Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur spécial, les certificats d'économies d'énergie ont été créés afin d'inciter les acteurs privés à réaliser des économies d'énergie. Ils sont attribués aux particuliers, entreprises et collectivités qui réalisent des travaux d'économies d'énergie et sont rachetés par les fournisseurs d'énergie, appelés les « obligés ».
Ce mécanisme, qui constitue l'un des instruments de la politique de maîtrise de la demande énergétique, est donc un marché comparable à celui du marché carbone. L'inefficacité chronique de ce marché, liée à la spéculation, a déjà été prouvée. Les certificats d'économies d'énergie courent-ils le même risque ? La question mérite d'être posée.
Nous partageons la critique selon laquelle ce dispositif échappe largement au contrôle parlementaire car à aucun moment le Parlement n'est amené à se prononcer sur le volume des obligations d'économies d'énergie à réaliser. Les débats sur la programmation pluriannuelle de l'énergie occultent d'ailleurs considérablement la question de réduction de la consommation, qui constitue la plus importante des économies d'énergie. Pire, l'accord européen du 26 juin a également affaibli la directive qui impose aux fournisseurs d'énergie de faire faire des économies d'énergie à leurs clients finaux à hauteur de 1,5 % des volumes d'énergie vendus annuellement.
Pour la période 2020-2030, le nouveau texte prévoit de maintenir cette obligation seulement jusqu'en 2025, puis de la réduire à 1 % de 2026 à 2030, sauf si la Commission européenne juge en 2024 que l'Union risque de manquer ses objectifs. On ne peut qu'ironiser devant ce manque d'ambition. Tout cela n'est pas à la hauteur des enjeux posés par notre époque.
Mais, plus globalement, c'est la logique même du dispositif que nous ne cesserons jamais de critiquer et de vouloir inverser. Selon les chiffres de la direction générale de l'énergie et du climat, les certificats d'économies d'énergie auraient contribué à financer des travaux d'économies d'énergie à hauteur de 24 milliards d'euros. Un arrêté prévoit par ailleurs, depuis le 1er avril 2018, de soutenir les ménages en situation de précarité énergétique qui veulent changer une vieille chaudière au fioul ou isoler leur logement. Cette disposition est une goutte d'eau dans l'océan de subventions accordées aux énergies fossiles. Les pays européens dépensent plus de 112 milliards d'euros par an pour subventionner la production et la consommation de pétrole, de gaz ou de charbon, notammentvia des avantages fiscaux pour le diesel, et la non-taxation du kérosène aérien, que nous avons dénoncée à plusieurs reprises, alors que chacun sait qu'il faudrait laisser 80 % des ressources fossiles sous terre pour avoir une chance de rester en deçà d'un réchauffement de 2 degrés.
Quel écart entre les promesses européennes de suppression des subventions aux énergies fossiles pour 2020, conformément à l'accord de Paris, et le montant faramineux des subventions encore décernées à ce secteur ! L'Union européenne elle-même fournit en moyenne 4 milliards d'euros d'aides à l'extraction et à la consommation de ces énergies tous les ans. De plus, l'exploration pétrolière continue à être financée, contre toute logique. Ainsi, entre 2014 et 2016, la France et le Royaume-Uni ont dépensé 253 millions d'euros par an pour trouver de nouveaux gisements.
Bien plus que d'encourager le Gouvernement à renforcer les dispositifs de lutte contre la fraude aux certificats d'économies d'énergie et les comportements spéculatifs, ainsi que le recommande M. Aubert, nous pensons que le Gouvernement devrait prendre des engagements clairs concernant les subventions aux énergies fossiles. Plutôt que de miser sur la responsabilité individuelle et les incitations vagues aux entreprises, il est urgent de prendre des dispositions fermes et contraignantes face au dérèglement écologique. Croire que l'incitation privée pourra être le moteur de la transition écologique est aussi absurde que de croire en la finance verte pour affronter l'urgence climatique. La transition énergétique suppose en effet des investissements massifs à long terme, inconcevables pour la sphère financière, laquelle est dominée par la rentabilité à court terme.
Cela pose la question de la rupture avec nos modes de vie, qui ne peut se satisfaire de petits pansements. Les panneaux publicitaires lumineux partout, l'agression permanente de la société de consommation, la création de la frustration pour faire tourner la machine à consommer : tout cela doit prendre fin. Il faut mieux produire et mieux consommer mais aussi, et c'est tout aussi important, moins produire et moins consommer.
Je veux finir avec cette phrase d'une tribune de Frédéric Denhez, auteur du livre La Dictature du carbone : « Les petits gestes ne servent à rien. Si ce n'est à confirmer l'individu dans sa position de clé de voûte du système économique : ami, tu dois consommer, consommer vert en suivant les étiquettes vertes et, parce qu'on t'a culpabilisé, tu vas aussi sauver la planète en réduisant ton budget carbone. [… ] Réduire nos émissions, atteindre des objectifs de réduction, résumer sa vie à des échanges de carbone, voilà qui ne contredit pas vraiment un monde qui cherche sans cesse la performance, la réduction des coûts, l'amélioration des flux, l'efficacité. » Compensation et certificats d'énergie sont deux « belles foutaises, car basées sur des scénarios fictifs, un absurde fantasme d'ingénieur, la "neutralité carbone". » Ce sont donc, chers collègues, nos modes de consommation et de production qu'il faut transformer et il est clair que ni cette majorité ni les bancs de droite n'y sont disposés.