Nous nous éloignons un peu de l'évaluation de l'exécution du budget de 2017 mais je vais tout de même tenter de répondre le plus largement possible aux questions que l'on vient de me poser.
Vous me permettrez d'avoir l'élégance de commencer par la question de Mme Sage, députée de Polynésie, puisque je suis rentré ce matin de l'île de La Réunion où j'ai passé trois jours pour traiter des questions d'énergie : c'est donc en témoignage de notre reconnaissance et de notre affection pour nos outre-mer que je vous réponds en premier, madame.
Vous me demandez d'améliorer la « visibilité » de ces territoires dans les documents budgétaires. Prenons garde cependant au fait que certains éléments relèvent du budget de la nation et il serait compliqué de les fragmenter en les territorialisant. Inversement, d'autres données peuvent peut-être vous être plus facilement communiquées : c'est typiquement le cas dans le domaine de l'énergie puisque nous sommes de plus en plus capables de les régionaliser, de les territorialiser.
Énergies renouvelables et transition énergétique en outre-mer : un retard considérable a été pris que nous devons évidemment rattraper. Vous m'avez interrogé sur l'application de la CSPE à Wallis-et-Futuna. Je suis pour l'instant le seul membre du Gouvernement à m'être rendu à Wallis-et-Futuna – dès le mois de septembre dernier. La production d'électricité à Wallis-et-Futuna, c'est 95 % de fioul lourd importé de Singapour – dans deux îles où on ne manque pas de soleil, c'est le moins qu'on puisse dire. Un investissement massif s'impose. Mais, contrairement à ce qu'on peut penser, ce n'est pas qu'un problème d'argent, mais de rapport au foncier, mais aussi de relations un peu particulières… De même à La Réunion : comme dans votre territoire, madame la députée, en avance sur le solaire mais, bizarrement, depuis quelques années, tout cela stagne un peu. Il faut donc prendre un nouveau départ.
À l'issue des travaux du groupe de travail sur le photovoltaïque – je répondrai au député Bricout dans un instant –, nous lancerons un plan gouvernemental pour le solaire prévoyant une quarantaine de mesures très techniques, très précises, peut-être pas « grand publiques » mais dont les acteurs de la filière, eux, connaissent le prix, connaissent l'importance. Ces mesures iront dans le sens que vous souhaitez, madame la députée, y compris dans les zones non interconnectées ; ce qui signifie, en clair : une capacité à écrire des appels d'offres, disons-le, plus régionalisés et davantage pluriannuels. Tous ceux qui connaissent bien l'énergie outre-mer comprendront le bond en avant que cela représente. J'insiste toutefois sur un point, madame la députée : il faudra progresser sur la question du foncier. Si l'on n'avance pas dans la plupart des territoires ultramarins, c'est en raison de la difficulté à identifier le foncier, soit au sol, soit en bâti.
J'en viens donc à l'application de la CSPE à Wallis-et-Futuna : oui, c'est fait, j'ai pu m'en rendre compte moi-même au mois de septembre. La convergence en cinq ans a déjà démarré et on continue de progresser sur le coût de l'électricité. Du reste, ce n'est plus l'électricité qui me soucie dans ce territoire, c'est l'accès à l'eau potable à Futuna, qui devient un sujet crucial car, malheureusement, nos concitoyens ne veulent pas payer l'eau… Alors qu'à Wallis on la paie ! Il est compliqué dans ces conditions d'avoir un service d'eau potable…
Pour ce qui est des énergies renouvelables, ce qui me permet de répondre en même temps au député Schellenberger, quel est le rapport entre l'argent investi, les moyens et les résultats observés ? Ce sont 1 300 à 1 500 mégawatts qu'on va raccorder en solaire en 2018. Ce chiffre n'a jamais été donné publiquement ; c'est pratiquement le double de celui de l'année dernière. Pour vous donner une petite idée, 1 300 à 1 500 mégawatts, c'est tout de même une tranche d'EPR… Comme avec une pompe, l'amorçage a été difficile, il a fallu du temps, mais quand le rythme est pris… C'est pourquoi il ne faut surtout pas freiner l'élan tant en ce qui concerne la rédaction des appels d'offres qu'en ce qui concerne l'identification du foncier avec les acteurs locaux – point important, pour le solaire, sur lequel j'entends insister.
Je suis allé deux fois à Saint-Martin depuis la crise. Là aussi, il faut en faire un territoire complètement nouveau en matière de performance énergétique ; au-delà de la prévention des risques naturels, il faut être capable, précisément, de mieux gérer l'eau, de mieux gérer les déchets, de mieux gérer l'énergie, ce qui appelle, comme sur votre territoire qui peut être aussi concerné, à une réflexion sur la performance énergétique, notamment autour de la climatisation – j'ai pu m'en rendre compte à La Réunion. Je souhaite vraiment qu'on relance l'innovation dans le domaine de la climatisation dite SWAC (Sea Water Air Conditioning), qui utilise la fraîcheur des eaux sous-marines. À ce propos, deux projets ont été lancés dans votre beau territoire l'un privé et l'autre, si ma mémoire est bonne, par le centre hospitalier universitaire (CHU), deux projets sur lesquels j'aimerais que nous avancions.
Voilà ce que je pouvais vous répondre, madame Sage : on pourrait d'ailleurs consacrer une audition tout entière à l'outre-mer.
Monsieur le député Bricout, vous m'avez posé bien des questions en deux minutes !
Libération des énergies renouvelables : vous êtes le premier à être aussi pessimiste sur la méthanisation, ce qui m'attriste puisque tous les acteurs de la filière se sont réjoui des mesures prises ; aussi êtes-vous peut-être mal informé. Pour ce qui est de la concertation avec les territoires, vos propos ne sont pas exacts puisque, avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), nous mettons précisément à disposition la capacité à définir des schémas départementaux. J'ai été président de département et maire ; si je l'étais encore, je n'apprécierais pas que le préfet me dise comment je dois faire mon schéma, ou alors on abolit la décentralisation mais je ne pense pas que ce soit votre objectif. Au sein du groupe de travail étaient présents, autour de la table, des représentants de l'Association des maires de France (AMF), de l'Assemblée des communautés de France (ADCF), de l'Assemblée des départements de France (ADF), de Régions de France, parfois, selon les humeurs du président Morin… Je ne peux pas faire beaucoup plus, mais je pense vraiment qu'on avance bien.
Pas de moyens ? Ce n'est pas vrai. Le grand plan d'investissements prévoit que de l'argent sera consacré à la méthanisation ; et les appels d'offres, pardon, c'est de l'argent ! Pris sur quelle ligne budgétaire ? Sur le compte d'affectation spéciale Transition énergétique. Quand on garantit un tarif d'achat en cogénération ou en gaz injecté au mégawatt, c'est bel et bien qu'on permet à une filière de s'en sortir, sans compter l'aide apportée par la Caisse des dépôts et consignations ou celle apportée par le monde bancaire dont nous avons invité les représentants autour de la table. Un méthaniseur, ça produit de l'énergie, de la valeur, et il faut l'amortir sur le long terme. Je me tiens à votre disposition pour en discuter mais c'est la première fois que je sens de votre part un peu d'inquiétude sur la méthanisation : cela m'attriste, je le répète. Vous étiez déjà inquiet il y a quelques mois à propos des territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) ; je vous avais rassuré lors des questions au Gouvernement, nous n'allons pas recommencer aujourd'hui…
Sur l'éolien, c'est parti : dans les cahiers des charges des appels d'offres figure la bonification pour le financement participatif.
Le chèque énergie : fait-il plus froid au Nord qu'au Sud ? Je ne me lancerai pas dans ce débat… Je vous rappelle toutefois, monsieur Bricout, parce que vous la souteniez et qu'il ne faut pas lui faire de peine, que le chèque énergie est le bébé de Mme Royal… Après l'avoir expérimenté dans quatre départements, nous l'avons généralisé parce que c'était une bonne idée. Nous avions prévu que 4 millions de foyers en bénéficieraient ; or, après le calcul de la direction générale des finances publiques (DGFIP) et des services de mon ministère, et là aussi c'est la première fois que ce chiffre vous est donné publiquement, ce sont plutôt de 3,6 millions de foyers qui y sont réellement éligibles. Je ne suis pas en mesure de vous dire de quelle manière les Français s'en emparent, puisque l'affaire se joue en ce moment même. Dans quelques mois, en revanche, nous pourrons savoir à l'achat de quel type d'énergie aura servi le chèque, dans quel département le dispositif a plutôt mieux fonctionné. J'ai pour ma part passé beaucoup de temps sur le terrain pour sensibiliser les travailleurs sociaux afin qu'un accompagnement soit prévu : on sait très bien qu'il y a des personnes en situation de décrochage social total au point de ne même plus lire leur courrier. Bref, il reste pas mal de mesures à prendre. J'ai identifié quelques départements dont, d'ailleurs, le Val-d'Oise, dans lesquels nous allons suivre au mois près l'application du chèque énergie. Je serai ravi de revenir devant vous pour procéder à une évaluation.
Pour ce qui est de votre dernière question, monsieur Bricout, en 2017, il se trouve que les derniers TEPCV signés par Mme Royal ont en effet été financés par des C2E. Quelque 200 collectivités locales en ont bénéficié pour environ 250 millions d'euros.
Madame Peyrol, vous m'avez interrogé sur l'évolution du CITE. Comment vous répondre pour l'année 2017, sachant que le CITE est un crédit d'impôt que nos concitoyens bien-aimés renseignent au moment de remplir leur déclaration d'impôt sur le revenu, dont le délai s'est officiellement clos il y a à peine quelques heures ? Nos services estiment le montant du CITE à environ 1,1 milliard d'euros, chiffre qui sera affiné en fonction précisément, des informations collectées grâce aux déclarations d'impôt. Vous me demandez ensuite si l'on peut évaluer le dispositif d'un point de vue territorial ; je ne vais pas m'y engager car je m'en voudrais de ne pas tenir ma parole, mais je vais interroger mes services. Une approche régionale sera en revanche, paradoxalement, plus facile avec la prime qu'avec le crédit d'impôt compte tenu du décalage dans le temps.
Votre question sur la transformation du CITE en prime, précisément, prévue pour 2019, m'éloigne de l'évaluation pour 2017… Cette prime, qui va parler à de nombreux Français, est très attendue puisque grâce à son instauration le recours à ce type d'outil va augmenter ; de plus, elle remettra d'équerre une échelle, si je puis dire : les travaux étant fonction de l'intensité et de l'efficacité énergétiques pour la planète – je note qu'à propos du C2E, nous avons parlé de tout sauf du climat et de la planète dans nos échanges. Or une véritable échelle, j'y reviendrai, est nécessaire pour le portefeuille des ménages, pour réaliser des économies d'énergie, pour augmenter le nombre de tonnes de dioxyde de carbone évitées – objectif lui aussi important. La transformation du CICE en prime, qui deviendra effective au début de l'année 2019, permettra une plus grande efficience et une plus grande visibilité. En effet, ces affaires de « bouquets de travaux », etc. n'étaient franchement pas évidentes. De plus, il fallait tout de même tordre le cou à quelques idées : oui, aménager des combles, c'est plus efficace pour faire de la performance énergétique, dans un logement que de refaire des portes ou des fenêtres. Je n'y peux rien, ce n'est pas moi qui le dis, mais tous ceux qui connaissent le métier – ainsi va la vie.
Il faudra se poser également des questions sur l'éco-PTZ, un beau dispositif mais peut-être insuffisamment connu et dont le taux de recours n'est sans doute pas suffisamment important. Je laisserai au Parlement le soin s'en occuper.
La deuxième partie de la question portait sur l'investissement privé – en clair, sur la structuration industrielle, économique en lien avec le ministère. Dès lors que l'une des attributions du ministère de la transition écologique et solidaire est l'énergie, ce dernier est de facto un grand ministère industriel, cela va sans dire. Il suffit de poser la question de l'énergie nucléaire pour le comprendre. Mais, justement, je ne prendrai pas l'exemple du nucléaire mais celui des assises de l'eau : il suffit de considérer le nombre d'emplois relevant de la filière de l'eau – que nous sommes en train de structurer avec le Conseil national de l'industrie, avec des comités stratégiques de filière.
La réponse la plus directe que je peux vous faire, madame la députée, c'est de rappeler le rôle du ministère dans la mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir (PIA), tout simplement. On voit bien que l'ADEME, d'une part, et le Commissariat général au développement durable (CGDD), de l'autre, sont les deux grands outils qui permettent de flécher des financements sur des projets précis. Exemples d'actualité : l'hydrogène, ou encore les projets « Territoires d'innovation de grande ambition » (TIGA), connus également dans les outre-mer, et qui, en général, ne sont jamais éloignés de la zone de gouvernance du ministère que je représente devant vous.
Madame la députée Sarah El Haïry, vous avez parlé de l'annualité budgétaire, ce qui rejoint une question de M. Schellenberger. Notre ministère ne partage pas la lecture de la Cour des comptes, tout simplement parce que le compte d'affectation spéciale a vocation à garantir un modèle qui fondamentalement découle du prix de l'électricité ; de ce fait, l'annualité prise en compte est forcément décalée d'un trimestre et va de février à mars, tout simplement parce qu'il faut bien constater la réalité de la charge avant de la compléter au profit de ceux qui bénéficient d'un tarif d'achat ; c'est aussi simple que cela. Je ne vois pas très bien comment il peut en être autrement. Je reste bien sûr à la disposition du Parlement sur tous les sujets, mais je voudrais surtout qu'on examine l'efficacité du fonctionnement du compte d'affectation spéciale et par là même des appels d'offres qui peuvent être lancés par la commission de régulation de l'énergie (CRE), en lien avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), dépendant de mon ministère ; cela ne fonctionne plutôt pas si mal.
En effet, monsieur le député Schellenberger, nous réfléchissons à un calcul prévisionnel ; mais il est compliqué de s'engager sur vingt ans. Le problème des éoliennes en mer, qui font l'actualité, rappelle à quel point il est absurde de figer un tarif d'achat à un moment donné alors que la filière est amenée à se développer, que la technologie avance et que les tarifs diminuent, ce qui est plutôt une bonne nouvelle : nous en étions à 200 euros le mégawatt, tarif figé dans les appels d'offres, tandis qu'aujourd'hui le coût du marché naturel européen est aux alentours de 80 euros par mégawatt, et même un peu moins puisqu'en mer du Nord, pour la première fois, on construit un parc d'éoliennes offshore sans un euro de subventions publiques. Qui va s'en plaindre ? Nous n'allons donc pas bouder notre plaisir quand l'offre rencontre la demande de manière naturelle. Tous ceux qui avançaient qu'il n'y aurait jamais de modèle économique rentable pour les énergies renouvelables en sont pour leurs frais : on voit bien que ces énergies tiennent quelques promesses. Et pour le coup, cela nous amènera à nous poser également la question du coût de l'électricité issue de l'atome dans le cadre de la PPE.
Dernière question de Mme El Haïry, sur les audits énergétiques éligibles : il est intéressant que des professionnels aident nos concitoyens à organiser leurs travaux, mais prenons le temps de regarder comment est appliqué le dispositif avant d'y toucher. J'entends parfois des parlementaires reprocher au Gouvernement d'apporter des modifications chaque année, ce qui nuit à leur lisibilité. Cela pose plus largement la question du service public du conseil en énergie dans les territoires. Nous y reviendrons sûrement à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2019.
Le temps m'est compté et je me hâte donc, monsieur le ministre-président. (Sourires.)
Monsieur le député Wulfranc, votre question n'a rien à voir avec l'évaluation budgétaire de 2017… Mais comme vous êtes Normand, je ne peux vous en vouloir.
L'hydroélectricité, nous en avons besoin pour réussir la transition énergétique car c'est une énergie non seulement propre mais pilotable ; or c'est suffisamment important en matière de sécurité de l'approvisionnement en électricité pour le rappeler. C'est également une énergie indispensable en matière d'emplois, en particulier dans des vallées ou dans des zones géographiques très précises. Il s'agissait pour nous de sortir du statu quo puisque, vous le savez, la Commission européenne pousse à la mise en concurrence. Et si nous voulons en finir avec le statu quo, c'est pour sécuriser les investissements : tout le monde s'abstenait d'investir dans l'hydroélectricité tant que le problème n'était pas réglé. Vous conviendrez avec moi que cette situation n'était pas satisfaisante pour entretenir la filière. Nous souhaitons clairement que l'ouverture à la concurrence se fasse dans le respect des collectivités territoriales, qui sont parfois actionnaires ou acteurs, via des sociétés d'économie mixte (SEM) ou d'autres outils, de ces ouvrages hydroélectriques. Et, pour être très direct, si une entreprise ou deux entreprises françaises étaient ciblées par la Commission européenne, je le dis publiquement, il n'est pas question que ces entreprises n'aient pas le droit demain de répondre à la mise en concurrence. Je ne peux pas en dire davantage, puisque les discussions continuent. En tout cas, notre attachement à l'hydroélectricité est total.
J'espère, monsieur le président, n'avoir oublié aucun élément de réponse : j'avais à coeur d'être évalué correctement…