérité de la prévision, en particulier dans l'objectif d'une bonne exécution de la trajectoire d'effectifs fixée par la prochaine LPM ?

Ensuite, quelle est l'ampleur des difficultés de recrutement auxquelles le ministère se heurte ? L'augmentation des effectifs en réalisation a été de 1 514 ETPT contre 2 433 prévus. L'objectif n'a donc été réalisé qu'à 62 %. Quels sont les domaines où cette sous-exécution risque de provoquer les plus grandes tensions ?

S'agissant des ouvriers de l'État, 1 375 sorties étaient prévues en 2017 contre 418 recrutements. Quelle a été l'exécution de ce schéma ? Pensez-vous qu'après sa réforme fin 2016, le statut des ouvriers de l'État puisse favoriser le recrutement de personnels qualifiés dans des domaines en tension ?

Enfin, j'observe que le versement au titre des contributions d'équilibre au CAS Pensions connaît une hausse importante de 289 millions d'euros, soit une augmentation de 3,7 %. Quelles sont les prévisions du ministère pour les années à venir ? La soutenabilité de la mission Défense n'est-elle pas menacée par l'accroissement continu de ce poste de dépenses ?

Mon dernier point concerne les surcoûts OPEX et missions intérieures et plus généralement l'articulation entre des dépenses par définition peu prévisibles et les trajectoires financières globales que l'État se doit de respecter.

Le surcoût global imputable aux OPEX et aux missions intérieures a atteint en 2017 un niveau inédit : 1,54 milliard d'euros. Ce montant est très supérieur à celui des années précédentes. Il dépasse de 343 millions d'euros, soit 28,6 %, le surcoût moyen constaté de 2011 à 2016.

Compte tenu des dotations budgétaires initiales de 450 millions d'euros pour les OPEX et de 41 millions d'euros pour les missions intérieures, ainsi que de remboursements provenant des organisations internationales à hauteur de 43 millions, le besoin de financement additionnel s'est élevé à 1 milliard d'euros. Je voudrais tout d'abord vous demander, madame la ministre, comment s'explique une hausse aussi importante.

Je rappelle toutefois que la sous-estimation budgétaire chronique des OPEX et missions intérieures – qui prend en 2017 une ampleur inégalée – devrait décroître fortement. Dès 2018, la provision a été portée à 650 millions d'euros contre 450 millions prévus en LPM. La nouvelle programmation 2019-2025 portera cette provision à 850 millions, puis à 1,1 milliard d'euros. Une question de fond se pose néanmoins. Elle concerne la traduction budgétaire des décisions du Conseil de défense et l'information du Parlement quant aux conséquences de ces décisions sur le budget de l'État.

Un Conseil de défense peut en effet acter des objectifs dont le financement est renvoyé aux lois de finances. Celui du 6 avril 2016 a programmé la reprise des recrutements, des mesures d'amélioration de la condition du personnel et des mesures de renfort capacitaire.

Or cette trajectoire n'a pas été inscrite dans une nouvelle actualisation de la LPM, si bien qu'un décalage s'est opéré entre la LPM et les prévisions répondant aux nouvelles données stratégiques et opérationnelles. Un autre décalage, plus important encore, s'est creusé entre la nouvelle trajectoire fixée par le Conseil de défense et la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

À tout le moins, il me semble que les incidences budgétaires des décisions prises en Conseil de défense devraient être transmises de façon détaillée aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, afin que celles-ci puissent débattre d'une éventuelle actualisation ou révision des programmations militaires et financières en cours. L'objectif, là encore, est de renforcer la sincérité budgétaire même lorsqu'il faut faire face à des évolutions brutales des contraintes sécuritaires et opérationnelles.

De même, des réunions entre votre ministère, votre cabinet, et les membres des commissions compétentes pourraient être institutionnalisées et rendues régulières. Leur objet serait de procéder à des revues d'exécution budgétaire en cours de gestion, ce qui compléterait vertueusement le mécanisme de contrôle de l'exécution inscrit dans la LPM. 

Madame la ministre, l'exécution du budget de la mission Défense en 2017 aura été riche en enseignements. La LPM 2019-2025 permettra de remédier à toutes sortes de dérives observées depuis de nombreuses années. Nous devons nous en féliciter. L'exécution 2018 sera cependant déterminante, car tout écart compromettrait l'entrée en programmation. Je vous invite donc à accentuer encore l'information du Parlement afin de renforcer une confiance dont nous avons tout à gagner.

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