Intervention de Rodrigue Kokouendo

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRodrigue Kokouendo, rapporteur :

Madame la Présidente, chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous sommes heureux, Bérangère Poletti et moi-même, de vous présenter le résultat des travaux de la mission d'information sur l'aide publique au développement;

Cette mission a été constituée le 24 octobre 2017 par la Commission des affaires étrangères.

Tout au long de cette mission, nous avons eu conscience de l'importance et de la complexité de ce dossier qui mobilise en effet nombre d'administrations dans des domaines majeurs, affaires européennes et étrangères, finance, justice, immigration, défense, et qui véhicule l'image et les valeurs de la France dans le monde.

Cette mission s'est déroulée dans un contexte particulier; l'aide publique au développement se trouve en effet à un moment charnière de son histoire. Alors que son budget avait fortement diminué, la France a l'ambition de revenir au premier plan au niveau international.

Cette volonté s'est exprimée l'an dernier lors du discours annuel du Président de la république devant les ambassadeurs. Il a alors annoncé un objectif d'engagement annuel de 0,55 % du revenu national en 2022, pour, à terme, atteindre 0,70 %.

Cette trajectoire budgétaire ambitieuse, replacera la France parmi les grands intervenants et permettra d'améliorer l'efficience de ses actions sur la scène internationale, en particulier en Afrique subsaharienne.

Elle ne constitue toutefois qu'un élément parmi d'autres de la montée en puissance de l'aide française. Celle-ci implique en effet que des mesures soient prises pour et anticiper et accompagner cette trajectoire budgétaire.

Ainsi, comme vous le savez, le CICID de février a pris plusieurs décisions importantes du point de vue budgétaire et en ce qui concerne le pilotage de l'aide.

Cinq orientations majeures que je voudrais rappeler ont été fixées:

En premier lieu donc, une trajectoire portant l'aide de 0,37 % à 0,55 % en 2022 avec un échéancier dûment établi.

Le CICID a ensuite énuméré les thèmes principaux sur lesquels l'APD doit être centrée : la santé, l'égalité femmes-hommes, l'éducation, le climat et la fragilité institutionnelle de certains pays.

Ce CICID a déterminé, en troisième lieu, la liste de 19 pays cibles, en donnant priorité aux pays les moins avancés et, les concernant, en privilégiant les dons sur les prêts.

Quatrièmement, une autorisation d'engagement d'un milliard d'euros a été actée pour soutenir l'Agence française du développement dans ses actions.

Enfin, l'aide qui transitera par les ONG sera doublée.

Nous nous sommes appuyés sur ces nouvelles orientations de la politique de l'aide, attendues depuis de nombreuses années, pour formuler des propositions pertinentes destinées à accompagner et anticiper cette trajectoire budgétaire.

Il faut en effet insister sur le fait qu'une trajectoire budgétaire ne donne qu'une indication très partielle de la politique d'aide d'un pays. Le fameux objectif de 0,7% du RNB est certes un repère utile pour mesurer les efforts respectifs des uns et des autres, mais il présente l'inconvénient d'être un objectif de dépense, en clair l'addition de budgets très divers aux ordres de grandeurs divergents. Se référer exclusivement à un tel indicateur pourrait faire illusion en privilégiant l'importance des dotations au détriment de leur efficacité.

C'est pourquoi il nous a semblé important d'insister sur le contenu de l'aide publique au développement.

En premier lieu, conformément à la décision du CICID, elle doit être rééquilibrée en faveur du bilatéral. L'augmentation, au fil des ans, de la part multilatérale de l'aide, n'a pas été véritablement le reflet d'un choix stratégique, mais est plus probablement liée au fait que les contributions multilatérales, qui sont des engagements pluriannuels, résistent plus facilement aux arbitrages budgétaires difficiles.

Le renforcement de l'aide bilatérale nous semble donc nécessaire, même si elle est plus contraignante car elle implique de sélectionner des projets à financer et de surveiller leur mise en oeuvre. L'augmentation rapide de l'aide bilatérale, et en particulier des dons bilatéraux, devra donc à la fois être anticipée par des autorisations d'engagement permettant de réaliser dans les temps les crédits de paiement prévus, et s'accompagner d'une montée en puissance de nos capacités de maîtrise d'oeuvre.

L'augmentation des dons-projets, aujourd'hui marginale dans l'aide française, doit également faire partie des priorités de la mise en oeuvre de cette trajectoire budgétaire, car ils permettent de faire face à des situations d'urgence dans les pays les plus pauvres.

Notre mission a ainsi pu constater avec surprise que les pays les plus pauvres, naturellement prioritaires de l'aide publique au développement française et dont la liste s'allonge d'année en année, ne reçoivent que 14 % de l'aide bilatérale totale de la France. Nous recommandons un net rééquilibrage sur ce point.

Sur les différents aspects de l'accompagnement de la trajectoire budgétaire que je viens d'évoquer, il est une recommandation qui nous paraît déterminante, c'est celle de la mise en place d'une véritable loi de programmation de l'aide publique au développement, sur le modèle de la loi de programmation militaire.

Toutefois, l'augmentation des budgets ne produira une amélioration de notre aide au développement que si elle s'accompagne d'une réforme de fond de son pilotage. Lors du déplacement que nous avons effectué au Royaume-Uni, pays dont le volume d'aide est passé de 0,56% à 0,7% du RNB en une année et s'est ensuite maintenu à ce niveau, nous avons pris conscience de l'importance de ce sujet.

La mise en oeuvre de l'aide française n'a en effet jamais pu trouver une organisation pleinement satisfaisante. Les différentes réformes engagées depuis la suppression du ministère de la Coopération en 1998 n'ont jamais mis fin à la dualité ministérielle qui n'est qu'un aspect de l'atomisation administrative de l'aide française, d'autant que les deux ministères en question ne gèrent qu'environ 30% du budget total de l'aide. Ce chiffre étonnant s'explique en partie par le fait que ce fameux ratio, qui indique la part du revenu national consacrée à l'aide, s'obtient par l'addition de dépenses diverses et variées ; mais cette explication n'est que partielle puisqu'au Royaume-Uni, ce sont environ les trois quarts de l'aide qui sont directement gérés par le DFID, une proportion que M. Rycroft, Secrétaire permanent du DFID, trouve cependant encore trop faible.

Placer l'aide publique au développement française sous l'autorité d'un ministère dédié nous semble par conséquent une nécessité. La coordination entre les deux ministères responsables de la politique d'aide peut être en effet satisfaisante dans les conditions actuelles, mais risque de ne plus l'être dans un contexte d'augmentation rapide des montants et une orientation politique plus ciblée exigeant d'importants rééquilibrages budgétaires.

J'ajoute que, dans le contexte actuel et au regard de l'importance stratégique de l'aide au développement relevée plus haut, la création d'un ministère de plein exercice serait un signal fort à la communauté internationale de la détermination politique de la France.

D'ici là, afin de structurer plus efficacement l'organisation administrative de l'aide, la mission recommande d'acter rapidement, conformément aux décisions du CICID, le rapprochement d'Expertise France avec l'AFD, mais aussi de pousser plus loin la fusion des opérateurs au sein d'Expertise France en ne se contentant pas de simples conventions avec les quatre opérateurs mentionnés par le CICID.

Enfin, un sujet d'une importance particulière dans le contexte de l'augmentation de l'aide française est celui de l'évaluation. Dans ce domaine, l'exemple du Royaume-Uni mérite également d'être noté, car ce pays s'est doté d'une commission indépendante d'évaluation, l'ICAI, qui présente régulièrement, devant le Parlement et en présence du ministre, des rapports d'évaluation sur des politiques d'aide en cours, le ministère étant censé réagir aux observations qui sont ainsi faites. L'ICAI travaille de façon indépendante et se fixe pour objectif d'évaluer l'efficacité réelle des politiques d'aide, et non leur simple régularité comptable.

Le rôle des évaluations sera crucial dans un contexte d'augmentation budgétaire car, comme l'a remarqué avec honnêteté M. Rycroft, « Une augmentation comme celle que vous envisagez entraine presque invariablement une dilution au détriment de la qualité ». Cela sera encore plus vrai si priorité est donnée à l'aide bilatérale sous forme de dons.

C'est ainsi que l'aide française, renforcée et mieux pilotée, ne sera vraiment utile que si elle respecte des priorités stratégiques clairement identifiées.

Avant de laisser la parole sur ce sujet, deuxième partie de ce rapport, à ma collègue Bérengère Poletti, je tiens à lui exprimer ici mes plus chaleureux remerciements pour notre collaboration confiante et toujours constructive, j'espère que les suites de cette mission nous permettrons d'affiner ensemble nos réflexions et de vivre leur mise en oeuvre.

Je remercie également les rapporteurs et nos assistants qui ont apporté leurs expériences, leurs lumières, leur efficacité dans la réalisation de cette mission.

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