Comment avons-nous abordé ce budget de transition que nous avons exécuté au cours d'un peu plus de la moitié de l'année dernière ?
Premièrement, nous avons trouvé une situation difficile, notamment du fait de la surconsommation au premier trimestre d'un volume de contrats aidés inscrits en loi de finances initiale, déjà en forte baisse et à 80 % consommés.
Deuxièmement, nous avons assuré une gestion rigoureuse au second semestre pour tenir les crédits disponibles sur l'exercice et commencer à engager nos premières réflexions en termes de politiques publiques en vue de changer de modèle et de faire des réformes structurelles.
Troisièmement, le contrat budgétaire pour 2018 est caractérisé par des choix forts : la sincérité des programmations, le recentrage des dispositifs d'insertion sur leur coeur de cible, une plus grande efficacité et la réallocation des moyens au bénéfice d'un grand plan de transformation des compétences.
Venons-en à l'exécution budgétaire 2017. Conformément aux règles de la comptabilité budgétaire, le montant des restes à payer constitue l'écart entre le montant plafond maximal de dépenses calculées au moment de l'engagement juridique de l'État et la réalité de ces dépenses, année par année. Dans un ministère où il y a beaucoup d'aides directes comme les aides à l'embauche dans les PME ou les prescriptions de contrats aidés, les restes à payer sont considérables par rapport à l'ensemble du budget ; qui plus est, ils posent un problème de méthode dans la mesure où ils n'intègrent pas le taux de chute et ne sont pas ajustés en continu en fonction de la vie du contrat et de l'aide. Autrement dit, chaque fois qu'un bénéficiaire rompt le contrat avant son terme, le reste à payer n'est pas pour autant annulé.
Le reste à payer est donc une vision théorique et maximale des engagements financiers qui ne se concrétisera en réalité jamais par des paiements équivalents. De ce fait, les volumes importants de contrats aidés et d'aides à l'emploi versées ces dernières années ont conduit à accroître mécaniquement les engagements ouverts pour ces dispositifs et le montant des restes à payer. Ainsi, la seule aide à l'embauche dans les PME a engendré en 2017 près de 3 milliards d'euros de restes à payer qui ne seront pas versés.
La valeur exacte des engagements de l'État devrait donc plutôt être regardée via les charges à payer et les engagements hors bilan, qui sont calculés en se fondant sur la constatation effective des durées des contrats et des aides. Ces engagements hors bilan, à la fin de l'année 2017, s'élèvent à 2,2 milliards d'euros pour la majorité des dispositifs généraux des restes à payer. On voit ainsi l'écart engendré par cette méthode.
C'est la raison pour laquelle mes services ont engagé, à ma demande, en lien avec les services du contrôle budgétaire, des travaux pour procéder à la clôture des engagements effectivement effectués antérieurement, parfois il y a plusieurs années. Ces engagements ne donneront plus lieu à des paiements parce que le dispositif est éteint ou que la durée maximale de l'aide a été atteinte. Cela permettra d'avoir une vision plus précise des engagements en cours, susceptibles de faire l'objet de décaissements au cours des prochains exercices. Il y a donc bien un problème de méthode que nous voudrions faire évoluer.
En ce qui concerne la réserve de précaution, notamment pour les aides aux postes de travailleurs handicapés, nous sommes d'accord sur le fait que ces dispositifs doivent faire et font effectivement l'objet d'une attention particulière. C'est pourquoi j'ai appliqué aux aides en faveur des entreprises adaptées un taux de mise en réserve de 2 %, inférieur au taux de 3 % fixé en loi de finances pour 2018. Cela a déjà permis de distribuer 590 aides au poste supplémentaires par rapport à ce qui avait été notifié en 2017. Je souhaite désormais obtenir rapidement la levée de cette réserve afin que les recrutements puissent être effectués à la hauteur de nos engagements. En 2018, 380 millions d'euros seront consacrés au financement des aides aux postes, soit 1 000 aides de plus que l'année dernière.
Les services à la personne, que vous avez évoqués, monsieur le président, sont un secteur très important. La mission Travail et emploi leur consacre trois exonérations de cotisations sociales, soit environ 2 milliards d'euros, et sept dépenses fiscales pour un montant total d'environ 4,4 milliards d'euros. L'absence ou l'insuffisance des indicateurs de performance dans ce domaine est patente ; ces indicateurs ne sont pas simples à mesurer dans le temps court. Il n'en reste pas moins que des évaluations doivent être conduites grâce au développement d'études économétriques ou statistiques plus sophistiquées. Plusieurs corps de contrôle y ont travaillé. Ces évaluations relèvent d'un travail interministériel que je compte développer car nous ne pouvons pas, à de tels montants, nous fonder sur des chiffres aussi approximatifs.
J'en viens aux indicateurs de Pôle emploi et à la prise en compte des effets de la conjoncture économique. L'indicateur 1.1 « Évolution du nombre de retours à l'emploi » présente un intérêt particulier car il couvre l'ensemble des dispositifs et des objectifs assignés au programme 102 et qu'il pèse pour la moitié des crédits de paiement consommés en 2017.
La performance de Pôle emploi étant appréciée « à conjoncture et structure de la demande d'emploi en fin de mois (DEFM) constante », cet indicateur permet bien d'identifier la performance de Pôle emploi en matière de retour à l'emploi, indépendamment des effets positifs ou négatifs du contexte macroéconomique. Cet indicateur a été inscrit dans la convention tripartite entre l'État, Pôle emploi et l'UNEDIC. Il nous permet de mesurer séparément, d'une part, le retour à l'emploi général, d'un point de vue macroéconomique, et, d'autre part, l'efficacité propre à Pôle emploi. Plus globalement, la prise en compte de la conjoncture économique au sein des indicateurs est un sujet prégnant – il l'est de plus en plus avec la nouvelle encourageante de la reprise de la croissance. Cependant, l'enjeu est de faire bénéficier aux publics les plus éloignés du marché du travail, pour lesquels la solidarité nationale doit pleinement et efficacement s'exercer, des effets favorables de la conjoncture. Ce n'est pas un mouvement mécanique : ce n'est pas parce qu'il y a croissance qu'elle est riche en emplois et encore moins qu'elle est inclusive. Il faut donc aller chercher ces points de croissance pour les transformer en emplois et en inclusion. C'est l'objet du plan d'investissement dans les compétences.
En ce qui concerne les contrats aidés et l'IAE, l'année 2018 a été marquée par une rupture – que nous avons entamée mi-2017 mais qui a été officialisée en 2018 : nous avons souhaité non seulement budgéter sincèrement la dépense des contrats aidés, à rebours des exercices précédents, mais aussi changer de paradigme et tenir compte de l'évaluation que nous avons faite du système précédent. Les contrats aidés, dans leur version de 2017 et des années précédentes, aboutissaient à l'embauche de nombreuses personnes certes en situation de précarité mais pour des emplois précaires et donc assortis de peu d'obligations d'accompagnement et de formation. De ce fait, les résultats, en termes d'insertion, sont très en deçà de ceux enregistrés dans le cadre des autres dispositifs : le taux de sortie dans l'insertion durable n'est que de 26 % alors que dans le cadre d'autres dispositifs relevant de l'insertion par l'économique, il est de plus de 50 %, voire de 60 % avec les mêmes publics, et parfois en plus grande difficulté encore.
Il n'y a donc pas de fatalité liée aux difficultés de ces publics : ce sont les systèmes qui sont plus ou moins efficaces. Notre devoir est effectivement de nous concentrer sur les dispositifs les plus efficaces. Ce changement de paradigme a été engagé à la suite du rapport de Jean-Marc Borello. Le nouveau paradigme repose sur le triptyque accompagnement-emploi-formation qui est celui du parcours emploi compétences. Il a fallu un petit temps d'adaptation pour bien s'approprier ce dispositif. Quels premiers enseignements peut-on tirer de ce changement de paradigme ? En bénéficient à hauteur de 75 % les publics les plus éloignés de l'emploi – plus que les contrats aidés dans leur version précédente –, 43 % parmi les demandeurs d'emploi de très longue durée, 13 % sont des résidents des quartiers prioritaires de la ville et près de 20 % sont allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Surtout, le taux de travailleurs handicapés bénéficiaires du dispositif a augmenté pour s'établir à 18 %, comme celui des seniors pour atteindre 38 %, dans le respect de l'enveloppe financière.
Nous avons évalué l'efficacité de l'insertion par l'économique. Sur certains territoires, tel ou tel dispositif fonctionne mieux en fonction de la nature du tissu associatif de l'insertion par l'économique. Nous avons créé en 2018 un fonds d'inclusion dans l'emploi – c'était une des propositions de Jean-Marc Borello – qui permet une fongibilité et une approche décloisonnée. Cela permet aussi, quand les préfets le jugent nécessaire, d'accorder une plus grande place à l'insertion par l'économique et une moindre place aux contrats aidés, le but étant d'assurer une meilleure insertion dans l'emploi des personnes les plus éloignées de l'emploi. Il ne faut pas simplement raisonner par dispositif, mais en termes d'efficacité globale et d'adaptation au terrain des politiques. Cette fongibilité permet aussi de soutenir des initiatives territoriales. C'est une démarche que nous souhaitons développer.
En ce qui concerne les exigences de formation requises de la part des organismes d'accueil, la transformation des contrats aidés en parcours emploi et compétences oblige les nouveaux employeurs – qui sont tous dans le domaine non lucratif puisque nous avons supprimé les contrats aidés dans le domaine lucratif, considérant qu'ils n'étaient pas nécessaires en période de croissance et de reprise de l'emploi – à offrir un accompagnement à la formation. Dans le cadre du PIC, nous accompagnons le secteur de l'insertion par l'économique et d'autres secteurs qui ont besoin de financements supplémentaires pour réaliser cette formation. Pour l'IAE, j'ai signé avec les réseaux de l'insertion par l'économique et les organismes paritaires collecteurs agréés un accord-cadre le 28 mai dernier qui réserve, dans le cadre du PIC, 200 millions d'euros sur cinq ans à la formation dans l'IAE. Les acteurs du secteur de l'insertion par l'économique reconnaissaient eux-mêmes qu'ils assuraient bien la mise en situation de travail et l'accompagnement personnalisé mais qu'ils n'étaient pas toujours en mesure d'assurer la montée en compétences permettant l'obtention d'un emploi plus durable. Nous avons désormais les moyens de le faire.
Quant au PIC lui-même, c'est un élément clé de notre stratégie. Dans le cadre de son volet régional, des conventions d'amorçage sont engagées entre l'État et seize régions. Douze conventions sont d'ores et déjà signées ; et si deux régions n'en ont pas signé, c'est qu'elles n'ont pas souhaité se soumettre aux exigences de l'État, qui ne voulait pas se substituer aux régions en matière d'accompagnement des personnes les plus éloignées de la qualification. Certaines régions avaient, dans le cadre de la décentralisation, décidé de réduire le nombre de formations pour les personnes les plus éloignées de la qualification ; pour contractualiser dans le cadre du PIC, nous leur avons demandé de remonter au niveau antérieur, ce que la plupart ont fait. Cette exigence nous permet d'être sûrs d'apporter un effort supplémentaire, bien ciblé sur le million de jeunes et le million de demandeurs d'emploi qui en ont le plus besoin. Le processus démarre bien avec les régions ; je suis donc confiante en ce domaine.
Par ailleurs, nous nous lançons des appels d'offres nationaux en matière d'innovation : le « 100 % Inclusion » que j'ai lancé à Strasbourg ce lundi, 10 000 formations numériques, 10 000 formations dans le domaine des métiers verts et d'autres actions à venir. Cette contribution financière supplémentaire de l'État transférée aux régions sera subordonnée à un engagement pluriannuel réciproque et mesurable entre l'État et les régions, conformément à la recommandation de la Cour des comptes. Concrètement, nous sommes en train de discuter, pour la période 2019-2022, des pactes pluriannuels qui permettront un flux annuel supplémentaire de 200 000 parcours de formation chaque année.
En ce qui concerne l'apprentissage, à l'occasion de la concertation sur la transformation de l'apprentissage, le système d'aide aux entreprises a été jugé peu lisible, fondé à la fois sur une prime à l'apprentissage, une aide au recrutement d'un apprenti – toutes deux financées par l'État mais distribuées par les régions –, une aide TPE jeune apprenti, financée et distribuée par l'État, et un crédit d'impôt. Bon nombre de petites et moyennes entreprises, qui sont pourtant la cible prioritaire, ne connaissent pas ces quatre aides ou n'y ont pas recours compte tenu de la complexité du système. Nous souhaitons donc, dans le cadre du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, fusionner ces aides dans un dispositif unique qui sera beaucoup plus incitatif, clair et cohérent pour les TPE-PME. Concrètement, cette aide concernera plus de 60 % des apprentissages ; toutes les entreprises de moins de 250 salariés recevront une aide de 6 000 euros la première année et de 3 000 euros la seconde si elles embauchent des jeunes en passe d'obtenir des diplômes de niveau baccalauréat professionnel ou en deçà. Qui plus est, elle sera automatiquement versée sans qu'il soit besoin de la demander : nous allons utiliser les données de la déclaration sociale nominative pour savoir qui y requiert et la distribuer automatiquement.
J'en viens au financement global de l'apprentissage et aux 6 milliards d'euros que vous avez évoqués. Nous souhaitons ouvrir l'apprentissage à beaucoup plus de jeunes dans le cadre de notre projet de loi. Le rapport de concertation a montré la complexité du système de financement : il faut savoir que pas moins de cinquante-sept types d'interlocuteurs interviennent dans la collecte de financements en matière d'alternance, de formation et d'apprentissage. Nous allons ramener ce chiffre à un seul collecteur, ce qui sera beaucoup plus simple pour les entreprises. Nous voulons aussi avoir un système plus lisible et plus compréhensible pour l'ensemble des acteurs. J'aurai l'occasion d'en parler lors de l'examen du projet de loi.
L'évaluation de la performance de l'apprentissage est mesurée à l'aide de deux indicateurs principaux. Le taux d'insertion dans l'emploi des apprentis, tout d'abord : c'est cet indicateur qui me permet de dire que 69 % des apprentis sont en emploi durable après sept mois à l'issue de leur formation. Le second indicateur est celui de la part des apprentis qui préparent un diplôme de niveau IV et V. Comme vous le savez, cet indicateur est en baisse depuis des années. L'un des objets de la réforme est de faire faire augmenter ce chiffre massivement et en particulier aux niveaux IV et V. Le but est de mesurer la performance globale du dispositif et le ciblage opéré sur les jeunes qui, parmi le 1,3 million d'entre eux qui ne sont ni en formation ni en emploi ni en études, pourraient avoir cette chance d'une voie de réussite.
Nous avons, à ce stade, souhaité maintenir ces indicateurs afin de conserver une stabilité dans la mesure de la performance. Nous nous sommes également fixé une cible ambitieuse à l'horizon 2020 de 70 % de taux d'insertion dans l'emploi – et plus tôt qu'au bout de sept mois. Une fois la réforme entrée en vigueur, nous voulons engager la réflexion pour définir d'autres indicateurs de résultat avec les régions et les partenaires sociaux au sein de France compétences, l'agence qui sera chargée de l'évaluation et de la qualité du développement des formations. Nous sommes tout à fait d'accord pour dire que ces deux indicateurs ne suffisent pas pour une réforme de cette ampleur. Nous aurons à les compléter.