Il s'agit d'un élément central du débat. Selon moi, il est utile d'envisager la réversibilité comme une question politique plutôt que technique. La réversibilité signifie que le projet n'est pas arrêté une fois pour toutes – on creuserait et on fermerait – il induit une succession d'étapes s'accompagnant de prises de décision. Sur le papier, à chaque étape, on peut revenir éventuellement à l'étape antérieure. La réversibilité autorise la transformation de la décision. Il n'existe pas une décision unique, contrairement à un mode plus technocratique de mener des projets technoscientifiques. Par exemple, en amont, il n'y a pas eu débat sur l'implantation des déchets nucléaires, une décision a été prise par le Gouvernement.
Avec la réversibilité, l'approche de la décision est assez différente. À chaque étape, on fragmente la décision et on dilue la responsabilité engagée. Dans la mesure où l'on peut revenir à l'étape antérieure, de fait, chaque décision devient moins importante qu'une décision qui serait scellée dans le marbre. La dilution des responsabilités et la fragmentation des responsabilités sont intéressantes en ce qu'elles donnent moins prise aux critiques. Face à une décision qui épuise ses effets en quinze ans jusqu'à la prochaine étape et qui peut encore être modifiée à ce terme, il devient plus difficile de faire valoir des positions critiques. Chaque décision engage moins.
Par ailleurs, gérer en fragmentant les décisions prend peu en compte les questions économiques et matérielles. L'abandon du projet de stockage aujourd'hui rendrait caducs trente ans de recherche à Bure, qui n'auraient donc servi à rien, et il est possible que les financeurs du stockage ne soient pas très satisfaits. De la même façon, si l'on décide que le stockage est réversible et que l'on peut éventuellement récupérer les déchets nucléaires, qui l'adaptera et avec quels crédits ? Les producteurs ne se soucient pas de laisser des déchets sous terre et ne se posent pas la question de savoir comment les récupérer. Mais comment procéder ? Selon moi, la réversibilité et la fragmentation des décisions permettent au projet de se poursuivre. C'est une nouvelle façon d'aborder la question pour que le projet se poursuive alors qu'il n'a pas évolué depuis les années 1970 avec l'abandon de l'immersion des déchets nucléaires. On a simplement modifié les modalités de décision de ce projet.