Madame la ministre, merci pour cette présentation très complète qui permet d'aborder directement le fond des choses et le vif des sujets.
Avec cette audition, le Parlement entame très concrètement et dans une forme assez solennelle, ici en salle Lamartine, le débat sur la réforme des institutions. C'est un moment extrêmement important puisqu'il est question de modifier la Constitution, la norme fondamentale, celle qui est au sommet de notre ordre juridique. Nous nous engageons dans cette voie résolument pour donner une portée concrète aux engagements pris devant les Français et adapter notre cadre juridique aux exigences de notre époque. Dans le même temps, nous avons conscience, comme l'a rappelé le Conseil d'État, que, d'une part, la Constitution a vocation à s'inscrire dans la longue durée et que, par conséquent, il convient de s'assurer que les modifications qui lui sont apportées ne sont pas liées à des circonstances particulières ou à des considérations contingentes qui l'exposeraient au risque d'être rapidement remises en cause, et que, d'autre part, la plume du constituant doit être concise et précise.
Nous aurons l'occasion, bien sûr, de débattre de chacune des mesures que vous nous proposez, mais à ce stade je voudrais me limiter à trois questions.
La première a trait à la procédure. S'agissant de la Constitution, la procédure est en soi un enjeu essentiel. La révision de la Constitution obéit aux règles fixées par son article 89 qui prévoit que le texte doit faire l'objet d'un vote conforme de l'Assemblée nationale et du Sénat, et qu'à l'issue de ce vote conforme, le Président de la République peut le soumettre au référendum, au peuple souverain, ou au Congrès réuni à Versailles, où il doit alors faire l'objet d'un vote à la majorité des trois cinquièmes. Si l'objectif est d'abord de pouvoir aboutir par la voie du Congrès, pouvez-vous nous dire si le Gouvernement envisagerait de recourir au référendum dans le cas où, bien que le texte ait pu être voté dans des termes identiques, la majorité des deux chambres n'apparaissait pas comme suffisante ?
La deuxième question a trait aux textes d'application qui devront être votés une fois que cette réforme constitutionnelle aura été adoptée – vous venez, à la fin de votre propos, d'y faire allusion. En particulier, de nombreuses lois organiques seront nécessaires puisque des renvois sont prévus aux articles 1, 4, 6, 7, 13, 14 et 15. Il y a probablement de quoi nous occuper sur une bonne partie de la législature et il va de soi que nous allons avoir besoin, pour débattre dans la clarté, sinon du texte de ces lois organiques, au moins d'indications quant à leur contenu et au calendrier que vous envisagez. Merci de nous dire quels éléments vous pouvez nous apporter à ce stade sur la prévisibilité des travaux que nous allons conduire ensemble.
Ma troisième et dernière série de questions porte sur le Parlement.
Le Parlement, c'est le coeur de notre démocratie représentative et nous savons tous qu'il pourrait fonctionner mieux, même s'il n'est pas à lui seul responsable des maux dont on aime parfois l'accabler. Je crois qu'il est temps de prendre en compte le fait qu'un Parlement moderne, c'est aussi un Parlement libre qui a la capacité de mieux organiser son travail et d'en fixer lui-même les modalités, dans le respect, évidemment, de l'équilibre des pouvoirs et donc des prérogatives du Gouvernement. De ce point de vue, il me semble que trois orientations mériteront d'être débattues.
Dans notre vie parlementaire, comme dans la vie tout court, on a besoin de savoir où l'on va. Anticiper est la condition d'un travail bien fait. Un ordre du jour connu sur quatre semaines seulement, ce n'est pas suffisant. Or tel est pourtant l'horizon dont nous disposons pour l'organisation de nos travaux. Il conviendrait que le Gouvernement puisse informer le Parlement d'un calendrier prévisionnel des textes dont il souhaite l'inscription à l'ordre du jour, par exemple, idéalement, à l'échelle d'une session. Pour s'assurer de la possibilité de l'effectivité d'une telle mesure, il faudrait sans doute l'inscrire dans la Constitution, et j'aimerais connaître votre avis sur cette nécessité comme sur cette proposition.
Nous avons besoin de surcroît, puisqu'on parle toujours de l'équilibre des pouvoirs, de travailler en égalité. Les amendements parlementaires sont soumis à un délai de dépôt, pas ceux du Gouvernement. Des textes de plusieurs pages, parfois extraordinairement techniques, peuvent ainsi nous être transmis au dernier moment, après la réunion de la commission, sans étude d'impact, et c'est souvent le cas en matière budgétaire. Par conséquent, nous n'avons pas toujours le temps de les étudier sérieusement. Pensez-vous qu'il serait souhaitable d'aligner les deux régimes en soumettant les amendements du Gouvernement, sauf exception, à un délai de dépôt et, le cas échéant, jugez-vous que cela impliquerait une modification de la Constitution ?
Dernier point, puisque, comme je le disais en citant le Conseil d'État, la Constitution a vocation à s'inscrire dans la longue durée, il faudrait prendre garde à ne pas nous lier les mains. Cela justifierait, je crois, sur un certain nombre de points, je pense par exemple au nombre des commissions permanentes, qui est figé à huit comme si nous n'étions pas capables d'en apprécier le bon nombre et le bon niveau, que nous prévoyions de manière principielle dans la Constitution un renvoi souple aux règlements des assemblées afin de disposer ensuite d'une latitude certaine dans les choix que nous ferons, sans qu'il soit d'ailleurs nécessaire à l'avenir de soumettre ces règlements des assemblées au visa du Conseil constitutionnel. J'aimerais connaître votre avis sur ce point.
Voilà pour aujourd'hui, madame la garde des Sceaux, les quelques questions que je voulais vous poser au commencement de ce débat, dont chacun mesure ici l'importance particulière et la richesse annoncée.