Intervention de Patrick Hetzel

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 18h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel, rapporteur spécial :

Au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2017, j'avais exprimé des interrogations sur la portée d'un volontarisme budgétaire que la contrainte persistante de la limitation des ressources rendait tout relatif. Les résultats de son exécution ne démentent hélas pas cette analyse.

De fait, en 2017, la justice aura disposé de moyens inégalés. Le projet de loi de finances prévoit près de 10,8 milliards d'euros d'autorisations d'engagement prévues, soit une progression de 26,03 % par rapport aux crédits de l'exercice précédent. La dotation en loi de finances initiale (LFI) est d'un peu plus de 8,55 milliards d'euros, les crédits de paiement augmentent de 4,28 % et les moyens inscrits en faveur de l'ensemble des programmes de la mission se renforcent très sensiblement.

Ce volontarisme budgétaire se traduit également par un plafond d'emplois d'un niveau jamais atteint en LFI. L'autorisation parlementaire porte les effectifs maximaux à 83 258 équivalents temps plein (ETP) contre 81 030 ETP en 2016. La hausse des personnels concerne l'ensemble des programmes de la mission, même si, comme on le comprend bien, elle se concentre sur les programmes Justice judiciaire et Administration pénitentiaire.

Le cadre de l'exercice 2017 étant rappelé, quelle est la réalité de l'effort programmé en loi de finances ?

Certes, l'exécution se solde par une hausse des dépenses réalisées. Celles-ci atteignent en crédits de paiement (CP) pour l'ensemble de la mission, soit un peu moins de 8,3 milliards d'euros. Par rapport à 2016, les CP augmentent ainsi de 2,07 % pour le programme Justice judiciaire, de 5,72 % pour le programme Administration pénitentiaire, de 1,85 % pour le programme Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de 5,99 % pour le programme Conduite et pilotage de la politique de la justice.

La consommation s'accroît également par rapport aux crédits inscrits en lois de finances, à 97,9 % pour l'ensemble de la mission. Par programme, le taux de consommation des CP atteint 99,07 % pour la justice judiciaire, 97,71 % pour l'administration pénitentiaire, 98,09 % pour la PJJ et 93,49 % pour la conduite et le pilotage de la politique de la justice.

En soi, ces chiffres témoignent d'une utilisation pleine des moyens alloués au ministère, voire d'une certaine tension dans l'exécution des crédits. Cela étant, le taux d'engagement dépend des ressources effectivement disponibles. Or, le ministère de la justice n'a pas échappé, en 2017 comme au cours d'autres exercices il faut bien le dire, aux aléas de la régulation budgétaire, qui ont fortement pesé sur l'exécution.

En premier lieu, les responsables de programme ont, bien entendu, été contraints de composer avec la mise en réserve initiale des crédits pour 214 millions d'euros.

En second lieu, le ministère a subi trois mesures d'annulation de crédits, pour un total de près de 238,2 millions d'euros, soit près de trois fois le montant constaté fin 2016. Elles affectent pour l'essentiel trois programmes : l'administration pénitentiaire supporte 53 % des annulations en autorisations d'engagement (AE) et en CP, en raison des recrutements de personnels pénitentiaires inférieurs aux prévisions – ce qui est, hélas, un sujet de tension ; ensuite, la justice judiciaire représente 27 % des annulations en AE et 17 % en CP, à cause de la sous-consommation des crédits de personnel, ainsi que du décalage d'opérations immobilières ; enfin, le programme Accès au droit et à la justice en représente 10 %. Si elles peuvent constituer des mesures de bonne gestion, au regard des contraintes d'exécution des programmes, les annulations n'en conduisent pas moins à s'interroger sur la portée exacte des autorisations budgétaires, voire sur ce que l'on peut appeler la soutenabilité de la dépense.

À ce propos, la hausse de la consommation des crédits s'accompagne, en 2017, d'une reprise de la progression des restes à payer. C'est un sujet de préoccupation. Ainsi, les autorisations d'engagement non couvertes par des crédits de paiement atteignent, pour l'ensemble de la mission, un peu plus de 6,66 milliards d'euros. Ce montant, en augmentation de 8,76 %, ne peut que restreindre, à l'avenir, la latitude des responsables de programme, notamment en gestion. Cette hypothèque revêt une acuité particulière pour l'administration pénitentiaire, programme à l'origine des deux tiers des restes à payer du fait des opérations immobilières en cours, des marchés en gestion déléguée des centres pénitentiaires, mais aussi – il faut bien le dire – de l'exécution des contrats de partenariats public-privé qui pèsent 1,5 milliard d'euros.

On peut également s'interroger sur l'effort réellement fourni en ce qui concerne l'exécution du plafond d'emplois. Certes, à la fin de l'exercice 2017, la mission disposait de 82 204 ETP, soit un effectif en hausse de 2 380 ETP. Pour autant, par rapport au plafond d'emplois, l'exécution se solde par un déficit de plus d'un millier d'ETP. Si elle affecte l'ensemble des programmes, cette sous-exécution affecte plus particulièrement l'administration pénitentiaire, ce qui confirme la persistance de difficultés de recrutement dans ce secteur malgré les actions engagées depuis plusieurs exercices afin d'y remédier.

De fait, les programmes du ministère de la justice semblent se heurter à des obstacles quasi structurels. Ce constat récurrent invite à considérer les résultats obtenus par le ministère dans sa démarche de performance. Sans le moindre esprit polémique, l'essentiel des remarques formulées sur la possibilité de l'améliorer restent valables. Au vu de plusieurs des indicateurs les plus significatifs, la mission Justice affiche des résultats en deçà des cibles assignées, et une performance à peine équivalente à celle de 2016.

J'en viens aux travaux de contrôle que j'ai réalisés sur l'efficacité des moyens mobilisés dans le cadre des plans de lutte antiterroriste, les fameux PLAT. Décidés à la suite des deux vagues d'attentats survenues en janvier et novembre 2015, ces plans visaient à dégager et affecter des moyens supplémentaires afin de permettre au ministère de la justice de prendre toute sa part à la lutte contre le terrorisme, par la mise en place d'un dispositif global. Celui-ci avait notamment pour objectifs : l'identification des détenus radicalisés ; le renforcement du pôle antiterroriste de Paris ; le développement des équipes du renseignement pénitentiaire, l'installation de magistrats référents dans les parquets, la sécurisation des locaux des juridictions et du parc pénitentiaire, la prise en charge des jeunes en voie de radicalisation dans le cadre du plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PART). La mise en oeuvre des PLAT devait s'échelonner sur les exercices 2015 à 2017 et impliquer l'ensemble des programmes de la mission Justice.

Les PLAT 1 et 2 visaient à financer à la fois des actions ponctuelles – qui n'ont pas vocation à donner lieu à une réouverture de crédits l'année suivante – et des mesures structurelles ou de long terme dont la dépense relève de la loi de finances.

D'après une première analyse des dépenses établie par la Cour des comptes, le montant des crédits programmés dans le cadre des deux PLAT ainsi que du PART s'élève, tous programmes confondus, à 375,69 millions d'euros en AE et 288,07 millions d'euros en CP. Le montant des crédits consommés s'élèverait à 157,65 millions d'euros en AE et 166,72 millions d'euros en CP. Sans surprise, la consommation des crédits est plus élevée dans le cadre du PLAT 1 que du PLAT 2. Et, s'agissant des programmes, elle est en retrait pour l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse.

Les PLAT comportaient également l'affectation de 1 406 emplois supplémentaires. En raison de recrutements inférieurs aux prévisions notamment au sein de l'administration pénitentiaire, le bilan est de 1 248 ETP.

De l'ensemble des auditions réalisées, il ressort que cette mobilisation a atteint ses objectifs dans la mesure où elle a permis de répondre à de réels besoins découlant de la lutte contre le terrorisme, tant en termes d'équipements que de personnel. La gestion de ces ressources exceptionnelles a donné lieu à des instructions précises quant à l'affectation des crédits et, à un moindre degré, des emplois, pour ce qui concerne la justice judiciaire et l'administration pénitentiaire. Sur la base de ces constats, je souhaiterais, madame la ministre, vous poser les questions suivantes.

D'abord, quel bilan le Gouvernement tire-t-il de la mise en oeuvre de ce dispositif budgétaire spécifique qu'ont constitué les PLAT et le PART ? Les éléments d'analyse dont vous disposez plaident-ils en faveur de la reconduite d'un tel instrument ?

Ensuite, de quelle manière le Gouvernement entend-il pérenniser l'effort fourni dans le cadre des PLAT et du PART ? Notamment dans le cadre du projet de loi de programmation des moyens de la justice dont le Parlement devrait prochainement délibérer, quels moyens conviendrait-il de mobiliser spécifiquement ?

Enfin, quelles suites le Gouvernement va-t-il donner à la recommandation formulée par la Cour des comptes en 2016 et réitérée en 2017, à savoir « mettre en place un suivi détaillé de l'emploi des crédits ouverts depuis 2015 à la mission Justice au titre des plans de lutte antiterrorisme et anti-radicalisation, afin d'en rendre compte de manière transverse et spécifique dans les rapports annuels de performances ». C'est un sujet de fond mais aussi d'actualité, ainsi que le montre l'article paru aujourd'hui dans L'Opinion à propos de la lutte nécessaire contre la radicalisation. Je vous remercie et serai heureux d'entendre vos réponses à ces questions.

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