Intervention de Cédric Villani

Séance en hémicycle du jeudi 3 août 2017 à 15h00
Confiance dans la vie publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani :

Vous me permettrez une anecdote personnelle : quand, il y a quelques mois, je réfléchissais à me présenter aux élections législatives, un collègue, scientifique de renom très impliqué dans la vie publique, m'a conjuré de renoncer. « Ne fais pas ça, m'a-t-il dit : du moment où tu seras devenu un politique, ta parole sera déconsidérée ; tu perdras la confiance publique. » Il faut dire que, à tort ou à raison, le taux de confiance dans les institutions scientifiques plane autour de 90 % à en croire les sondages.

Je ne pouvais me satisfaire de cette réponse, comme le prouve ma présence devant nous, et nous ne pouvons collectivement nous satisfaire de cette situation de défiance envers le politique parce qu'elle fait courir un risque grave à notre démocratie et parce que la notion de confiance nous est chère, à nous qui avons tous demandé, et obtenu, la confiance de nos électeurs.

Hélas ! il suffit d'un petit nombre de dérives, de quelques affaires montées en épingle pour faire naître le soupçon. Qu'il soit donc redit ici que l'objectif est non pas de moraliser, mais d'établir des garde-fous qui protègent notre réputation commune contre les dérives de quelques-uns et que la confiance ne se décrétera pas du jour au lendemain mais se gagnera dans la durée.

Parmi ces nouveaux garde-fous, celui qui a causé les débats les plus nourris et les plus enflammés, et qui nous vaut de réexaminer aujourd'hui le projet de loi organique, c'est la suppression de la réserve parlementaire, réserve qui permet à un élu de financer dans sa circonscription certains projets portés par des collectivités et des associations.

Sur le plan juridique, la réserve parlementaire semble sortir du cadre constitutionnel. L'article 24 de la Constitution donne au parlementaire un rôle national et non local, et l'article 40 lui interdit de créer des charges nouvelles. Or la réserve est locale et c'est une charge. Le contournement technique de cette contradiction réside dans le fait que cette réserve, si elle est proposée par les parlementaires, est décidée et distribuée par le Gouvernement au travers d'amendements à la loi de finances. Notre collègue de Courson a pu résumer cet état de fait en affirmant abruptement en commission que « la réserve parlementaire n'existe pas. »

Mais alors, me direz-vous, si elle n'existe pas, que valent nos longs débats sur la question ?

3 commentaires :

Le 06/08/2017 à 16:45, Laïc1 a dit :

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L'article 24 de la constitution, le voilà :

"ARTICLE 24. Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il

évalue les politiques publiques.

Il comprend l'Assemblée nationale et le Sénat.

Les députés à l'Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au suffrage direct.

Le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit, est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République.

Les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat."

Donc le rôle national et non pas local n'est pas explicitement défini, d'autant plus qu'il est écrit : " Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République."

Or une collectivité territoriale, c'est bien local, on déduit donc que le député a un rôle local dans la mesure où représenter une collectivité territoriale à l'Assemblée, c'est bien représenter la vie locale à l'Assemblée, et la défendre.

Ainsi la phrase de M. Villani : "L'article 24 de la Constitution donne au parlementaire un rôle national et non local" ne peut pas se déduire de l'article 24. Donner au député la possibilité de défendre sa circonscription, c'est lui donner un poids local, validé par la constitution.

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Le 06/08/2017 à 22:24, Laïc1 a dit :

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Il est vrai qu'à la relecture "la représentation des collectivités locales " s'applique plutôt au Sénat . Il n'y a pas de rôle particulier pour le député défini par cet article 24, sinon de contrôler l'action du gouvernement et d'évaluer les politiques publiques, ce qu'il partage avec les sénateurs. Ainsi, déduire de cet article que le député a un rôle national et non pas local est plutôt osé puisque rien n'interdit à un député d'évaluer une politique publique sur les conséquences que cette politique aura sur la circonscription dont il est l'élu, et ainsi sur son aspect local. Donc le rôle du député peut être aussi bien local que national, chacun peut lire cet article 24 comme il le veut, puisqu'il n'y a pas plus de précision sur ce sujet dans cet article.

On notera au passage que jamais un député ne contrôle l'action du gouvernement, mais plutôt que le gouvernement contrôle l'action des députés, puisque l'initiative d'enlever la réserve parlementaire vient bien du gouvernement, et que d'ailleurs les modalités d'attribution de cette réserve étaient jusque là contrôlées par le gouvernement.

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Le 06/08/2017 à 22:38, Laïc1 a dit :

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Passons maintenant à l'article 40, cité par M. Villani :

"ARTICLE 40.

Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique."

Or la réserve parlementaire existe depuis 1970, il n'est donc nullement question de créer une charge nouvelle, cet article ne peut donc pas être mis en avant pour s'opposer à la réserve parlementaire en tant que charge nouvelle, la loi n'étant pas rétroactive.

Ainsi la référence aux articles 24 et 40 de la constitution ne sont pas justifiés ici pour critiquer la réserve parlementaire.

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