Intervention de Manuéla Kéclard-Mondésir

Séance en hémicycle du mardi 19 juin 2018 à 21h45
Réduction des inégalités entre les français et les territoires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaManuéla Kéclard-Mondésir :

Plus fondamentalement, le Gouvernement, enfermé dans ses certitudes, n'a pas pris la mesure des écarts grandissants sous l'effet de sa politique, notamment l'écart entre le mouvement de métropolisation, avec des aires urbaines qui s'enrichissent et s'orientent vers l'économie de la connaissance, et les zones rurales et périphériques qui se désindustrialisent, décrochent, se désertifient et s'appauvrissent.

Il convient également de souligner l'écart entre les individus, qui n'ont plus les mêmes droits entre les différents territoires, avec un chômage de masse dans certains, comme les outre-mer, qui dépasse les 24 %, voire, en Martinique, atteint les 60 % pour les jeunes de moins de vingt-cinq, notamment dans ma circonscription, qui est située au nord de l'île. Évidemment, la probabilité de connaître une promotion sociale dans de telles conditions est infime lorsque, les uns après les autres, le grand-père, le père et le fils ne connaissent que le chômage.

Ces écarts par le chômage et la pauvreté, aggravés par des écarts en termes de taux d'enseignement supérieur, peuvent varier du simple au double suivant les régions. Il faut savoir que le tiers des Martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté, qui est lui-même inférieur d'un tiers à celui de métropole.

Contrairement à ce que d'aucuns affirment, la solidarité nationale est utile. Tous les rapports nationaux et internationaux le montrent. Les impôts et les prestations sociales réduisent de moitié les inégalités de revenus en France, comme le souligne une publication de l'INSEE parue en janvier 2018. L'OCDE aboutit au même constat. La redistribution fonctionne en France : avant impôts, les personnes les plus riches gagnent en moyenne huit fois plus que les plus modestes. Après les impôts et la redistribution, l'écart n'est plus que de un à quatre.

Or la conception libérale et individualiste qui prévaut aujourd'hui privilégie trop les capacités et les libertés d'action individuelles, ce qui provoque la destruction des solidarités. On s'attaque à l'APL, on réduit les capacités d'intervention de LADOM – l'Agence d'outre-mer pour la mobilité – – , on s'attaque aux revenus des retraités, des chômeurs et des collectivités locales. Ces dernières sont même accusées de servir de tampon social alors qu'elles sont, sur le terrain, les seules à maintenir le lien social et que ce sont le système redistributif et la répartition de l'emploi public qui réduisent les écarts territoriaux et sociaux. Bref, on casse la solidarité au nom du libéralisme, en pensant que l'individu est au centre de tout, et on privilégie le contrat pour quelques-uns sur la loi pour tous.

Les mesures qui sont actuellement prises dans le domaine du logement, des contrats aidés et des dotations aux communes le montrent éloquemment. Votre politique territoriale manque de vision d'ensemble et ne répond pas à des finalités claires au bénéfice des citoyens. On réduit le nombre des élèves dans les classes, mais on supprime les classes ; on veut que les agriculteurs s'orientent vers les cultures biologiques, mais on supprime les aides au bio ; on critique les bananes produites en France outre-mer, aux normes sociales et environnementales européennes, mais on ouvre les vannes des marchés français et européen à des bananes produites à un coût inhumain et à grand renfort de pesticides. On développe une politique de la ville pour soutenir les quartiers défavorisés, mais on entretient les communautarismes. Et, selon la Cour des comptes, on est incapable de dire si ces dépenses engendrent effectivement des ressources supérieures à la moyenne des territoires.

Il en est de même des dépenses d'éducation et de formation qui sont, dans les DOM, par élève, supérieures de 25 % à la moyenne nationale. Pour quel résultat, toutefois ? On aide la formation professionnelle des chômeurs mais, paradoxalement, surtout dans les régions qui en ont le moins. On sait que les outre-mer sont les régions où les risques naturels sont importants : on devrait y conduire une politique globale de gestion des risques naturels exemplaire et dans la durée, mais on abonde cahin-caha, au coup par coup, un fonds de secours ici ou là.

Bref, cette politique budgétaire, soumise au dogme libéral, manque de vision et de perspective et, surtout, abandonne l'intérêt général pour celui de l'individu roi. Quand, pour la première fois depuis la dernière guerre, le revenu des personnes âgées diminue, on nous présente le remboursement des lunettes comme une grande conquête sociale. On avance les enjeux territoriaux et normatifs liés au changement climatique, mais outre-mer, où ils sont concrets, on ne fait rien. Pis encore, les stratégies mises en place, comme les plans climat énergie, ne sont le plus souvent pas coordonnées entre les échelons, quand elles ne sont pas floues et contradictoires.

De même, le numérique aggrave aujourd'hui les inégalités territoriales et sociales, alors que cela devrait être l'inverse. Je donnerai un exemple : on lance en Martinique, à grand renfort de communication, la production de fibres optiques sans en prévoir la distribution aux particuliers et sans former les jeunes à des diplômes leur permettant d'intégrer ces nouveaux métiers et ces filières d'innovation.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera la proposition de résolution.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.