Intervention de Pierre Morel-À-L'Huissier

Séance en hémicycle du jeudi 21 juin 2018 à 9h30
Lutte contre les groupuscules prônant la violence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-À-L'Huissier :

Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des lois, cher Didier Paris, madame la rapporteure, chère Brigitte, mes chers collègues, en France, le droit de manifester est un droit fondamental reconnu et protégé par notre législation. S'il n'apparaît pas explicitement dans le texte de la Constitution, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose, dans son article 10, que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions ». Aussi, le droit de manifester, corollaire indispensable de la liberté d'expression, ne peut être restreint qu'à des conditions très strictes. Le code pénal dispose par ailleurs que le fait d'entraver l'exercice des libertés d'expression et de manifestation est un délit puni par la loi.

Qu'elle soit organisée par des syndicats, par un groupe de citoyens pour la reconnaissance et la défense de ses droits, ou par toute personne en soutien à une cause, la manifestation est un vecteur d'expression indispensable pour faire entendre une conviction partagée et attirer l'attention des médias, du monde politique et de l'opinion publique. Cet exercice du droit de manifester est néanmoins encadré afin que nous soyons en mesure de le protéger. L'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen précise ainsi que la manifestation ne doit en aucun cas troubler « l'ordre public établi par la loi ».

Pourtant, nombreuses sont les manifestations qui ont donné lieu à des débordements, et donc à des troubles à l'ordre public. Nous avons tous en mémoire des manifestations qui ont dégénéré, même marginalement, au point d'occulter l'ensemble de ces rassemblements qui, dans l'immense majorité des cas, se déroulent heureusement sans incident. Tel était le cas des événements qui se sont déroulés en marge du défilé du 1er mai à Paris. Quelques centaines d'individus cagoulés et gantés, parfois armés, venus pour casser, détruire des commerces, incendier des véhicules et agresser les forces de l'ordre, ont monopolisé l'attention médiatique, politique et publique au détriment des dizaines de milliers de manifestants pacifiques et de la cause qu'ils défendaient.

En effet, bien que les manifestations aient régulièrement été, à travers les siècles et les continents, la cible de débordements, nous assistons depuis quelques années, en France, à un phénomène d'une autre nature et donc alarmant. Nous nous souvenons par exemple des affrontements en marge du sommet de l'OTAN à Strasbourg, en 2009, des manifestations contre la loi travail, en mai 2016, ou encore, plus récemment, contre le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Ces exemples illustrent bien l'hétérogénéité de ces groupes et la diversité des causes qu'ils empruntent pour user de la violence.

Il s'agit majoritairement de groupuscules se réclamant de l'anarchisme, de l'antifascisme, de l'anticapitalisme, de l'ultragauche ou de l'ultradroite. Ces structures contestataires radicales ont néanmoins un point commun : elles se mêlent à certaines manifestations pour en découdre, utilisant tout ce qui est à leur portée et qui constitue, à leurs yeux, les symboles de l'État et de la mondialisation. Leur existence est aujourd'hui facilitée par les réseaux sociaux et les messageries cryptées, qui constituent autant de moyens leur permettant d'étoffer leurs rangs, d'organiser en amont leurs actions et de compliquer la tâche de nos forces de l'ordre. Par ailleurs, ces mouvements affichent clairement un objectif de médiatisation pour donner une plus grande portée à leurs prétendues revendications.

À cet égard, rappelons que les violences perpétrées à l'encontre des manifestants et des forces de l'ordre constituent des images qui nuisent durablement à la réputation de la France et de sa capitale. Certains médias étrangers ont ainsi décrit notre pays en proie à des insurrections urbaines, où les rues s'embrasent au passage d'une armée d'hommes en noir.

Suite aux événements du 1er mai, ces individus ont été qualifiés de « black blocs ». En réalité, ces groupuscules sont particulièrement difficiles à définir, d'autant que l'expression « black blocs » fait l'objet d'interprétations diverses. Il n'était donc pas utile d'en faire mention dans cette proposition de résolution, ce qui aurait été réducteur, et encore moins de cloisonner le champ d'investigation de la commission d'enquête aux seuls groupuscules d'extrême gauche ou d'extrême droite.

Au fond, l'idéologie importe peu face à ces agissements insupportables. Elle n'est souvent qu'un prétexte pour ceux qui chercheraient à légitimer la violence dont ils font preuve en détournant une cause noble. Une prétendue lutte contre les affres du capitalisme ne peut excuser la destruction de grandes enseignes, pas plus qu'une pseudo-résistance face aux excès des pouvoirs publics ne peut justifier l'agression de policiers. Ces individus, qui confondent manifestation et délinquance, ne troublent pas seulement l'ordre public, mais ils portent surtout atteinte aux libertés fondamentales de nos concitoyens.

Je tiens à rappeler la détresse, souvent occultée, non seulement des manifestants et des riverains, mais aussi des commerçants, entrepreneurs et salariés qui peuvent voir, impuissants, leurs commerces et outils de travail détruits sous leurs yeux en quelques minutes. S'ensuivent alors des jours, des semaines, voire des mois de procédures fastidieuses avec les autorités et les assurances pour obtenir la réparation des préjudices professionnels qu'ils ont subis.

Aussi saluons-nous l'initiative du groupe Les Républicains qui, avec cette proposition de résolution, propose la création d'une commission d'enquête relative à ce phénomène croissant. Une telle commission, composée de trente membres et permettant d'associer l'ensemble des groupes représentés dans cette assemblée, permettra certainement d'améliorer l'efficacité de la lutte contre l'ensemble des groupuscules prônant la violence, que ce soit avant, pendant ou après de tels agissements.

Outre les quelques remarques de forme qui ont pu être évoquées en commission des lois et par les précédents orateurs, le groupe UDI, Agir et indépendants soutient la création de cette commission, qui participera à faire la lumière sur les violences qui surviennent au cours des manifestations, préalable indispensable à la mise en oeuvre d'une réponse adaptée. Un tel travail d'enquête est particulièrement bienvenu dans la mesure où leurs motivations, leurs organisations et leurs modes opératoires restent particulièrement méconnus à ce jour.

Le travail remarquable et le professionnalisme des forces de l'ordre – qu'on ne souligne pas assez souvent – ne doivent pas nous empêcher d'explorer de nouvelles méthodes et de favoriser l'inclusion des approches. Là encore, une commission d'enquête permettrait de dégager des pistes pour une stratégie pertinente. Je rappelle à cet égard que, lors de son audition, le général Richard Lizurey nous a indiqué que le travail qu'a dû mener la gendarmerie à Notre-Dame-des-Landes, où 2 500 gendarmes ont été engagés face à des groupes mobiles, l'a conduite à modifier sa façon d'agir et lui a beaucoup appris en termes d'organisation, la rendant aujourd'hui plus efficiente.

Comme toute stratégie, celle-ci mériterait d'être globale et de mobiliser toutes les parties prenantes dans l'organisation et le déroulement des manifestations. Les auditions permettraient donc à la fois d'entendre des représentants syndicaux et associatifs et des professionnels du maintien de l'ordre, mais aussi, entre autres, des sociologues qui pourront chacun, grâce à leur expertise distincte et complémentaire, apporter des éléments de réponse à cette tendance à laquelle nous ne pouvons nous résigner.

Compte tenu de ces éléments, le groupe UDI, Agir et indépendants votera pour la création de cette commission d'enquête qui permettra de participer à la lutte contre les groupuscules qui, usant de la violence comme mode d'action, portent atteinte à la liberté et à la sécurité.

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