Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

L'AFPA est effectivement devenue un EPIC en janvier 2017. Il est vrai que depuis des années, probablement depuis la décentralisation de la formation professionnelle, l'AFPA est en difficulté. Historiquement, l'AFPA est chargée de rendre des services d'intérêt général, mais on lui demande aussi d'intervenir sur le marché concurrentiel, sans qu'elle soit en mesure de proposer une offre spécifique susceptible de faire pendant à l'offre de formation privée. Quand l'AFPA a été créée après-guerre, le marché était dans une situation de vide immense : il fallait construire et reconstruire toutes les compétences pour le pays. Aujourd'hui, l'AFPA se trouve parmi 80 000 organismes de formation, dont 8 000 concurrents directs qui ont la formation pour activité principale. En conséquence de la loi de décentralisation, l'AFPA n'a plus de domaine réservé et se voit mise en concurrence avec les autres organismes formateurs. Elle subit donc les fluctuations du marché, ce à quoi sa structure n'est peut-être pas adaptée.

En fin d'année dernière, vous l'avez rappelé, nous avons apporté les crédits nécessaires pour que l'agence puisse terminer l'année. Nous avons aussi entamé une réflexion stratégique sur l'avenir. Je souhaite, d'ici à la fin de l'année, après le vote de la loi réformant la formation professionnelle, définir une feuille de route stratégique pluriannuelle avec l'AFPA, fixant des engagements et des missions claires à l'agence. On ne peut pas lui demander une chose et son contraire. Si l'on a besoin d'elle, cela ne veut pas dire qu'elle peut et doit tout faire. Et il y a des domaines où l'AFPA fait mieux, voire est la seule à pouvoir faire.

À propos des chiffres relatifs aux contrats aidés, je n'ai pas parlé d'insincérité au sens psychologique mais, de façon très factuelle, de l'insincérité budgétaire : quand on a déjà dépensé 80 % des crédits en milieu d'année et qu'on n'a pas budgété de dépenses pour la fin, on a quand même un problème...

S'agissant des sorties dans l'emploi, nous ne faisons pas la même lecture que vous des travaux de la DARES. Notre objectif n'est pas de savoir s'il y a un emploi court d'une semaine ou d'un mois à la sortie, mais de savoir s'il y a une sortie durable, autrement dit une entrée en qualification ou un emploi de six mois ou plus. Or, dans le cadre des contrats aidés, 26 % seulement des sorties ont été durables ; au total, effectivement, le taux de sortie est de 41 %, mais ce chiffre englobe tous les emplois à très court terme, ce qui ne correspond pas à l'objectif que nous recherchons.

Pour ce qui est des PEC que nous avons mis en place sur le socle légal des contrats aidés en début d'année – en nous appuyant sur le triptyque « mise en situation de travail-accompagnement-formation » –, un peu plus de 40 000 PEC ont été engagés, auxquels s'ajoutent 30 500 réservés, pour la rentrée scolaire, à l'accompagnement des élèves handicapés à l'école, et 15 000 fongibilisés en direction de l'insertion par l'économique. En dehors des parcours déjà réservés, 55 000 parcours sont engagés sur les 200 000 ouverts en loi de finances, sachant que le dispositif a démarré en janvier-février dernier. La consommation des crédits me semble donc normale.

En ce qui concerne les entrées en formation, le plan « 500 000 » a été mis en place de façon assez précipitée, une somme de 3 000 euros en moyenne ayant alors été prévue pour assurer les formations. Or, cette somme correspond à des formations courtes. Dans le cadre du PIC, nous prévoyons de proposer beaucoup plus de formations longues, à 5 000 voire à 7 000 ou 8 000 euros car les entreprises cherchent des compétences et n'en trouvent pas forcément. Encore une fois, lorsque la croissance n'était pas là et qu'on ne créait pas d'emplois, il était difficile de déterminer à quel niveau de qualification former les gens, mais maintenant que la demande est forte sur le marché, nous devons pouvoir financer des formations plus qualifiantes. Nous pensons donc obtenir de meilleurs résultats dans le cadre du PIC que dans celui du plan « 500 000 », dont le bilan n'est pas extraordinaire – c'est le moins qu'on puisse dire. Je ne dis pas qu'il ait été inutile – il est toujours utile de former les demandeurs d'emploi –, mais on peut aujourd'hui inscrire les formations dans la durée parce qu'on a créé 260 000 emplois nets l'année dernière et que depuis le premier trimestre 2018, la tendance est moins rapide, mais toujours en croissance. C'est là-dessus qu'il faut investir.

Cela renvoie à la question qui a été posée sur la pénurie d'emplois : effectivement, il y a pénurie d'emplois, mais il y a surtout une pénurie de compétences. Toutes les enquêtes montrent que la moitié des difficultés de recrutement sont liées à l'absence de compétences sur le marché. Ce ne sont pas les seules difficultés qui existent – la mobilité en est une autre – mais elles sont réelles. C'est pourquoi le PIC revêt une importance majeure.

La prime à l'embauche TPE PME a coûté un peu plus de 3,5 milliards d'euros. Le résultat, tel que mesuré par l'INSEE, n'est pas très satisfaisant. Le gouvernement précédent avait programmé la fin de la mesure pour juin 2017 ; nous ne l'avons pas réanimée. Nous n'avons fait qu'exécuter ce qui était déjà prévu, sans chercher à prolonger cette mesure ni à en réduire le champ.

Mais la question que vous posez est plus générale, puisqu'elle porte sur les indicateurs de performance pour l'aide à la décision publique. Je ne pense pas que la France soit le pays le mieux outillé au monde sur ce plan – c'est un euphémisme. Nous savons plutôt bien mesurer ex post : le ministère du travail effectue des mesures régulières des dispositifs. Nos simulations ex ante ne sont pas aussi robustes et ne tiennent pas compte de l'effet systémique, car elles sont isolées par dispositif. Or l'effet d'une aide à l'embauche ne sera pas le même si elle est mise en place en même temps qu'une aide à la formation, dans le cadre d'une évolution des règles de l'indemnisation du chômage, par exemple. La prévision est une science difficile, et elle n'est pas exacte, mais nous en avons besoin : j'ai donc donné pour feuille de route à la DARES, et au ministère en général, de travailler davantage sur l'évaluation.

C'est aussi parce que nous sommes mal outillés dans le champ de la formation que la création de l'agence France compétences est nécessaire. Pour caricaturer, nous ne pouvons pas déterminer grand-chose de plus que les taux d'insertion. Compte tenu des sommes engagées, argent public et mutualisé, l'évaluation est beaucoup trop rustique et nous manquons d'instruments pour effectuer les simulations dans les études d'impact. L'action de France compétences sera très importante pour évaluer, de façon beaucoup plus robuste, les effets et la qualité de la formation.

Vous m'avez interrogée sur les seniors dans les PEC. On pouvait en effet se demander dans quelle mesure les seniors ne seraient pas pénalisés par l'ajout d'un volet formation. Or ce n'est pas ce que nous observons depuis le début de l'année : ils représentent 38 % des bénéficiaires depuis début 2018, alors que leur part était de 36 % lorsque cette contrainte n'existait pas ; on peut donc en conclure qu'il n'y a pas eu d'effet négatif pour les plus de 50 ans. Les plus de 55 ans représentent 22,5 % des bénéficiaires, contre 20 % l'année dernière. Parmi les bénéficiaires de l'insertion par l'économique, leur part est de 17 %, en hausse de 1,5 point.

Mais je pense aussi que l'emploi des seniors ne doit pas passer uniquement par les contrats aidés. Beaucoup de personnes ici, même les plus jeunes, seront d'accord avec moi pour dire que la définition d'un senior – une personne âgée de plus de 45 ans – est absurde ; la réalité veut que l'on devienne senior de plus en plus tard, même si c'est inéluctable... La formation tout au long de la vie, la lutte contre l'obsolescence des compétences ont encore une grande importance lorsque l'on a encore deux, trois ou cinq ans à travailler. C'est l'objet du compte personnel de formation et des mesures contenues dans le projet de loi. Les seniors doivent pouvoir continuer à se former ; ils sont demandeurs et se dirigent volontiers vers ces dispositifs. Nous aurons l'occasion d'examiner d'autres mesures qui répondent à l'enjeu de l'emploi des seniors, suite aux conclusions du rapport d'avril 2018 du Conseil économique, social et environnemental.

Les périodes de mise en situation en milieu professionnel – PMSP – n'ont pas d'impact budgétaire sur les collectivités locales et les entreprises. Elles sont une réelle plus-value pour les parcours d'inclusion dans l'emploi ou la reconversion. L'outil est sécurisé juridiquement, souple dans son utilisation : il permet à un demandeur d'emploi de découvrir un métier, de confirmer un projet professionnel ou d'initier une démarche de recrutement en passant une ou deux semaines à découvrir un métier, à vérifier que le métier lui convient.

En 2017, 430 000 PMSP ont été mises en oeuvre contre 395 000 en 2016, soit une hausse de 9 %. Comme quoi, il y a des éléments positifs, y compris dans le passé... Pôle emploi et les missions locales assurent chacun la moitié des prescriptions. Les trois objectifs – découvrir, confirmer un projet et recruter – sont atteints dans les mêmes proportions. Un système de dérogation permet, à la marge, d'allonger la durée d'une PMSP ; mais dans la pratique, il est peu sollicité. Les PMSP demeurent inférieures à un mois, avec de bons résultats puisqu'elles permettent de rassurer à la fois le demandeur d'emploi et l'employeur, a fortiori lorsqu'il s'agit d'un demandeur d'emploi de longue durée. C'est donc un dispositif qui fonctionne bien et qui doit être prolongé.

Vous m'avez aussi interrogée sur les indicateurs de performance en politique du travail, notamment sur l'activité des DIRECCTE. La première de nos priorités est de développer davantage les contrôles de l'inspection du travail, peu nombreux par rapport à l'ampleur et à l'intensité de la fraude au travail détaché. La carte BTP s'est révélée une très bonne initiative et nous réfléchissons à la possibilité de l'étendre à d'autres secteurs. Dans le domaine de la lutte contre le travail illégal, notre deuxième priorité, nous réformons nos pratiques. Il est important de ne pas travailler de façon isolée, car nous faisons face à des filières organisées. L'inspection du travail, les services fiscaux, les URSSAF, la police, la gendarmerie le cas échéant, doivent travailler de concert pour plus d'efficacité. Nous avons décidé ensemble que 50 % de nos contrôles seraient communs, et les informations partagées.

La troisième priorité, c'est l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Aujourd'hui, il y a moins d'un contrôle par an par inspecteur du travail sur ce sujet ; pour accompagner la réforme, il faut que ces contrôles augmentent. Enfin, la santé et sécurité au travail demeurent un fondamental absolu : les contrôles de chantiers de désamiantage notamment sont en progression.

S'agissant des effectifs des DIRRECTE, les services déconcentrés de mon ministère prennent leur part de l'effort interministériel de réduction de l'emploi public. Cette réflexion aura toute sa place dans le cadre de l'action publique 2022, mais je crois que l'on ne peut pas raisonner simplement en effectifs. Certes, la baisse a été de 1,5 % en 2017, mais nous avons aussi travaillé sur l'adéquation entre les missions et les moyens, la redéfinition des missions, notamment les missions conjointes. Bien des choses ne peuvent pas être faites sans un certain recouvrement entre ministères ; c'est vrai aussi dans l'administration déconcentrée. Cela fait donc partie des réflexions en cours : je pense que des missions claires sont plus motivantes, plus valorisantes, et plus efficaces.

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