Monsieur le président, je vous remercie, ainsi que l'ensemble de vos collègues, d'avoir accepté de déplacer cette réunion. Il faut reconnaître que la semaine dernière était ô combien particulière...
Monsieur le rapporteur spécial, je vais essayer de répondre à cette question qui est simple, mais dont la réponse l'est peut-être beaucoup moins, à savoir : l'État est-il capable de suivre la production de logement social à l'échelle d'une région, à l'échelle du territoire, et en fin de compte, d'en faire une véritable politique publique ?
Vous avez axé votre discours sur cette question fort pertinente. Permettez-moi tout d'abord de rappeler quelques éléments susceptibles d'éclairer nos débats.
Vous le savez, l'État joue un rôle de financeur majeur du logement social : aides indirectes (TVA réduite, exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), autres aides de taux), mais aussi opérations directes comme sa participation au FNAP.
Mais, vous le savez aussi, depuis 2016, l'élaboration et la programmation des appuis à la construction du logement social ne sont plus uniquement dans les mains de l'État : ils se font maintenant dans le cadre institutionnel du FNAP, un opérateur rattaché au programme 135 Développement et amélioration de l'offre de logement qui finance le logement social, et cofinancé par les bailleurs sociaux, par Action Logement et par l'État. Le conseil d'administration du FNAP comporte d'ailleurs un tiers de représentants de l'État, un tiers de représentants des collectivités et un tiers de représentants des bailleurs-associations.
Aujourd'hui, l'État joue évidemment un rôle éminent au sein du FNAP. Toute notre politique consistant désormais à passer de l'hébergement d'urgence au « logement d'abord », celui-ci s'est engagé à financer 40 000 prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI), qui concernent les logements les plus sociaux. Nous menons des discussions au sein du FNAP, pour nous assurer que les soutiens financiers pourront être apportés à cette production de PLAI dans l'ensemble des zones concernées.
Pour autant, aujourd'hui, la répartition se fait dans le cadre du FNAP et de sa gouvernance tripartite. Il s'agit d'une répartition, entre les régions, des objectifs de logements sociaux par produit. Ensuite, ces objectifs déclinés par région sont renvoyés dans chacun des départements. C'est à mes yeux un vrai changement, qui s'est opéré depuis la fin de l'année 2016, et qui a des avantages et des conséquences.
Cette gestion tripartite du FNAP et cette répartition au niveau de la région constituent un avantage. Mais alors, et je réponds par anticipation à l'une de vos questions qui est fort pertinente, quid de la convergence entre ceux qui répartissent les agréments et ceux qui opèrent les crédits de paiement ? Aujourd'hui, la répartition des agréments se fait au niveau des régions, et l'octroi des agréments au niveau des départements. Et, en fin d'année, tout ce que les départements n'ont pas agréé est à nouveau réparti par les régions. Cet élément de contexte me paraît important pour comprendre comment ministres et ministères peuvent assurer le suivi de la production de logement social.
Maintenant, monsieur le rapporteur spécial, quels indicateurs utilise-t-on pour suivre ce logement social ?
Aujourd'hui, trois principaux indicateurs permettent de suivre notre politique du logement social, sachant que la production de logement social a été extrêmement élevée en 2016, très bonne mais moins élevée en 2017, et que, pour 2018, les chiffres ne sont pas encore disponibles.
Le premier indicateur est celui de la fluidité du parc au sein du logement social. Le deuxième est le pourcentage de logements sociaux agréés en fonction des zones. Le troisième est la part des personnes auxquelles une offre adaptée a été faite dans le cadre du droit au logement opposable (DALO), qui est pour nous particulièrement important, d'autant que les principales distributions, les principaux octrois au DALO sont faits essentiellement sur le contingent des préfets. Mais vous avez raison : le niveau de production du logement social n'y figure pas.
Certains diront qu'à partir du moment où l'on mesure la fluidité du parc social, on prend en compte la production de logements sociaux, dans la mesure où la fluidité est strictement liée au rapport entre l'offre et la demande. Ainsi, plus l'offre est importante, plus le système est fluide. Il n'en reste pas moins que la question que vous posez est extrêmement pertinente puisque la production de logement social n'est effectivement pas prise en compte en tant que telle.
Pour ma part, je pense qu'il faut évoluer et je trouverais très bien que l'on puisse disposer d'un tel indicateur. Je réponds ainsi clairement à votre question.
Cela étant dit, vous évoquez dans votre rapport un taux d'échec qui serait extrêmement élevé – entre le nombre d'agréments et le nombre de réalisations. Nos évaluations sont moindres. Ce sont celles qui ont pu être opérées par nos services, et au regard de nos systèmes de gestion, sur le stock et sur le flux.
Selon nos estimations, il n'y aurait pas 30 % de différence entre le nombre de réalisations perçues et le nombre d'agréments ; on serait plutôt autour de 5 %. Tous ces chiffres ne font pas foi, et ils peuvent être contestés. Cela étant, je peux avancer deux arguments. D'abord, il peut se passer beaucoup de temps entre le moment où l'agrément est donné, et le moment où la réalisation est achevée ; et évidemment, au bout de dix ans, le pourcentage est plus près de 5 % que de 30 %. Ensuite, nous prenons en compte certains types de logements, que vous n'avez peut-être pas pris en compte vous-même ; je pense aux foyers, et à certaines acquisitions-améliorations.
Maintenant, monsieur le rapporteur spécial, vous posez un certain nombre de questions très précises, auxquelles je vais essayer de répondre.
Premièrement, faut-il mutualiser les services de paiement ? Autrement dit, à partir du moment où les agréments sont définis dans un cadre de répartition au niveau des régions, mais octroyés au niveau des départements, faut-il faire en sorte que les crédits de paiement soient gérés au niveau régional et non plus au niveau départemental ?
L'idée est louable, mais je ne suis pas convaincu qu'elle soit réalisable. Elle le serait si nos systèmes d'information pouvaient suivre au jour le jour l'ensemble de l'évolution de la construction, projet par projet. Il suffirait alors de mutualiser l'ensemble de ces programmes au niveau des services informatiques et, automatiquement, le crédit de paiement serait délivré. Mais aujourd'hui, très clairement, on n'en a pas la capacité. – ce sera peut-être un jour le cas.
Voilà pourquoi je pense que les crédits de paiement doivent être gérés au plus proche du territoire, c'est-à-dire à l'échelon départemental, les bailleurs sociaux allant voir soit les directions départementales des territoires (DDT), soit les collectivités, en cas de délégation des aides à la pierre, pour demander que les crédits de paiement soient engagés, une fois la réalisation achevée.
Deuxièmement, comment est-il possible d'impliquer davantage les services de l'État dans le renseignement de ces systèmes d'information ?
Aujourd'hui, nous disposons du SPLS, système d'information ouvert à partir de 2014, mais effectif à partir de 2016-2017, qui vise à traiter les flux, et pas uniquement les stocks – ce que permettait déjà le répertoire du parc locatif social, ou système RPLS.
Le SPLS peut être géré à la fois par les bailleurs et par les gestionnaires, les gestionnaires étant soit les services de l'État, soit les collectivités en fonction de la délégation ou non des aides à la pierre. Mais vous avez mille fois raison : aujourd'hui, ce système d'information n'est pas suffisamment renseigné et utilisé. Nous avons un énorme travail à faire en ce sens. Cela étant, il faut laisser sa chance au produit : le système est encore assez récent, et pour certains bailleurs, son utilisation reste facultative.
Le constat que vous faites est utile : il met la lumière sur le pilotage très clair, très pragmatique de notre politique publique, qui ne doit pas se faire uniquement par le chiffre, mais à toutes les étapes de la construction afin de déterminer ce qui marche ou pas, en fonction des échelons territoriaux.
En conclusion, nous partageons le constat. Nous avons une excuse : ces systèmes d'information sont récents. Nous avons une obligation : faire en sorte qu'ils se déploient. Vous pouvez compter sur moi. C'était le sens du décret de mai 2017, qui a instauré l'obligation pour les bailleurs et, au-delà, pour tous les services instructeurs, d'opérer formellement la clôture des opérations. Cela a permis de donner de la visibilité et de « nettoyer » l'ensemble des opérations qui montraient une certaine inertie.
Troisièmement, vous m'avez demandé si nous envisagions de faire en sorte que l'ensemble des bailleurs de chaque région soit correctement formés au SPLS afin d'assurer son bon fonctionnement ? C'est clairement notre ambition, et c'est ce que nous sommes en train de faire.
Vous avez très certainement raison, il nous faut redoubler d'efforts pour y parvenir, et je suis sûr que mes services ont bien compris le message qui est dans votre rapport. Aujourd'hui, ils organisent des formations nationales à destination de binômes régionaux composés du représentant des associations régionales des organismes d'HLM et du représentant régional de l'État en charge de la thématique de programmation. Des formations sont également organisées par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Au-delà, on déploie des formations, des tutoriels, etc. Mais il faut aller plus loin, et il serait très intéressant que l'on puisse, au fur et à mesure de l'année, et qui plus est l'année prochaine, vous tenir régulièrement au courant de ces formations.
Quatrièmement, faut-il que ce système d'information intègre la production et la réhabilitation du logement du parc social ? Une partie de la réponse vous est déjà apportée, dans la mesure où les acquisitions-améliorations sont déjà comptées dans le système. En revanche, les conventions sans travaux et les réhabilitations sans subvention n'y sont pas. Or, vous avez raison : cela fait partie du parc. C'est une des pistes d'amélioration qu'il nous faudra emprunter.
Enfin, les délais de production et les projets effectivement mis en service doivent-ils être pris en compte ? J'y ai déjà répondu : je pense que oui.
Les trois critères que j'évoquais n'incluent pas cette production, et la fluidité n'est pas suffisante. La proposition que vous faites va vraiment dans le bon sens, et je m'engage à la soutenir. Nous devons rechercher l'efficacité, tout en étant conscients que le dispositif est assez récent puisqu'il ne date que de 2016. La production de logement social constituerait effectivement un bon indicateur. On ne l'aura pas en 2018, mais il faudra y songer pour 2019.
Enfin, monsieur le rapporteur spécial, vous m'avez interrogé sur le programme 177, en évoquant le dépassement des crédits qui a conduit à des mesures de régulation en 2017, et à un rebasage fin 2017 pour 2018. Mais qu'en sera-t-il en 2018 ?
Effectivement, en 2017, on a dû passer par deux décrets d'avance ; au total, 270 millions d'euros supplémentaires ont été nécessaires. Le budget 2017 fait clairement partie des « budgets insincères » – on savait en chaque début d'année que nous n'arriverions pas à atteindre ces budgets. Il y avait un certain paradoxe à agir ainsi, dans la mesure où nous mettions nous-mêmes en danger l'ensemble des associations qui, au début de chaque année, allaient réserver des places d'hébergement, des chambres d'hôtel et autres, s'engager sur leur financement, alors qu'elles n'avaient pas les crédits. Quand vous êtes un chef d'entreprise, vous n'avez pas le droit de le faire. Or, nous avions nous-mêmes créé un système dans lequel nous incitions les associations à le faire, ce qui était absolument insoutenable. D'où ce rebasage de 200 millions d'euros en loi de finances initiale (LFI) pour 2018.
Cela sera-t-il suffisant ? Faudra-t-il prendre un nouveau décret d'avance cette année ? Mon sentiment est que ce ne sera pas suffisant. En effet, nous avons dû faire face cet hiver face à trois périodes de froid extrême, qui nous ont obligés à ouvrir de très nombreuses places d'hébergement. Par la suite, nous avons pérennisé 5 000 places, ce qui représente là encore un effort important. Ma réponse sera donc claire : même si je ne peux pas en connaître le montant, je pense qu'il faudra, en dépit de ce rebasage, refaire un décret d'avance.
Je terminerai, monsieur le président, par vos questions, qui concernent le FNAP et les dépenses fiscales.
Pendant très longtemps, le FNAP a fonctionné de manière paritaire entre les bailleurs et l'État. Pour la première fois, ce n'est plus le cas, d'autant que nous avons fait entrer, dans le financement de 2018, Action Logement – un peu plus de 50 millions d'Action Logement, et un peu moins de 40 millions de financement de l'État. Mais peu importe qui finance. L'important est qu'en fin de compte, le FNAP ait gardé la même ambition en 2018 qu'en 2017 – le montant est le même.
Mais j'irai plus loin : je suis convaincu que le plus grand problème du logement social en France tient au fait qu'il y a quarante ans, on a décidé d'arrêter l'aide à la construction pour faire uniquement de la subvention à la personne. Aujourd'hui, notre objectif est d'inverser cette tendance. De fait, tout l'enjeu de notre réforme du logement social est d'améliorer significativement les « poches » d'aides à la construction.
Qu'avons-nous à notre disposition ? Le FNAP et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui est le financeur du logement social. Or, ces cinq dernières années, et c'est un des plus grands scandales, les homologues de nos bailleurs sociaux, notamment européens et en particulier allemands, se sont financés à des taux incroyablement faibles – produits par la BCE avec du quantitative easing (QE) – alors que nos propres bailleurs sociaux se finançaient à des taux très élevés. La question est donc de savoir comment améliorer significativement les conditions de financement des bailleurs sociaux. C'est tout le travail que l'on a fait avec la Caisse des dépôts, qui a apporté récemment 10 milliards d'euros.
En conclusion, je ne lâcherai rien sur l'aide à la construction, qui est pour moi de bonne politique. Tout ne vient pas du budget : beaucoup vient aussi de la CDC. Nous y avons déjà travaillé, mais il faut aller le plus loin possible.
Les dépenses fiscales représentent plus de 13 milliards, un tiers provenant de la TVA-rénovation, 25 % d'aides aux logements sociaux, et 11 % de divers dispositifs. Fin 2017, nous nous sommes interrogés sur l'intérêt de prolonger les dispositifs prêt à taux zéro (PTZ) et Pinel. Vous le savez, nous les avons très largement reconduits, en leur donnant de la lisibilité, en recentrant le Pinel sur les zones tendues, et en différenciant, dans le PTZ, les zones tendues et les zones détendues dans le neuf.
Ces dispositifs sont utiles, en particulier dans les périodes où les taux sont faibles net où la pression sur les prix est donc importante. Si vous voulez soutenir l'acquisition, il faut avoir de tels dispositifs d'accompagnement.
Mais il ne faut pas se leurrer. Ces dispositifs, dont nous sommes devenus dépendants, concourent eux aussi à faire augmenter les prix, dans la mesure où ils font diminuer encore plus les taux. Pour autant, nous en avons besoin pour soutenir l'acquisition. Donc, tant que les taux restent faibles, je considère qu'il faut les maintenir.
Reste la gestion de ces dispositifs. La grosse difficulté réside dans le fait que l'on raisonne par zonage, la France étant répartie en trois ou quatre zones. Or, une zone B2 dans le Haut-Rhin n'a rien à voir avec une zone B2 dans la Marne, qui elle-même n'a rien à voir avec une zone B2 en Normandie, etc. Voilà pourquoi je pense que pour aller dans le sens de l'histoire, il faut essayer de territorialiser ces dispositifs fiscaux, même si c'est très compliqué.