Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du vendredi 15 juin 2018 à 15h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Après l'article 26

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Concernant le harcèlement, c'est surtout prévenir qui est important. Nous aurons l'occasion d'en reparler longuement puisque c'est un des points importants du titre III.

Je voulais revenir sur certains chiffres qui ont été avancés. Tout le monde dit qu'il y a un million de démissionnaires, mais n'oublions pas que la majeure partie d'entre eux, estimée entre 700 000 et 800 000, ont démissionné parce qu'ils ont déjà trouvé un autre travail. Ceux-là ne vont pas vers l'assurance chômage, ils participent à la mobilité interentreprises, en plein développement. Avec les opportunités de marché actuelles, de plus en plus de personnes changent d'entreprise, voire de métier, de leur propre initiative ; elles ne sont pas du tout dans le champ de notre débat. Le nombre de personnes susceptibles d'être intéressées par le nouveau dispositif n'est donc pas du tout de l'ordre de grandeur d'un million. Cela n'a aucun sens de se référer à un tel chiffre.

Durant la campagne présidentielle, La République en marche évoquait déjà, comme condition pour bénéficier du dispositif, le projet professionnel. Ce sont les partenaires sociaux qui ont voulu apporter des précisions – je pense que c'est prudent, d'autant plus que le dispositif démarre. On va voir avec eux comment il se développe. Je note, au passage, que comme on crée un droit nouveau – quoiqu'en disent certains d'entre vous – , il faut présumer que plus de personnes qu'estimées auparavant vont se manifester et pourront en bénéficier si elles remplissent les conditions. Le ministère a fait des estimations raisonnables : entre 20 000 et 30 000. Ce sera peut-être 15 000 ou 40 000… Il y a une part d'incertitude puisqu'on crée un droit nouveau. Mais tous les salariés ne vont pas démissionner chaque année, tous n'ont pas un projet de reconversion ou de création d'entreprise chaque année. Ce droit n'est ouvert qu'au bout de cinq ans, mais tout le monde ne va pas l'exercer tous les cinq ans. On pourrait comparer avec tous les droits mutualisés. Et puis pour ceux qui s'inquiètent toujours de savoir si on travaille bien en interministériel : quand le ministère du travail et le ministère de l'économie et des finances parviennent au même chiffre, c'est que le chiffre doit être assez robuste.

Actuellement, sur une année, 210 000 personnes s'inscrivent chaque année à Pôle emploi suite à une démission, dont 70 000 sont déjà indemnisées au titre des quatorze cas déjà prévus – force majeure, déménagement du conjoint, etc. Pour les autres, c'est aujourd'hui le parcours du combattant, même s'ils veulent créer une entreprise ou se reconvertir parce qu'il faut qu'ils commencent par démissionner pour, au bout de quatre mois, essayer de plaider leur cause pour être indemnisés… Je ne connais pas beaucoup de gens qui peuvent prendre un tel risque. Par conséquent, au regard de la logique du projet professionnel, il est important que ces personnes sachent que cela va être un vrai droit dès le premier jour, et qu'on aura la réponse de l'administration dès avant de démissionner et qu'on pourra alors y aller en sécurité.

Vous avez posé, monsieur Vallaud, la question du financement. On estime que le dispositif devrait concerner de l'ordre de 20 000 personnes par an chez les indépendants – et, je le répète, 20 000 à 30 000 chez les salariés. Encore une fois, ce sera peut-être plus, mais les deux catégories réunies, on se situe aux environs de 400 millions d'euros, à comparer au budget annuel de 34 milliards d'euros de l'assurance chômage. Je ne dis pas que ce n'est pas une somme, mais c'est un montant dont on peut discuter sereinement avec les partenaires sociaux, surtout au moment où la croissance repart et où, comme vous l'avez vu, les chiffres de l'assurance chômage s'améliorent, les prévisions de recettes augmentant et les prévisions de dépenses diminuant mécaniquement, sans changer aucune règle, du fait de la reprise de l'emploi. On va discuter de la question du financement avec les partenaires sociaux mais, pour les raisons que je viens d'exposer, il n'y a pas de risque majeur.

Et puis, on va sans doute y revenir, mais je réponds déjà aux interrogations concernant la trajectoire de l'assurance chômage. À ceux qui disent : « C'est un système complètement assurantiel, que vient faire l'État là-dedans ? », je réponds que c'est un système assurantiel qui a 34 milliards de dette aujourd'hui et qui est garanti par l'État. Il est donc déjà partie prenante lorsqu'il couvre une dette de 34 milliards d'euros. Et le fait qu'il ait décidé d'une mesure de pouvoir d'achat en supprimant la cotisation d'assurance chômage des salariés n'y change rien, puisqu'il l'a compensée par les nouvelles recettes liées à la CSG. Là non plus, ce n'est pas un élément nouveau. L'État garantit la dette de l'assurance chômage depuis sa création, vraiment rien de nouveau sur le fond.

Bien sûr, nous sommes dans un contexte où la croissance repart : 288 000 créations d'emploi l'année dernière – chiffre définitif de l'INSEE – , 48 800 au premier trimestre 2018, avec une tendance qui semble assez robuste. Mais dans ce contexte, il est clair que l'État et les partenaires sociaux doivent, ensemble, se situer dans une logique de trajectoire budgétaire soutenable, car si le mix s'améliore, il est normal de considérer qu'il ne faut plus avoir 3,8 milliards de déficit comme en 2017 et que, petit à petit, la trajectoire doit permettre de réduire la dette. La garantie par l'État, c'est l'argent de tous nos concitoyens. Nous devons donc aussi, avec les partenaires sociaux, et c'est de bonne gestion, gérer au mieux cette trajectoire pour la rendre plus soutenable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.