Décidément, ce projet de loi ne manque pas de mauvaises surprises pour les territoires. Après les menaces sur le maillage territorial des CIO, nous ne pouvons que constater avec tristesse celles qui vont peser sur les CFA et grever les territoires ruraux.
Aux termes de l'alinéa 105 de l'article 11« Le centre de formation d'apprentis ou la section d'apprentissage ainsi créé peut percevoir les fonds issus de la taxe d'apprentissage [… ]. » Cela signifie que les CFA seront aidés par les branches professionnelles, ce qui est en soi, une bonne chose. Que les entreprises aident à la formation, voire qu'elles s'impliquent dans l'avenir de jeunes travailleurs, est en effet une chance pour nos territoires. Mais que, désormais, seules les entreprises puissent financer les CFA ne sera pas du tout une chance pour ces mêmes territoires, bien au contraire.
Je lis avec surprise que désormais, le CFA ou la section d'apprentissage ne sera plus, à aucun moment « éligible au financement de la région dans laquelle le centre de formation d'apprentis est implanté ou dans laquelle les formations sont réalisées. »
En gros, les régions vont se dessaisir complètement des petits CFA, c'est-à-dire de ceux qui sont installés dans les zones rurales et qui y maintiennent des formations et un maillage territorial, c'est-à-dire un avenir pour des étudiants qui ne pourraient peut-être pas aller apprendre ailleurs.
Quelles entreprises donneraient leur taxe d'apprentissage à de petits CFA perdus dans la campagne ? Nous courons un grand risque : celui de voir les CFA urbains, ou ceux formant à des métiers considérés comme plus rentables, se développer au détriment de ceux installés au sein des espaces ruraux qui se retrouveront de facto exclus de l'offre d'apprentissage. Cette mesure c'est, une fois de plus, l'abandon des territoires. Dès lors, comment vous croire, madame la ministre, lorsque vous prétendez vouloir augmenter le nombre d'apprentis ?
Dans ma région, l'Occitanie, 70 % des centres de formation – qui sont une centaine – sont ainsi menacés : mes inquiétudes les concernant sont par conséquent grandes. Quel avenir allons-nous donc offrir à nos 36 000 apprentis ? Que vais-je dire à ces personnes qui, de plus en plus, font dans ma région le choix de l'apprentissage, alors qu'à la rentrée 2018, les effectifs avaient augmenté de 4 % ? Allons-nous devoir les abandonner ? Quel avenir offrons-nous, plus généralement, aux territoires ruraux ? Une fois en effet que les candidats à l'apprentissage auront commencé leur formation sur d'autres territoires, il y a peu de chance qu'ils reviennent dans leur région de naissance.
Abandon des territoires, paupérisation, chômage : voilà ce qui guette les territoires moins dotés que les autres. Pourquoi tant d'injustice ? En Occitanie toujours, 1 700 formations différentes sont aujourd'hui proposées, mais avec cette réforme combien seront maintenues ? Par exemple, dans le Tarn, le CFA de Lacrouzette offre une formation de tailleur de pierres. Inutile de vous dire que cette formation est presque unique en France et qu'elle accueille peu de monde. Pourtant, elle maintient un savoir-faire, permet de transmettre une passion et assure les apprentis de trouver un métier. Mais voilà, s'ils ne sont pas soutenus par des entreprises, quel avenir existe-t-il pour eux ?
Cet article 11 aura pour effet d'amplifier les inégalités territoriales, car les CFA plus petits, plus fragiles risquent de ne pas faire le poids et de devoir capituler, sans parler de la concurrence que leur feront les lycées professionnels.
À la vue de cette réforme, une forme de colère m'envahit, car en Occitanie, ces formations offrent une vraie espérance à des milliers d'apprentis : dans les six mois qui suivent la fin de leur apprentissage, les trois quarts d'entre eux trouvent en effet un travail, souvent à proximité de leur lieu de formation, non dans une grande métropole mais là où le petit peuple de France continue de vivre. Je veux parler de ces territoires ruraux que vous semblez toujours oublier.