En effet, monsieur le secrétaire d'État, ce sont les certificats d'économie d'énergie (C2E). C'est ce dispositif que j'ai choisi d'examiner dans le cadre de cette évaluation.
Pour ceux qui n'en connaissent pas exactement le fonctionnement, je rappelle que les C2E ont été créés par la loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique afin d'inciter les acteurs privés à réaliser des économies d'énergie. Nous avons ainsi choisi d'instaurer un mécanisme de marché, un peu comparable à celui des quotas d'émission de gaz à effet de serre, qui porte sur l'obligation de réaliser des économies d'énergie, cette obligation ayant été progressivement étendue à tous les fournisseurs.
Le mécanisme est le suivant : un volume d'économie d'énergie, mesuré en TWh sur une période donnée, est fixé par l'administration et s'impose aux obligés, les fournisseurs d'énergie. Ce dispositif est progressivement monté en puissance, les objectifs étant de plus en plus élevés : 54 TWh pour la première période, 2006-2009, 850 TWh pour la troisième période et 1 600 TWh pour la quatrième période, 2018-2020, qui vient de commencer. Les obligés sont libres dans le choix des opérations qu'ils souhaitent financer, mais ils sont tenus de respecter l'objectif fixé. Cette économie est matérialisée par l'attribution d'un certificat d'économie d'énergie. Les opérations sont standardisées par l'administration, qui élabore un catalogue de fiches qui expliquent ce qu'on peut réaliser. Le champ est vaste : résidentiel, industrie, transports, agriculture, tertiaire. À la fin de la période, les obligés doivent prouver qu'ils ont le nombre de C2E correspondant à leur montant d'obligations. Si tel n'est pas le cas, soit ils paient une pénalité, soit ils peuvent recourir à un marché de gré à gré, où ceux qui ont trop de C2E les vendent à ceux qui n'en ont pas assez. Un registre national est établi par une société privée, Powernext, qui gère également une bourse d'échange. Le prix du C2E est déterminé librement sur le marché, en deçà, bien entendu, du niveau de la pénalité – si le prix est trop élevé, mieux vaut payer la pénalité que d'acheter des C2E.
À côté des fournisseurs, sur lesquels repose l'obligation d'économie, différents acteurs, qu'on appellera éligibles – collectivités territoriales, bailleurs sociaux, sociétés d'économie mixte – peuvent intervenir dans le dispositif en réalisant des travaux ; ils revendent alors leurs C2E aux obligés. Quant aux particuliers, ils bénéficient d'une prime C2E, versée par les fournisseurs d'énergie pour financer certains travaux chez eux.
Trois grands acteurs de l'administration interviennent dans le dispositif : la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui le pilote en précisant ses modalités opérationnelles – elle fixe notamment le volume ; l'ADEME, qui joue le rôle d'opérateur du dispositif et fournit une expertise technique, notamment sur le gisement d'économies d'énergie réalisables et sur les fiches d'opérations standardisées ; enfin, au sein de la DGEC, le Pôle national des C2E, qui est en charge de l'instruction des demandes et de la délivrance des certificats.
Selon les chiffres de la DGEC, les C2E auraient permis d'économiser, entre 2006 et 2014, 612 TWh et contribuent à financer des travaux d'économie d'énergie à hauteur de 24 milliards d'euros, avec une économie annuelle pour les consommateurs de 2 milliards d'euros. Les travaux les plus souvent réalisés sont l'isolation des toitures et des murs et le remplacement des chaudières : plus d'un million de chaudières ont été remplacées grâce à ce dispositif. Le C2E est ainsi devenu le principal outil d'incitation privé à réaliser des économies d'énergie en France et un élément essentiel pour remplir nos obligations européennes en la matière.
Le seul petit bémol, c'est que tout cela repose sur un circuit essentiellement extrabudgétaire. De fait, peu d'argent public est dépensé : il correspond aux crédits du pôle national. Mais il est permis de s'interroger sur le statut de quasi-taxe du dispositif, puisque les opérateurs privés sont obligés de débourser de l'argent en vertu d'une décision de l'administration qui fixe un volume d'économies d'énergie. Les sommes en jeu ne sont pas minces : 3 milliards d'euros par an, soit 9 milliards sur la période. Le ministre peut du reste choisir d'augmenter les volumes : c'est ce qu'avait fait Ségolène Royal lorsqu'elle a créé les C2E précarité. Cela s'est évidemment traduit par une augmentation des dépenses pour les entreprises, mais également pour les particuliers : 50 % des C2E reposent sur le prix du carburant, à raison de trois à six centimes d'euro par litre. Le dispositif a donc un impact sur leur pouvoir d'achat.
Beaucoup d'autres questions se posent. Quelle doit être l'imputation comptable des C2E pour les obligés, quelle est leur nature financière ? Est-ce une action, une créance sur l'État, est-il possible de les thésauriser, de les échanger, de les revendre, de spéculer ? Quel est le régime applicable aux C2E en matière de TVA et d'impôt sur les sociétés ? Cette dernière question constitue un enjeu majeur : certains acteurs nous ont dit que l'administration fiscale a changé le mode d'imposition suite à l'évolution de la doctrine fiscale, ce qui a entraîné des rappels de TVA, parfois sur trois ans.
Les risques de spéculation ont évidemment attiré mon attention : plus il y a d'argent en jeu, plus il est tentant, compte tenu de la variabilité du prix, de thésauriser et de réaliser une culbute de un à six entre l'achat et la revente, pour ceux qui revendraient aujourd'hui des C2E achetés il y a deux ans.
L'administration ne semble pas inquiète, mais il faut noter que les contrôleurs sont peu nombreux pour ce dispositif, et on peut s'interroger sur les garanties contre les comportements de spéculation, mais également contre la fraude : le pôle national des C2E, en charge du contrôle a posteriori de la réalité des transactions ne compte qu'une douzaine de personnes et se borne pour l'essentiel à des contrôles documentaires : j'ai calculé qu'il y avait des milliers de dossiers, ce qui fait beaucoup de dossiers à contrôler par seconde…
L'ampleur de la fraude a d'ailleurs poussé TRACFIN à insister sur le risque que représentaient les C2E en la matière, et dans son rapport annuel d'activité 2016, l'agence pointe les failles du marché. Lors d'un de ses contrôles, sur seize opérations contrôlées, les seize se sont révélés frauduleuses et treize dossiers ont été transmis au parquet de Paris : des aigrefins ont compris que ce marché un peu opaque peut servir à autre chose que des économies d'énergie, et vu les moyens de contrôle, il est possible de passer entre les mailles du filet.
Un problème se pose donc : en voulant restreindre certaines opérations, on va évidemment limiter certaines économies d'énergie. Il est par exemple très difficile d'aller vérifier, maison par maison, que les économies prévues ont bien été réalisées. Il y a donc un risque de distorsion de la politique publique menée.
Une analyse géographique est aussi possible ; dans un volume global, chaque obligé fait ce qui est plus facile pour lui. D'un département à l'autre, d'une région à l'autre, il peut y avoir de grandes disparités dans la manière dont la politique est appliquée.
Je ne crois pas que les moyens de contrôle soient suffisants aujourd'hui, notamment parce que le dispositif échappe largement au contrôle parlementaire. On ne peut imaginer que la création, par décision d'un ministre, des C2E précarité ne se traduise à aucun moment par une sortie de fonds pour les entreprises, et qu'à aucun moment le Parlement ne puisse discuter de ce qui ressemble quand même de très près à une taxe. Notre assemblée apparaît dessaisie de pouvoirs au coeur de ses prérogatives constitutionnelles.
De manière plus compliquée, ces dispositifs s'ajoutent les uns aux autres. Par exemple, une même fenêtre peut être éligible au CITE et au C2E. Les dispositifs peuvent s'empiler, ce qui soulève des problèmes d'efficacité, et si l'on n'en voit pas la majeure partie, il est très difficile de piloter une politique dans ce domaine.
J'insiste donc sur la nécessité de développer une meilleure connaissance de l'efficacité du système. Dans son rapport 2016, la Cour des comptes soulignait que les évaluations de ce dispositif sont peu nombreuses et parcellaires. L'inspection générale des finances y a également consacré un rapport, et une meilleure évaluation du dispositif des C2E paraît d'autant plus indispensable au vu de la multiplication des différents dispositifs d'aide à la transition énergétique : le CITE, l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), la TVA à taux réduit, etc.
Je rappelle quelques critiques de l'UFC-Que Choisir : ce dispositif est largement méconnu, neuf Français sur dix ne le connaissent pas ou ne le comprennent pas. Le processus est trop complexe et ses résultats sont incertains : le consommateur doit commencer la procédure des C2E avant même d'avoir signé un devis, il doit aussi vérifier en amont l'éligibilité des équipements et des professionnels s'il veut avoir une chance de recevoir la prime. Les économies d'énergie sont calculées par rapport à une moyenne d'équipement et non pas équipement par équipement, Enfin, il existe des inégalités territoriales : le montant des primes versées aux particuliers va de 414 à 943 euros selon un article paru dans Le Parisien.
Voilà pourquoi il est nécessaire que le Parlement se demande comment pleinement jouer son rôle, en réintégrant le C2E, sans nier les spécificités du dispositif, mais de manière à pouvoir le piloter et avoir ainsi une vision transversale de tous les outils de la politique menée en matière d'efficacité énergétique.